(regard très critique) Dr Doumbia Major, ex-dirigeant de la Fesci et pro-Ouattara
Doumbia Major est Docteur en sciences du langage de l’université Paris-Est. Expert en analyse automatisée des discours politiques, il est titulaire d’un Master en communication politique et d’un Master en Ingénierie de Projet de Développement de la même université.
Ancien syndicaliste membre de la direction de la fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci), il est président du CPR (Congrès panafricain pour le renouveau). Cet universitaire, qui épouse la double étiquette de gestionnaire de société et de politique, a soutenu l’accession au pouvoir du Président Alassane Ouattara. Déçu par les scandales de corruption qui éclaboussent les libéraux qui sont au pouvoir, il a une position très critique vis-à-vis de la gouvernance du régime Ouattara. Dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder, via facebook, après sa récente arrestation au Congo, cet adepte de la social démocratie, se prononce sur le complot dont il dit avoir été victime au Congo, sur la réconciliation national en Côte d’ivoire, ainsi que sur les attributions irrégulières de marchés Publics, dont celui du Port attribué à Vincent Bolloré, qui selon lui est salissant pour le régime du Président Ouattara.
Docteur Doumbia Major, vous revenez du Congo où vous avez été emprisonné puis expulsé pour dit-on activités de mercenariat et activité de déstabilisation d’un pays ami. Que s’est-il passé exactement et que faisiez vous si loin de la Côte d’Ivoire et de la France où vous résidez ?
Bonjour à tous et merci pour cette occasion que vous me donnez de m’adresser à vos lecteurs et au monde entier. Comme je l’ai déjà expliqué, mon arrestation au Congo a été simplement un complot dans lequel étaient impliqués certaines autorités congolaises, des hommes politiques ivoiriens, ainsi que certains hommes d’affaires qui sont au Congo et qui ont des liens avec des hommes politiques ivoiriens. Ces derniers pensent que faire la politique se résume au fait de s’adonner à des pratiques basses et criminelles à l’encontre de ceux qu’ils voient comme leurs adversaires présents ou futurs. C’est dommage ! Ce sont des personnes allergiques aux critiques, qui ne supportent pas la liberté de ton et d’opinion que je m’autorise quand je parle de la gestion du pays. Il suffit de lire le traitement qui a été fait par la presse ivoirienne de mon arrestation pour déceler ceux qui étaient cachés derrière cette arrestation arbitraire et illégale. Ils ont bien essayé, mais une fois de plus, leur complot visant à s’attaquer à ma vie et à ma liberté a échoué. Tout ce qu’ils ont raconté dans leurs journaux et sur leurs sites de propagandes n’était que des mensonges, la preuve en est que j’ai été relâché et je suis libre. J’étais au Congo pour mes affaires, j’y avais une société qui y est toujours en plus d’un magasin de bureautique couplé à une librairie !
Comment se fait-il que certains journaux proches du régime vous accusent de vouloir déstabiliser le régime du Président Ouattara en collaboration avec certains Ex-FDS, notamment le Colonel Gouanou ; n’est-ce pas qu’il n’y a pas de fumée sans feu ?
Dès que j’ai été arrêté, c’est le site Koaci.net proche de qui vous savez, qui a affirmé à sa Une « Doumbia Major arrêté à Brazzaville pour tentative de déstabilisation ». Le même site a écrit et je cite « un plan d’attaque sur Abidjan et d’assassinat de Guillaume Soro aurait été découvert sur lui » et ils sont allés jusqu’à affirmer que j’aurais « des connexions avec des anciens FDS qui auraient trouvé refuge du côté de Kinshasa, en RD Congo voisine ». Mon passeport est là pour attester que je n’ai jamais mis les pieds en RDC. Le plus hallucinant, c’est qu’ils ne se sont même pas gênés pour appuyer leur mensonge en affirmant que « Plusieurs documents compromettant avait été découverts dans un disque dur, sur une clé USB et un ordinateur, saisis par la police dans ma chambre » lors d’une perquisition, alors qu’en réalité cette perquisition n’a existé que dans leurs esprits.
Ces mêmes propos ont été tenus par le quotidien « le Jour Plus », qui n’a jamais pu apporter la moindre preuve pour attester ses diffamations et aussi par le journal « Le patriote ». Ces journaux ont certainement été intoxiqués par la même source. Il est clair que les commanditaires de cette campagne nauséabonde veulent me salir aux yeux d’une certaine opinion communautaire, qu’ils considèrent comme leur chasse gardée. Il faut voir en cela une opération pernicieuse de bannissement, mais au-delà de ce lynchage, il faut voir que c’est une façon de préparer leurs militants à l’acceptation de mon assassinat, puisqu’ils ne se dérangent pas à mentir en me présentant comme un proche de IB, malgré le fait qu’ils savent tous que j’étais en rupture de liens avec ce dernier depuis fin 2004, où j’ai pris mes distances d’avec la rébellion, après avoir organisé un congrès au cours duquel je m’en suis retiré tranquillement et définitivement.
