Le 3 octobre 2013, dans son allocution d’ouverture du 12ème Congrès du PDCI-RDA, Henri Konan Bédié a définitivement sali son honneur et, en sa qualité d’ancien président de la République, écrit une page honteuse de l’Histoire de la Côte d’Ivoire, au moment même où le pays subit une des plus difficiles épreuves tant politique qu’économique et sociale de sa jeune histoire.
Son discours, dans la forme et le fond, a été, littéralement, hallucinant ! A sa lecture j’ai repensé à la phrase du Général De Gaulle parlant de Pétain à la fin de la IIème Guerre Mondiale : « La vieillesse est un naufrage » !
Le moment d’incrédulité passé, j’ai beaucoup réfléchi avant de prendre ma décision et de répondre. En effet le pays traverse une crise terrible et la seule voie raisonnable pour sortir la Côte d’Ivoire de ce drame est celle d’une Réconciliation nationale sincère et véritable. Aussi le temps des anathèmes et des exclusions doit être dépassé, ce qui est, en soi, une épreuve que chacun doit mesurer à sa juste valeur.
Ma décision ne vise pas le PDCI-RDA, grand parti politique, créé par le président Houphouët-Boigny et qui a lutté pour l’indépendance nationale, il ne vise pas ses cadres, ses militants ni ses électeurs qui, dans une société démocratique telle que le président Gbagbo la conçoit, méritent le respect pour leurs convictions. Je connais de nombreux dirigeants de ce parti, j’ai côtoyé certains d’entre eux au Lycée Classique d’Abidjan ou quand j’étais en poste au Ministère des Finances à la fin des années soixante dix et je sais qu’ils sont, sans doute, les premiers meurtris, en leur âme et conscience, du « dérapage incontrôlé » de celui qui s’est, ainsi, disqualifié lui-même.
Dans cet esprit de réconciliation et de respect, le FPI avait envoyé un de ses hauts dirigeants, Miaka Oureto, et une délégation pour saluer les militants du PDCI-RDA qui, tout en étant des concurrents politiques, sont aussi membres de la même communauté de Destin, la Côte d’Ivoire, le Bien Commun de toutes et tous. C’est, d’ailleurs, par respect pour cet esprit de réconciliation et pour ces militants que la délégation du FPI n’a pas quitté la salle, ce qui aurait dû être sa démarche légitime.
Pourtant Henri Konan Bédié semblait, au début de son intervention, être animé des meilleurssentiments et soucieux de préserver cet esprit :
« Aux responsables des partis politiques ivoiriens, je veux également dire merci. Notre Congrès est également le vôtre car nous discutons, sous des angles différents peut-être, d’un sujet qui nous est commun, le devenir de notre chère Patrie, la Côte d’Ivoire. Nous nous réjouissons donc de votre présence réconfortante, convaincus que nous saurons, malgré les divergences politiques qui peuvent exister entre nous, trouver des points communs pour défendre, ensemble, la mère patrie et la démocratie »
« Timeo Danaos et dona ferentes » écrit Virgile dans l’Enéide : « méfions nous des Grecs, mêmes ceux qui apportent des cadeaux » ! En effet toute la suite du discours est une avalanche de falsifications et d’injures publiques, en particulier à l’encontre du président Laurent Gbagbo et de ses millions de partisans politiques. Ainsi, devant des milliers de délégués de son parti, devant les représentants des autres partis politiques de Côte d’Ivoire, devant ceux des « partis-frères venus de l’extérieur du quadrilatère que constitue notre pays(…) », devant les représentations diplomatiques de pays « amis et frères » (auxquels, curieusement, HKB demande de saluer leurs « souverains » alors qu’ils viennent, essentiellement, de pays républicains où le Chef de l’Etat n’est pas un « souverain » mais seulement le représentant du peuple souverain….), le président sortant du PDCI-RDA se déchaine, endossant le costume d’Ubu-Roi :
-en 2000 l’élection présidentielle, à laquelle ont participé près de 40% des ivoiriens et non pas « quelques électeurs », a été régulièrement gagnée par Laurent Gbagbo et « sauvée » par la mobilisation populaire qui a refusé de se faire voler la victoire. D’ailleurs Bédié lui-même se contredit dans ses propos : d’une part il indexe le président Gbagbo qui aurait « roulé dans la farine » le Général Guei, d’autre part il affirme que ce sont les électeurs PDCI qui ont « pensé bien faire en portant leur choix » sur Laurent Gbagbo. Comprenne qui pourra….
