Thomas HOFNUNG – liberation.fr
ANALYSE
La CPI a rendu public le mandat d’arrêt lancé en décembre 2011, et tenu secret jusqu’ici, contre Charles Blé Goudé, l’ancien leader des «Jeunes Patriotes».
La partie de bras de fer continue entre la Cour pénale internationale (CPI) et le pouvoir d’Abidjan. Ce mardi, la cour installée à La Haye a rendu public le mandat d’arrêt lancé contre Charles Blé Goudé, l’ancien leader des Jeunes patriotes, une force aux allures de milice au service de l’ancien président Laurent Gbagbo de 2002 à 2011.
Cette annonce intervient quelques jours après que le régime d’Alassane Ouattara a refusé de transférer à La Haye la femme de l’ex-numéro un ivoirien, Simone Gbagbo, emprisonnée en Côte-d’Ivoire. En novembre 2011, quelques mois après la fin de la crise post-électorale dans cette ancienne colonie française, elles avaient à l’inverse remis à la CPI l’ancien président Laurent Gbagbo.
En refusant de lâcher le pouvoir en faveur de son rival Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo avait plongé la Côte-d’Ivoire dans la crise la plus grave de son histoire. Mais Abidjan n’en a pas fini avec lui : en juin dernier, les juges de la CPI ont demandé à la procureure Fatou Bensouda de préciser les charges retenues contre lui, les estimant insuffisantes pour déboucher sur un procès. Une décision finale devrait être prise à ce sujet dans les tout prochains mois.
«Le général de la rue»
Le mandat d’arrêt contre Blé Goudé, surnommé à Abidjan «le général de la rue», avait été émis en décembre 2011 et tenu secret depuis lors. Ephémère ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo après l’élection présidentielle de la fin 2010 et chef des «Jeunes Patriotes», Charles Blé Goudé avait été arrêté le 17 janvier au Ghana après plus d’un an et demi de cavale et extradé dès le lendemain vers la Côte-d’Ivoire, où il est détenu. Dans le mandat d’arrêt, les juges estiment qu’il y a des motifs raisonnables de croire que «Charles Blé Goudé recevait des instructions de la part de Laurent Gbagbo, qui le consultait également sur des questions politiques importantes». Il aurait exercé un «contrôle conjoint sur les crimes, dans la mesure où il avait un pouvoir de contrôle et donnait des instructions directement aux jeunes qui étaient systématiquement recrutés, armés, formés et intégrés à la chaîne de commandement des Forces de défense et de sécurité ivoiriennes (FDS).»
Cette requête est très embarrassante pour les autorités ivoiriennes. Car on voit mal comment elles pourraient accéder à la demande de la CPI après avoir déclaré être en mesure de juger l’ex-Première dame en Côte-d’Ivoire pour justifier son non-transfèrement.
Gaffe du ministre de la Justice
La divulgation du mandat d’arrêt visant Blé Goudé pourrait s’expliquer, en premier lieu, par la gaffe commise récemment par le ministre ivoirien de la Justice. Interrogé à ce sujet, Gnénéma Mamadou Coulibaly avait confié que «Charles Blé Goudé (faisait) effectivement l’objet d’un mandat d’arrêt.» Mais cette décision peut aussi être interprétée comme la volonté de la part de la CPI de mettre le régime ivoirien face à ses responsabilités: si la justice d’Abidjan est aujourd’hui en ordre de marche, comme le prétend le pouvoir, qu’elle juge les anciens responsables actuellement sous les verrous, semble vouloir dire la CPI.
La question, en creux, est de savoir si elle est également prête à juger les auteurs présumés d’exactions qui ont combattu en faveur d’Alassane Ouattara en 2011. Aujourd’hui, aucun responsable du camp présidentiel n’a été mis en examen, et encore moins inquiété. Bien au contraire, les anciens «commandants de zones», figures de la rébellion qui a contrôlé la moitié Nord du pays pendant dix ans, ont tous été promus par le successeur de Gbagbo. «Cette annonce tombe mal», déplore un bon connaisseur du pays, qui reproche à la CPI de jeter de l’huile sur le feu. Elle survient au moment où le régime de Ouattara multiplie les efforts en faveur de la réconciliation nationale. Or, selon cette même source, «Blé Goudé garde la main sur des réseaux actifs en Côte-d’Ivoire, il a un vrai pouvoir de nuisance.»
Thomas HOFNUNG
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