Votre Posture critique semble déranger le régime dont vous avez pourtant soutenu l’accession au pouvoir, êtes vous un aigri ou un déçu de la gestion du régime actuel ?
Je ne suis pas le seul déçu de la gestion du régime ! En soutenant l’alternance nous nous attendions à mieux que ce qu’on voit actuellement ! Le niveau qu’a atteint la corruption sous le nouveau régime est effarant ! Le népotisme et le clanisme prennent une proportion inquiétante ! Les privilèges que s’autorisent les dirigeants pendant que le peuple qui travaille est en souffrance sont des comportements inacceptables en démocratie. Nous nous attendions à un régime dans lequel la solidarité aurait un sens, mais en lieu et place de cela c’est une minorité qui s’enrichit au détriment du peuple. Je ne suis ni un frustré ni un aigri parce que je n’avais pas des intérêts personnels à défendre quand j’ai soutenu ce régime. Je n’attendais pas une part de gâteau et ça, je l’ai dit lors de la conférence de presse au cours de laquelle j’ai donné mes consignes de vote pour Ouattara en octobre 2010. J’ai dit lors de cette conférence que je garderai le rôle de sentinelle défenseur des intérêts du peuple et c’est ce rôle que je continue de jouer. C’est une simple question de cohérence et de consistance.
Certains vous taxent d’être le successeur ou l’héritier politique du défunt sergent chef IB dont vous voudriez venger la mort ?
En tous cas, je ne me reconnais pas être le dépositaire de cet héritage ! Si tous ceux qui ont connu IB à un moment de leur vie devaient être ses héritiers, je crois que le président Ouattara en serait l’un d’eux puisqu’il a connu IB avant moi ! Je ne fais même pas cas de ses amis avec lesquels ils vivaient dans la même maison à Ouagadougou pendant leur exil. Pourquoi eux ne seraient pas ses héritiers et que ce serait moi qui ne l’ai connu brièvement, qui le serait ? Il ne faut pas accorder de crédit à ce type de propos ; quand les gens veulent vous assassiner ils préparent l’opinion avec toutes sortes d’arguments qui peuvent arranger le discours qui soutiendra leur acte odieux en préparation.
A côté de cela, vous avez récemment approuvé les positions de Jean-Louis Billon, le ministre du Commerce qui tout comme vous s’opposait à l’attribution du marché du second terminal à Conteneurs à la société Bolloré Logistics. Ne voyez-vous pas que la récente venue de Vincent Bolloré à Abidjan est un pied de nez à la lutte que vous menez ?
Si Bolloré et ceux qui l’ont invité le considèrent ainsi, alors tant mieux pour eux, car pour moi ce n’est pas une affaire personnelle, c’est une affaire d’intérêt national ! Je ne prends jamais à titre personnel ou de manière émotionnelle les affaires qui concernent la gestion des affaires publiques. Si Bolloré fait un pied de nez à quelqu’un, ce n’est pas à moi, mais à ceux qui sont aux affaires et qui sont supposés défendre la prévalence des intérêts du pays sur tout autre intérêt. C’est peut-être aussi de la conscience politique du peuple qu’il se moque et non de moi !
Le combat contre Bolloré n’était-il pas un combat perdu d’avance vu les rapports amicaux que certains disent exister entre Bolloré et le président Ouattara dont-il aurait soutenu la campagne ?
Peu importe ce que Bolloré aurait fait pour le président Ouattara, on ne gère pas un pays par « amicalisme » ou clientélisme. Je pense que dans l’intérêt des consommateurs et des entreprises de notre pays, le président ne devrait pas autoriser une situation de monopole au niveau de la gestion des terminaux à conteneurs du port d’Abidjan. Accorder ce monopole à Bolloré, serait une trahison du peuple de la part du Président Ouattara. Nous savons tous que le port est la porte d’entrée et de sortie des marchandises dont les prix du transport se répercutent sur les prix, donc sur le budget des citoyens. On ne peut pas prétendre vouloir lutter contre la cherté de la vie et les inflations en accordant un monopole à un commerçant ou à un transporteur. Œuvrer sciemment et de manière préméditée contre les intérêts de ses propres concitoyens pourrait être considéré comme un acte de haute trahison. Nous espérons que le président Ouattara ne trahira pas son serment solennel. Par ailleurs, au-delà de l’aspect lié à la concurrence qui profite naturellement aux consommateurs, c’est aussi une question de sécurité nationale et en la matière, il est conseillé de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
Ne vous sentez-vous pas trahi par Billon qui était une figure importante de ce combat contre cette multinationale puissante devant laquelle votre combat ressemble au combat du pot de verre contre le pot de fer ?
