Le Monde.fr Par François Manardo, attaché de presse de l’équipe de France de 2008 à 2010
J’ai connu Patrice Evra à l’occasion d’un rassemblement de l’équipe de France, en septembre 2008. Avec lui, le courant est tout de suite passé. Accessible, chambreur, le regard espiègle… Quand on le fréquente, « Pat' » a tout pour plaire. A son contact, j’avais vite remarqué sa vision manichéenne du monde qui l’entoure, marque de fabrique de beaucoup de footballeurs professionnels, où il n’y a pas de place pour la nuance et la flexibilité. Très sympa, Pat’, mais également (très) têtu.
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Enfin, j’avais découvert son formidable attachement aux Bleus, à l’équipe de France. Je sais qu’en disant cela, après les événements de Knysna lors du Mondial sud-africain de 2010, beaucoup ne me croiront pas. Pourtant, Patrice Evra est un Bleu dans l’âme, mais cet amour s’est cruellement et concrètement transformé en histoire de « Je t’aime, moi non plus. » Toutefois, il y aurait quelques précisions à apporter sur la relation d’Evra avec les Bleus, et inversement.
BARRICADÉS DANS LEUR BULLE DE « SPORTIF DE HAUT NIVEAU »
En découvrant un soir de mai 2010, à l’entrée du vestiaire des Bleus au stade Bollaert de Lens, qu’il était promu capitaine de l’équipe de France (victoire 2-1 face au Costa Rica), Evra fut comme un gosse émerveillé. Lui, l’ex-attaquant besogneux passé par les affres des divisions mineures en Italie, le gamin francilien non formé au moule de l’Institut national du football, voilà que lui revenait l’insigne honneur de porter le brassard national, et de surcroît à l’occasion d’une Coupe du monde.
Sauf que l’histoire commençait déjà mal. En cette période de préparation, Thierry Henry étant plus au moins hors circuit, c’était a priori à William Gallas que devait revenir le capitanat. Du moins c’est ce que croyait ce dernier. Proches au sein des Bleus, Evra et Gallas étaient également voisins dans les vestiaires. Ils étaient toujours placés côte à côte. Le sélectionneur Raymond Domenech n’ayant prévenu aucun des deux intéressés de sa décision, lorsqu’il découvrit que le brassard était accroché au cintre de son copain Evra, Gallas « tira la tronche » – un euphémisme – pendant une semaine au vu et su du groupe, ce qui plomba l’atmosphère et se traduisit pour le nouveau capitaine comme une première mission « sociale » qu’il prit très (trop ?) à cœur. Et je souligne là son côté émotif mal canalisé : comme il donne tout et que ça le prend aux tripes, il admet mal que les autres ne soient pas au diapason. Ce qui lui joue encore des tours.
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Après Lens et jusqu’en Afrique du sud, Evra accorda à ce brassard une telle importance – mais qui l’aurait alors blâmé ? – que le poids de ce bout d’étoffe se transforma rapidement en boulet. Et à ce jeu-là, Patrice oublia de se protéger. Habituellement barricadés dans leur bulle de « sportif de haut niveau », ces Bleus l’étaient encore plus sur ce plateau surélevé du Pezula Resort, notre hôtel à Knysna, plongés dans un isolement copié sur le modèle de 2006, pendant la Coupe du monde en Allemagne, et qui, au final, n’arrangea rien, au contraire.
« RADIO TAUPES » À KNYSNA
Coupés du monde donc, mais pas du portable où « Radio Taupes » sévissait à plein tube. C’était le revers de la médaille : le tout-cloisonnement avait accouché du tout-se-sait. Et le plus surpris au final, ce fut Patrice. Sans doute également en recherche d’une certaine légitimité vis-à-vis du groupe et de ses cadres, Evra cherchait à surprotéger les Bleus, s’exposant ainsi en première ligne sans trop regarder dans son dos.
L’affaire de la grève en est un bel exemple : Nicolas Anelka exclu des Bleus, les joueurs, sans discernement, rejetèrent la faute sur le journal L’Equipe et sa « une » du 19 juin, puis sur le président de la Féfération française de football, Jean-Pierre Escalettes, qui s’était, selon eux, incliné face à un média. « Comment diable la ‘une’ d’un journal peut aboutir à l’exclusion de l’un des nôtres ? » Ce fut leur interprétation. Patrice y trouva là une nouvelle occasion de démontrer son implication dans le groupe et son courage pour aller au front, face aux médias. Mais dans quel but ? Pour y débusquer une « taupe » au sein d’une armée mexicaine où l’habitude de deviser avec les copains journalistes avait pris de telles proportions qu’aucun joueur ne distinguait les banalités d’un scoop ?
