Interview Dr Langui Roger (Jpdci) « La candidature de Bédié ne fait honneur ni au Pdci ni à la Côte d’Ivoire »

DR LANGUI ROGER INTERVIEW

« Bédié n’a plus le soutien des Ivoiriens et des Baoulé »

Interview Avant le prochain Congrès du Pdci

Par Fatima Berthe Gooré | Connectionivoirienne.net 25 septembre 2013

Dr Langui Konan Roger, Enseignant-chercheur à l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody., est membre du Conseil politique de la Jpdci et écrivain. Il est également originaire du département de Tiébissou dans la Région du Bélier dans le centre de la Côte d’Ivoire. Dans cette interview, il se prononce sur le prochain congrès du Pdci. Notamment, sur les candidatures de Bédié, Djédjé Mady et dit pourquoi KKB est le meilleur candidat. Aussi s’insurge-t-il contre les dernières décisions du Bureau politique de son parti.


Le Congrès éclaté de votre parti a enfin donné ses résultats. Les secrétaires généraux de section sont unanimes sur la candidature du Président Bédié et sur la levée de la limite d’âge des 75 ans. Quel commentaire faites-vous de ces décisions ?

Avant tout propos, en tant que militant du Pdci, je voudrais bien me prononcer en tant qu’intellectuel et observateur de la scène politique ivoirienne. Nous avons tous ce devoir, à la lecture des événements tragiques que notre pays vient de traverser. Il s’agit en réalité de penser et d’agir en sorte qu’on ne débouche pas sur d’autres crises telles que celles que nous venons de vivre. Je vous le dis franchement parce que je ne partage pas cette candidature du Président Bédié. Je souhaite que ceux qui peuvent lui parler le fasse maintenant. C’est une candidature qui ne fait ni honneur au Pdci-Rda, ni à la Côte d’Ivoire. Je le dis, je l’assume. Et je ne manquerai pas de le lui dire face à face à la première occasion.

À entendre les uns et les autres, le Président Bédié n’est pas demandeur. Ce sont les Secrétaires généraux de section qui lui ont fait la proposition pour la cohésion du parti doyen. Cela en principe ne devait pas poser de problème au nom de l’unité du parti ?

S’il n’est pas demandeur alors qu’il refuse. Tout ceci est grave. Est-ce à dire que le PDCI-RDA est un habitué des tripatouillages ? En tout cas, je m’étonne de la sérénité des acteurs de cette cabale contre la démocratie dans notre parti.

L’on crie sur tous les toits que c’est les hommes qui font les textes et les appliquent. Il est aussi dit que seul le Président Bédié incarne l’unité et la cohésion. Alors ne faut-il pas lui donner une dernière chance afin de mettre plus d’ordre avant son départ de la direction ?

Je ne suis pas d’accord. Je pense que le Président Bédié a peut-être eu un destin politique assez difficile mais je ne pense pas qu’il ait échoué. Or dire que c’est maintenant qu’il doit organiser le parti ou former quelqu’un pour sa succession, c’est avouer qu’il a échoué. D’autre part, dire qu’aujourd’hui, il n’y a que lui qui soit rassembleur, c’est insulter l’intelligence des militants. Un parti politique qui fonctionne doit répondre à toutes les équations. Le Président Bédié a incarné une vision politique, il est temps à mon avis que d’autres expériences s’expriment.

À vous entendre, doit-on conclure que la candidature du Secrétaire général Alphonse Djédjé Mady est la bienvenue ?

Oui et non. Oui parce qu’elle veut partir du principe que Bédié est inéligible et non parce qu’elle ne semble pas être à même de prôner le changement souhaité par la jeunesse. Ce n’est pas un problème de personne, c’est un problème de génération. Pour moi, il doit avoir un avant et un après cette guerre postélectorale. Mais pour être juste avec moi-même, c’est au plan éthique que cette candidature me gène.

Pourquoi ?

D’abord, Monsieur Djédjé Mady est le Secrétaire Général du Pdci. Dans le mot ‘’secrétaire’’, je vois deux mots : « secret » et « taire ». Un Secrétaire général est donc celui qui détient un « secret », qui est assis sur une mine d’informations, de données. Par conséquent, il ne parle pas tout le temps. Quand il le fait, tout ce qu’il dit a un sens parce qu’il est le dépositaire de la politique générale de la structure qu’il anime et de la politique même du Président de la structure en question. C’est une erreur de n’avoir pas proposé dans nos textes qu’il soit exonéré de tout droit à candidater contre son Président juste à la fin de leur mandat. Cela pose un problème d’éthique. Le cas Fologo n’a pas inspiré le législateur du 11ème congrès, c’est une grave omission. Mais la situation du SG Djédjé Mady est particulière parce qu’elle a débouché sur un échec ouvert du Pdci-Rda. Il nous doit donc le bilan des années Bédié et rien ne doit nous faire changer cette donne. De plus, il a été le président du directoire du RHDP. Je n’ai pas appris qu’il a démissionné.