Je ne me sens trahi par personne, car ce combat que nous menons, nous ne le menons pas pour Monsieur Billon, mais pour le peuple. Dans un combat chaque combattant donne ce qu’il peut, dans la limite de ses capacités, pour faire avancer la lutte. On ne peut pas demander à quelqu’un d’apporter plus qu’il ne peut apporter. C’est pourquoi nous avons salué la voix de monsieur Billon qui est venue s’ajouter à la nôtre pour défendre les consommateurs ivoiriens. Maintenant si monsieur Billon est fatigué ou s’il y a des contraintes qui l’empêchent de continuer ce combat, nous n’allons pas aller lui imposer qu’il aille chaque jour parler d’un sujet pour lequel il a dit ce qu’il pensait devoir dire ! C’est à nous de continuer le combat, dans l’intérêt du peuple, car c’est à nous que les décisions s’appliquent !
La défense de ce problème semble vous tenir à cœur ! N’est-ce pas parce que vous êtes vous-même un homme d’affaire ?
Il est vrai que j’ai une licence d’importateur dans le cadre de mes affaires, puisque j’ai une société de bureautique et librairie, mais vous savez que mes activités ne sont pas orientées en générale sur la Côte d’Ivoire à cause du climat politique qui m’y est défavorable. Ce n’est donc pas une affaire personnelle, mais une affaire de défense d’une cause collective. Si cette affaire me préoccupe c’est qu’elle frappe tous les consommateurs. Et quand la vie est chère au pays cela nous concerne tous, qu’on soit au pays où à l’étranger. Quand la pauvreté frappe nos parents on est obligé de payer pour les maintenir en vie. Si on ne lutte pas pour cette cause en pensant qu’on n’est pas au pays, cela nous rattrapera d’une manière ou d’une autre au niveau du porte-monnaie.
Croyez-vous que le Président Ouattara pourra faire machine arrière ?
Ce n’est pas une question de faire marche ou machine arrière, il s’agit simplement de regarder là où se trouvent les intérêts des citoyens au nom desquels il parle et de faire en sorte que ceux-ci ne soient pas pénalisés par une situation de monopole qu’on accorderait à une société dont les pratiques dans le monde ne sont pas celle d’un enfant de cœur. Je rappelle que Bolloré vient récemment d’être condamné en France à payer une amende de 2 millions d’euros dans un procès où il était poursuivi pour corruption internationale. N’oublions pas que les coûts d’acquisition ou d’acheminement des produits sont des facteurs qui contribuent à renchérir les prix de vente.
L’autre chose à noter est que la directive anticoncurrentielle de l’UEMOA s’oppose à ce type de monopole qui met une société en situation de dominance sur un marché, comme cela risque d’être le cas si on accorde ce marché à Bolloré, ce qui naturellement restreindra le jeu de la concurrence.
Si le Président Ouattara venait à finaliser cet arrangement douteux, ce serait accorder une prime à Bolloré qui a obtenu le premier marché dans des conditions que le Parti du président Ouattara lui-même, ainsi que tout le RHDP a dénoncé en son temps. C’est une question de cohérence, en plus du fait que cela porte préjudice au droit communautaire qui est supposé avoir l’exclusivité et la primauté sur le droit national. Attendons donc la décision de la Cour de justice de l’UEMOA qui a été saisi et qui statuera en se basant sur l’article 28-1 de la directive de 2002, et voyons si le Président en exercice de la CEDEAO ira contre une Décision de l’union Monétaire Ouest Africaine ?
Pour ma part je pense que sans attendre la décision de l’UEMOA, le Président devrait d’autorité faire annuler ce marché et le faire relancer en excluant Bolloré de la soumission, du fait qu’il gère déjà un terminal.
Que dites-vous, face aux autres actes de corruption qu’on reproche de plus en plus au régime de Ouattara et surtout, face à l’enrichissement illicite des seigneurs de guerre dont une partie du train de vie vient d’être exposé par le Film «Passeport pour le crime » ?