– il « justifie » le Coup d’Etat manqué de septembre 2002 par le « partage du gâteau » qui aurait été mal fait ! Se souvient t’il que le 19 septembre 2002 le gouvernement comprenait cinq ministres PDCI et quatre RDR et qu’un an auparavant le président Gbagbo avait organisé le Forum de Réconciliation Nationale qu’il avait fait présider par Seydou Diarra et qu’il avait, à cet occasion, réuni tous les grands responsables ivoiriens, à commencer par Bédié lui-même, qu’il avait fait revenir de l’exil parisien où il se trouvait après sa fuite honteuse de décembre 1999 ?
-après une « réécriture » très personnelle des différentes étapes des négociations de sortie de crise (Lomé, Accra, Prétoria), il affirme apprendre, « à la surprise générale », les discussions entre Laurent Gbagbo et Guillaume Soro qui conduiront à l’Accord Politique de Ouagadougou (APO). A t’il oublié que c’est dans un discours télévisé à la Nation, le 19 décembre 2006, que Laurent Gbagbo a lui-même tendu la main aux rebelles pour trouver une solution nationale à la crise alors que la « communauté internationale » s’enlisait dans ses propres tentatives et qu’il a pris soin d’associer au suivi de cet Accord et Ouattara et Bédié, à travers le Cadre Permanent de Concertation (CPC), afin de ne laisser personne sur le bord du chemin ?
-sa description de la situation économique sous la présidence de Laurent Gbagbo ressort du même mécanisme de déformation de la réalité. Cette réalité s’illustre à travers le doublement du budget de l’Etat, la bonne gouvernance sanctionnée par l’atteinte du Point de Décision du processus PPTE en avril 2009 et la croissance régulièrement positive de l’économie malgré la guerre, la fracture du pays et le pillage organisé d’une partie de la richesse nationale par ceux là mêmes que Bédié va supporter en novembre 2010.
– Non le pays ne s’est pas, « cahin, caha » déporté jusqu’à l’élection de 2010. Pendant toute la période entre l’APO et l’élection présidentielle, le président Laurent Gbagbo a été soucieux de l’intérêt général en associant toutes les composantes de la classe politique au gouvernement (rappelons que près de 70% des ministres étaient issus du RHDP !) et en laissant une Commission Electorale Indépendante (CEI) quasiment aux mains de l’opposition.
– Bédié « n’a pas souhaité entrer dans le détail du quotidien des ivoiriens, jusqu’à l’élection présidentielle de 2010… » Et pourtant c’est le moment qu’il choisit pour se livrer à la pire attaquecontre le président Gbagbo, en osant, sans vergogne, comparer le pays à l’Allemagne « du temps du sinistre Adolf Hitler » !
Monsieur Bédié il faut vous rafraichir la mémoire :
-qui a fait voter une loi pour offrir une retraite dorée aux anciens Chefs d’Etat et de Gouvernement, ce qui vous a directement profité, sinon Laurent Gbagbo ?
-qui a fait rénover et mis à votre disposition une villa de grand standing, en votre qualité d’ancien Président, sinon Laurent Gbagbo ?
-qui a fait voter une loi sur le financement des partis politiques, dont vous bénéficiez directement, sinon Laurent Gbagbo ?