Diriez-vous également non à cette candidature si le Président Bédié n’était pas candidat et qu’il positionnait M. Djédjé Mady ?

Dans ce cas, M. Djédjé Mady représenterait officiellement le Président Bédié dont il est le dépositaire du bilan. Mais je crois qu’il essaie de régler la question en partant du principe que le Président Bédié ne peut pas être candidat.

Cette candidature est en coalition avec le candidat que vous soutenez, KKB. Alors croyez-vous que cette alliance peut aboutir à quelque chose ?

Oui, du moment où elle se fonde sur l’inéligibilité du Président Bédié. D’autre part, Djédjé Mady, je l’ai dit, pour moi, c’est du Bédié. Donc si Bédié n’a pas été capable de donner une orientation, une parcelle de responsabilité à sa jeunesse, que va faire Djédjé Mady ? Le Président Houphouët ne faisait pas de discours sans faire une projection sur la jeunesse. C’est le fondement même de l’houphouétisme, du moins ce devrait-être. Au lieu de cela nous avons entendu le Président Bédié nous traiter de « soldat perdu ». Mais que fait un soldat perdu ? Et si nous sommes des « soldats perdus » où était la boussole qui devrait nous ramener sur le « chemin » pour ne pas faire allusion à son livre ? On ne peut pas combattre ses propres enfants de telle façon. Bédié n’a plus le soutien des ivoiriens et des baoulé, les chefs y compris. Je suis Baoulé vous pouvez me croire. Mais dans tous les cas, les gens peuvent faire une mascarade d’élection à ce congrès, ils n’auront pas d’assises sur ce parti.

Pourquoi dites-vous cela ?

Parce que nous sommes fatigués de nous plaindre, nous voulons agir.

Mais on reproche également à KKB de n’avoir pas été un exemple pour le Pdci et pour la jeunesse de ce parti. Un cas concret, c’est qu’il est dit qu’il n’a pas atteint son objectif au niveau de la mobilisation de la jeunesse.

Je ne peux pas vous laisser dire cela. Je fais partie de ceux qui ont suivi la politique de KKB. Je peux vous dire que je suis en train de finir un ouvrage que j’intitule : « KKB, la jeunesse que je revendique » pour voir un peu son impact sur la jeunesse du Pdci-Rda en particulier et sur la jeunesse ivoirienne en général. Il s’est trouvé des moments où c’est la Jpdci qui a ouvert des voies pour que la direction même du Pdci puisse faire des meetings. Nous avons été les seuls à ouvrir des portes à l’intérieur, à Sassandra, San Pedro, Tiébissou et j’en passe. Là où le Fpi était réputé installé de façon totale, il n’ y a eu que la jeunesse du Pdci-Rda et KKB, parfois à son corps défendant pour fouler ces sols. Aujourd’hui personne ne peut me dire que KKB a manqué de dynamisme. Mais quand vous dites à un enfant « marche un peu bientôt je te porte plus loin », s’il ne voit rien venir, il n’aura plus confiance. Beaucoup de jeunes se sont démobilisés parce que le PDCI-RDA sabotait son propre combat. Mais en tant que président de la Jpdci, voyez combien de séminaires il a convoqué. Des séminaires de réflexion, de stratégie mais encore des actions et des meetings. Or lorsqu’il était sur le terrain, ce sont les mêmes qui le combattaient. Vous avez vu l’épisode Atsé Jean Claude. Il a du gérer cette situation. Aujourd’hui on sait où Atsé se trouve. C’est pourquoi je demande à certains jeunes comme Kamagaté ou Ampirus –pour ne pas les nommer- de se ressaisir, pas que nous ne pouvons pas faire ce combat sans eux, mais qu’ils cessent d’être contre le cours de leur propre histoire.

Mais il lui est reproché également d’avoir mangé à tous les roitelets ?

D’abord cette expression veut dire quoi ? Ensuite, y a-t-il un politicien sur qui ne coule pas ce grand fleuve des ragots ? Je crois moi que les gens l’ont mis dans une situation pour mieux le calomnier. Pouvez-vous me dire quelle est là rétribution financière qui est rattachée au poste de Président de la Jpdci. Le parti n’a pas de ressource pour payer chaque responsable. Nos délégations ont mené des missions dans des conditions inhumaines. Quand tu dois aller en campagne dans une zone, ceux qui sont de cette zone ont un devoir moral, parce qu’ils sont soit élus au nom du parti ou cadre du parti, d’aider le président Bédié à financer ces déplacements. KKB a mené un combat ingrat assorti d’une belle bastonnade et des malédictions parce que quand votre père vous traite de « perdu », ça n’a pas d’autres visées que la malédiction. Non je refuse qu’on traite KKB de d’ingrat ou de militant sans sincérité. Le PDCI-RDA que nous souhaitons ne doit pas agir de cette façon et saboter son propre travail parce qu’au bout du compte on vise à nous décourager.