La Côte d’Ivoire se retrouve à la 154 eme place sur 182 pays selon le classement 2011 de Transparency international, ce n’est pas acceptable. Je pense que cette position doit avoir évolué négativement parce que de 2011 à aujourd’hui tout le monde est d’accord pour dire que les choses n’ont fait que s’aggraver en ce qui concerne la corruption ! Ce n’est pas que d’autres cas de corruption ou d’irrégularités constatées dans les passations de marchés publics ne nous préoccupent pas ! De toutes les façons vous savez que je fais parties de ces personnes qui ne fermeront jamais les yeux et la bouche, tant qu’un pan entier de notre population vivra dans la misère et dans l’insécurité sociale comme c’est le cas aujourd’hui. Surtout que pendant ce temps un groupuscule de personnes violentes ou de personnes qui croient avoir des droits princiers sur les richesses collectives, pillent ces richesses avec lesquelles ils s’offrent une vie de paradis sur terre, au moment où la majorité de nos compatriotes est obligée d’endurer l’enfer de la misère. C’est d’ailleurs cette situation inacceptable qui me pousse à dénoncer sans relâchement et publiquement, tous les cas de corruption dont je suis informé. Cela dit, si je pointe fortement et particulièrement du doigt ce problème lié à la situation de monopole au Port d’Abidjan, c’est parce que ce n’est pas un marché comparable aux autres marchés. Voyez-vous, il est courant de voir que sous les semblants de démocraties, un politique peut se comporter en hors-la-loi ou faire à sa tête en accordant de gré à gré des marchés de construction de bâtiments publics ou des marchés de construction de ponts ou de routes. Ce type de comportement de mauvaise gouvernance qui est une caractéristique des régimes de prédation, est certes condamnable mais hormis les questions de moralité et d’équité, on peut minimiser leurs impacts sur la totalité du peuple. On peut faire remarquer qu’une fois le marché attribué et que la route ou le bâtiment est construit, les usagers en jouirons, peu importe que l’ouvrage ait été construit par l’entrepreneur X ou Y. Ce qui n’est pas le cas d’un marché public comme celui du Port où si tu mets quelqu’un en situation de monopole, c’est tous les citoyens et les entreprises du pays qui seront obligés de subir les prix d’une seule et même société pendant 10 ou 20 ans ! Est-ce que le dirigeants qui en connaissance de cause agit de cette façon, démontre là qu’il aime vraiment son pays et ses habitants ? J’espère simplement qu’ADO ne fera pas cette erreur politique que ne ferait même pas le plus novice des politiciens, encore moins un économiste qui se réclame d’un libéralisme à visage humain. Parce qu’à la fin de son mandat ce ne sont pas ses collaborateurs et les individus qui reçoivent des pots de vins, pour laisser ce genre de chose se faire, qui seront jugés.
En ce qui concerne les comportements ostentatoires de personnes qui s’enrichissent de manière illicite et qui narguent le peuple avec la complicité silencieuse et inactive des hauts dirigeants, je crois que le peuple n’est pas aveugle et qu’en temps opportun il en tirera les conséquences.
Pensez-vous que la réconciliation est possible dans cette atmosphère où le désordre et le conflit profitent à l’enrichissement et à la conservation de pouvoir de certains ?
J’ai toujours dit que la réconciliation était une question de volonté politique. Tant que certains penseront qu’ils ont tout intérêt à maintenir ouverts les clivages et les antagonismes, parce qu’ils en tirent un bénéfice politique et matériel, ils ne feront rien pour nous conduire à la paix. On divise les ivoiriens, on les oppose les uns aux autres, on fait croire à certains qu’ils auront droit à des emplois qu’on refusera aux autres ! Pendant que certains fils du pays passent des nuits blanches à étudier pour réussir leurs études, les nominations se font sans tenir compte des niveaux scolaires et aptitudes intellectuelles attestées. Des titulaires de Maitrises et de Master ainsi que des ingénieurs sont laissés de côté, pendant que les emplois se distribuent par affinité clanique et clientélisme assumé publiquement ! Tout ça doit cesser ! C’est contre ce type de discours et ce type de comportements qu’on s’est battu il y a peu de temps de cela, il ne faut pas qu’on l’oublie ! Il n’y aura pas de réconciliation dans l’exclusion ethnique et sociale.
Quel message à l’endroit des ivoiriens ?
Je demande au peuple de ne pas se laisser gagner par la fatalité. Je ne suis pas fataliste et je veux partager mon optimisme avec mes compatriotes. Je sais que notre pays regorge encore de fils dignes qui se soucient du bonheur et du bien-être collectif ! J’ai confiance en l’avenir et je pense qu’un changement positif est possible ! Traçons ensemble les sillons de ce changement par nos résistances quotidiennes, en gardant à l’esprit que le bon dirigeant c’est celui qui sert le peuple et non celui qui se sert du peuple.
Réalisée par Guy TRESSIA
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