-qui a fait voter une loi sur la liberté de la presse et son financement, en se refusant à poursuivre les journalistes, même quand ceux-ci proféraient les pires insultes contre le président, sinon Laurent Gbagbo ?
A l’inverse, qui a fait arrêter et détenir dans les pires conditions des opposants politiques (rappelons- nous Charles Blé Goudé enchainé sur son lit d’hôpital), sinon vous-même ?
-qui a fait condamner et emprisonner des journalistes pour une simple critique relative à un match de football, sinon vous-même ?
-qui a fait bastonner par un de ses ministres un dirigeant syndical, sinon vous-même ?
-qui a mis la Côte d’Ivoire au ban des nations en détournant les aides de l’Union Européenne (que Gbagbo remboursera), sinon vous-même ?
Mais là ne s’arrête pas l’incohérence et la dérive intellectuelle du successeur désigné du président Houphouët-Boigny dont les plus anciens compagnons encore en vie, et sans doute présents au Congrès, ont du être partagés entre stupeur et désolation en écoutant ce déferlement de haine recuite, de contre-vérités flagrantes et, signe révélateur de cette incohérence, de stigmatisation de « l’allié » dans le RHDP:
– la peinture apocalyptique d’une Côte d’Ivoire sombrant dans la décomposition économique et sociale, avec son cortège de victimes vivotant « souvent dans des conditions indescriptibles », en oubliant qu’il n’aura fallu que quelques coups de feu en décembre 1999, pour que Bédié détale jusqu’au 43èmè Bima, dans un grand tourbillon de liesse populaire et d’acclamations pour ces « jeunes gens » qui avaient si promptement débarrassé le pays d’un véritable prédateur,
– la dénonciation du « népotisme »du président Gbagbo dont les « faveurs sont accordées aux gens de sa région d’origine, de sa tribu, de son village ou de sa famille, au détriment des autres »,en oubliant les travaux pharaoniques et somptuaires de Pepressou et de Koukourandoumi, les mainmises familiales sur les contrats économiques (riz, pétrole, télécoms, etc…), les nominations indécentes de proches dont l’incompétence allait de pair avec le manque le plus élémentaire de probité et, pire acte posé à l’époque de sa présidence, le concept d’ivoirité,
-le rejet, pêle-mêle, de tous les drames qu’a vécu le pays dans la période (charnier de Yopougon et affaire du Probo-Koala en particulier) sur le président Gbagbo, alors que l’on sait qu’il faut toujours chercher les coupables parmi ceux « à qui profite le crime »,
– la description saisissante de la Transition militaire, amalgame d’exactions, de pillages, de viols, et de justice expéditive, qui préfigure ce que sera la situation à la prise de pouvoir, sous les bombes de Nicolas Sarkozy, de Ouattara et de son allié Bédié !
– l’affirmation d’avoir été volé au premier tour de la présidentielle de 2010, où le recomptage des voix (on se pince pour croire ce que l’on entend !) aurait du être effectué et précisant qu’il en avait informé, entre autres, le Conseil Constitutionnel, ce qui est un mensonge flagrant car aucun recours n’a été déposé en temps et en heure par sa Direction de Campagne (peut être que son Conseil Juridique, Ahoussou Jeannot avait, lui, un agenda caché…)
-la longue et indigeste litanie des résultats des « élections » législatives et locales de 2011 et 2012 où Bédié tente, désespérément, de démontrer la force du PDCI-RDA, en omettant, simplement, de dire le peu de valeur probante d’un scrutin boycotté, à juste raison, par 85 % du corps électoral.
– la déception devant le fonctionnement confiscatoire du RHDP par Ouattara et son entourage, réduisant le « Julius Nyerere » ivoirien au rang de comparse manipulé.
Il ne m’appartient pas de me prononcer sur toute la partie du discours où Bédié s’exprime sur le PDCI-RDA et énumère ses suggestions. C’est du ressort des militants de ce grand parti et je n’émettrai qu’un vœu : qu’ils soient guidés par la sagesse de leur père-fondateur….
