Par Mathieu Olivier Jeune-Afrique
« Permis de tuer » : c’est ainsi qu’Amnesty International a qualifié, dans un rapport rendu public mardi, le programme de drones américain, notamment au Pakistan et au Yémen. Selon l’organisation, des responsables américains pourraient être accusés de crimes de guerre pour la mort de civils dans ces deux pays. Le document dénonce également l’échec des États-Unis à procéder eux-même aux enquêtes concernant ces meurtres, alors même qu’ils n’ont pas ratifié le Statut de Rome, ce qui empêche la Cour pénale international (CPI) de se saisir des dossiers.
En plein débat sur la justice internationale, et alors que les pays africains menacent de quitter la Cour pénale internationale (CPI), c’est un pavé dans la mare que vient de jeter Amnesty International. L’organisation explique ainsi, dans son rapport publié mardi 22 octobre, que « les personnalités officielles américaines responsables du programme de drones de la CIA contre des terroristes présumés au Pakistan pourraient avoir commis des crimes de guerre et être poursuivis en justice ».
Amnesty international a notamment enquêté sur neuf des nombreuses attaques qui ont frappé la région frontalière entre le Pakistan et l’Afghanistan au cours des 18 derniers mois. En juillet 2012, selon l’organisation, 18 travailleurs ont ainsi été abattus par des drones dans le Nord-Waziristan, une zone d’influence des talibans, pendant qu’ils attendaient pour dîner.
Toutes les personnes interrogées ont, selon l’organisation, fermement nié qu’aucun des hommes aient été impliqués dans le militantisme taliban, bien que ces témoignages restent sujet à caution. « Même s’ils étaient membres d’un groupe interdit, ce ne serait pas suffisant pour justifier de les tuer », dit le rapport.
« Déchiqueté par un missile »
Au Yémen, où les drones américains sont également utilisés, c’est une autre organisation, Human Rights Watch, qui avaient pointé du doigt six attaques, dont deux représentaient une « violation flagrante du droit international humanitaire ». Mais, de leur côté, les États-Unis ont à maintes reprises affirmé que très peu de civils ont été tués par des drones.
« Pour contredire les autorités américaines qui qualifient leur cibles de « terroristes » », s’indigne Polly Truscott, responsable de la zone Pacifique d’Amnesty International, « je vais vous citer un exemple : une femme de 68 ans était en train de planter ses légumes dans un champ sur sa propriété, entourée de ses petits-enfants, quand son corps a été déchiqueté par un missile. Comment cette femme, Mamana Bibi, c’était son nom, pouvait-elle avoir de près ou de loin des liens avec les insurgés ? Pour nous, ça n’a aucun sens ! »
En mai 2013, face aux accusations, le président américain, Barack Obama, avait promis une plus grande transparence sur les drones. Mais, selon Amnesty, son engagement ne s’est pas traduit dans les faits. L’organisation exige également la fin de l’impunité pour que les victimes obtiennent justice et que leurs familles soient indemnisées.
Impunité
N’ayant pas ratifié le statut de Rome, Washington reste pour le moment hors d’atteinte de la CPI. Washington devrait donc, en théorie, mener elle-même les enquêtes concernant les pertes civiles dans les attaques de drones. Aucun procès ne s’est cependant encore ouvert, exception faite d’un cas d’attaque en mars 2011, dans laquelle cinquante civils avaient été tués. Cependant, celle-ci, si elle utilisait bien un drone américain, était un tir britannique. L’audience s’est donc ouverte en juin 2013 à Londres et fait toujours figure d’exception.
Amnesty a comptabilisé entre 2 000 et 4 700 personnes, dont des centaines de civils, tuées depuis 2004 par plus de 300 tirs de drones américains dans les zones tribales du nord-ouest pakistanais. Mais à Washington, le prix Nobel de la paix 2009, Barack Obama, considèrent que son pays n’a pas de compte à rendre pour ces « dommages collatéraux ». Les États-Unis sont-ils au-dessus des lois de la justice internationale, dont ils font pourtant la promotion dans le reste du monde ?
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