Ensuite vint le jour de la grève. Et, là, si Evra lit ces lignes ou si tout du moins on ne lui en rapporte pas une version déformée, je voudrais lui dire ceci : si seulement, Patrice, au lieu de me demander de le lire, tu avais lu ce communiqué de malheur en l’amputant de la partie où vous annonciez votre grève, et qu’ensuite tu avais commandé à tes coéquipiers de s’entraîner ! La mutinerie au lieu de la grève. La face des Bleus en eût été changée et le cours de leur histoire avec, j’en suis certain.
La France, pays de la Révolution, aurait accepté et même compris votre communiqué pour contester, à tort ou à raison, l’exclusion de l’un de vos coéquipiers. Mais de se mettre en grève, ce fut là une attitude pour laquelle les adjectifs les plus durs sont encore loin du compte. Le lendemain, on (re)toucha le fond : conscient comme beaucoup d’autres joueurs de l’infâmie de la veille, Evra fut privé à la dernière seconde par le sélectionneur de conférence de presse FIFA à Bloemfontein, où il voulait absolument présenter les excuses des Bleus aux Français. Il était alors entré dans une colère terrible à la mesure de sa frustration. J’en fus le témoin.
De retour de Knysna, je suis resté quelque temps en contact avec Patrice. Il était meutri, accablé par ce rendez-vous totalement raté en Afrique du Sud. Il avait également conscience d’être devenu un bouc émissaire mais se focalisait plutôt sur la naïve sincérité de son action sous le maillot tricolore. Il avait fauté mais n’avait pas mesuré les conséquences catastrophiques. A ses yeux, ça dominait tout le reste. Ce fut une nouvelle erreur.
UN BUS GRAVÉ SUR LE FRONT
Et quelle erreur aujourd’hui, après une saillie médiatique invraisemblable de maladresse, de réveiller les fantômes de Knysna qui s’assoupissaient un peu grâce aux efforts considérables de la FFF pour redorer l’image des Bleus, ainsi que la manière et l’état d’esprit encourageants affichés par les joueurs lors des deux derniers matchs.
Patrice, ne pouvais-tu pas choisir un autre moment ? N’as-tu pas deviné que, les jours qui précéderont la double rencontre capitale contre l’Ukraine, les médias ne s’intéresseront qu’à ta sortie médiatique et à ses suites ? Ils solliciteront tes coéquipiers, ton sélectionneur, les anciens, les nouveaux consultants et tutti quanti. Et il faudra, encore une fois, faire amende honorable et/ou dédramatiser un climat de nouveau lourd. Quelle énergie inutile ! Quel mauvais timing ! Et quelle méconnaissance du palmarès de Bixente Lizarazu et de Luis Fernandez en Bleu, toi qui y attaches justement tellement d’importance.
Un beau jour, il faudra pourtant crever la bulle. Dire ce que tu as avais sur le cœur en Afrique du Sud. Dire que tu t’es (très) inutilement sacrifié sur l’autel de la sacro-sainte intimité du vestiaire, à y jouer les combattants de l’inutile. Comprendre, aussi, que les critiques, même si elles touchent tes proches, escortent toujours la célébrité.
En France, la tienne est intimement liée à l’épisode le plus sombre de l’histoire des Bleus. Tu ne pourras pas t’en défaire et tu ne pourras pas exiger des observateurs et du public français qu’ils ne retiennent que l’Evra de Manchester United, capitaine d’un club de légende, titulaire depuis bientôt dix ans dans cette usine de la « gagne » et joueur respecté et apprécié dans les couloirs du club et à la ville.
De tout cela, lorsque tu viens chez les Bleus, le public et les médias n’y portent guère plus d’intérêt que lorsque que tu disputais une finale de Ligue des champions avec l’AS Monaco, en 2004, événement pourtant rare dans notre football. En France, tu as un bus tatoué sur le front, Patrice. Ça, tout le monde le sait et personne ne l’oubliera de sitôt. Malheureusement, ce que l’on devine beaucoup moins, c’est l’amour sincère et sans réserve que tu portes à l’équipe de France. Je peux en témoigner. Tu serais mieux inspiré de le dire. Mais, surtout, choisis le bon moment.
Par François Manardo, attaché de presse de l’équipe de France de 2008 à 2010
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