En ce qui nous concerne nous devons rapprocher cette diatribe de Bédié avec d’autres événements récents qu’a connue la Côte d’Ivoire :
-libération de quelques prisonniers politiques,
-refus, par le gouvernement en place, du transfert de Simone Gbagbo à la CPI en soulevant l’exception d’irrecevabilité,
-levée des scellés du mandat de la CPI contre Charles Blé Goudé,
-reprise des activités, principalement des tournées dans l’intérieur du pays, des dirigeants libérés du FPI, dans un climat de ferveur populaire et dans l’objectif d’une véritable réconciliation nationale,
– dégradation inexorable de la situation économique et des conditions de vie des ivoiriens et des ivoiriennes, dans un environnement secoué par les scandales d’Etat et la mal gouvernance.
Comme nous ne cessons pas de le dire depuis son emprisonnement, la libération du président Laurent Gbagbo et son retour dans le paysage politique de la Côte d’Ivoire, avec tout ce que cela entend en terme de capacité à discuter, sans exclusive, avec les uns et les autres pour sauver le pays d’une catastrophe annoncée, devient, chaque jour qui passe, de plus en plus nécessaire.
Seul, encore une fois, Bédié, autiste politique, s’arcboute sur sa vision des choses : « La paix revenue (sic), le dictateur parti à la Cour Pénale Internationale, la CPI, il n’y avait donc plus de raisons pour que nous ne puissions pas nous retrouver ». De quelle paix, de quel dictateur Bédié parle-t-il ?
La Côte d’Ivoire est désormais à la croisée des chemins.
Ouattara a fait, en quelques mois, la démonstration de son incompétence, entouré d’un clan de fidèles qui mettent le pays en coupe réglée d’une part, et d’une clique de soldats de fortune pilleurs et bourreaux, aujourd’hui dénoncés même dans les medias occidentaux, d’autre part. Son parti, le RDR, « domine » l’Assemblée Nationale avec des élus représentant, à peine, 7 % du corps électoral sous le regard attentif de son Président qui le soutient comme « la corde soutient le pendu ».
Le FPI, on l’a dit, s’est repositionné au centre de l’échiquier politique et fait renaitre l’espérance dans une population à-bout de tout. La vacuité, démontrée, des « charges » contre le président Gbagbo est un pas décisif vers son élargissement dans l’intérêt de tous, y compris des partenaires historiques de la Côte d’Ivoire, à commencer par la France.
Reste le PDCI-RDA, troisième pilier majeur de l’édifice politique ivoirien. Je sais les inquiétudes de nombre de ses dirigeants tant sur la situation nationale que sur l’avenir immédiat de leur parti. Ils ont en main leur destin et, en grande partie, celui du pays pour le futur proche. Les actes qu’ils vont poser après ce Congrès feront que la Côte d’Ivoire redeviendra vite, ou non, le pays de la « vraie fraternité » comme le proclame l’ « Abidjanaise ».
Mon passage au Ministère des Finances, entre 1975 et 1977, a coïncidé avec les scandales dits des « complexes sucriers » de Borotou. Je me souviens de la consternation et de l’impuissance des assistants techniques français face à ces dérives. Début 1977, le Ministre lui-même, c’est à dire Bédié, avait signé la prolongation de mon contrat. Pour des raisons familiales j’avais dû y renoncer et rentrer en France. Quelques mois plus tard Bédié était « emporté » par le « vent du 20 juillet » comme l’a dit, à l’époque, Laurent Donat Fologo….
Quand je relis le discours de Bédié au Congrès du PDCI-RDA, je forme des vœux pour qu’un nouveau « vent » l’emporte, cette fois définitivement, du paysage politique national.
Le 5 octobre 2013,
Bernard Houdin
Conseiller Spécial du président Laurent Gbagbo
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