Il lui est reproché d’avoir sympathisé aussi avec l’ex-parti au pouvoir ?

Vous savez, c’est parce qu’il a sympathisé avec les jeunes du RDR que le RHDP est né. En quoi est-ce qu’en tant qu’acteur politique on est obligé d’être des ennemis? Je ne dis pas qu’effectivement il a eu des accointances avec qui que ce soit. Mais si ça été le cas, je le connais suffisamment pour savoir que c’est dans l’intérêt du parti qu’il a agit. Et puis, de toute façon, il est libre de ses relations personnelles aussi. Il a droit à une vie privée comme tout monde.

Le Bureau Politique réuni le 19 septembre dernier a pris plusieurs décisions. À savoir le paiement de 18 millions de F. Cfa pour les probables candidats. Le BP a qualifié les candidatures de KKB, Djédjé Mady et Kouassi Yao de candidatures autoproclamées. Quel commentaire ?

Croyez-vous qu’on peut subir un coup d’Etat par hasard ? J’ai l’impression que le coup d’Etat que nous avons subi, dans l’esprit de beaucoup de militants, c’est soit l’affaire de Bédié et des putschistes. Mais la plus grande responsabilité revient au parti. Je veux parler de ce type d’attitude qui relève du comportement sociologique au sein du parti. Il en est de même pour notre échec aux Présidentielles. Les conditions d’éligibilité ne peuvent changer entre deux congrès d’autant plus que c’est le congrès qui est légitimité en la matière. Même si le Bureau Politique a certaines prérogatives, le cadre actuel suscitera certainement des doutes légitimes sur cette démarche qui ne répond à rien sinon à exclure tout gage démocratique et maintenir un homme. D’autre part, les ivoiriens en général et le PDCI en particulier doivent cesser de croire que ces l’argent qui fait le monde. L’argent n’est qu’un moyen mais l’essentiel ce sont les idées. Faut-il être riche pour diriger le PDCI-RDA ? Faut-il avoir des idées pour gouverner le PDCI-RDA ? Les militants seuls, au congrès doivent répondre à ces questions et en assumer les conséquences, parce qu’il y a des conséquences à chaque cas. Mais, ils savent tous que l’argent de Bédié n’a pas été suffisant aux Présidentiels.

Aujourd’hui la tension monte à l’approche de la date butoir du Congrès prévu pour octobre prochain. Ne croyez-vous pas les choses risquent de dégénérer ?

On ne le souhaite pas mais on n’a pas le choix. Le président Bédié ne peut pas gagner ce combat. Nous le sortirons de là et il nous bénira de l’avoir fait. Parfois j’ai l’impression même que Bédié est pris en otage. Depuis que je suis ses actions politiques, c’est la première fois que je découvre cette opposition à la démocratie chez lui. Nous allons le libérer et je vous dis qu’il sera soulagé. C’est notre génération qui doit traiter des problème du pays en ce moment et il le sait. C’est pourquoi les mises en scène de pré-congrès éclatés ne nous concernent pas. C’est une mise en scène de ses suiveurs et je cois que lui-même n’aime pas ce jeu intéressé. Ce Monsieur est un symbole pour tout le monde et des gens veulent l’humilier. Chez le Baoulé, on ne décoiffe pas un chef. Si c’est prévu, il quitte calmement le pouvoir. Si nous le battons effectivement, parce que nous en avons les moyens, ils vont eux-mêmes en assumer la responsabilité. Mais même s’il sort vainqueur, quelle autorité aura-t-il ? Il faudrait que des gens sachent faire une bonne lecture des situations.

Vous avez soutenu, lors des élections régionales dans la Région du Bélier le candidat Jeannot Kouadio Ahoussou. Aujourd’hui, quel est l’état des choses là-bas ?

Il faut dire que mon soutien au Premier ministre Ahoussou était bénévole. Au départ, j’étais sur la liste de mon frère Arthur Aloco. Il est arrivé que la lecture que j’ai pu me faire de sa vision politique ne m’a pas rassurée. Au niveau de Tiébissou, le département d’où je suis originaire, j’ai joué ma partition pendant la campagne. J’ai même fait du porte à porte à des heures tardives. Je ne dis pas que je suis le seul instigateur de cette victoire mais je peux dire que j’ai apporté un appui psychologique et un témoignage que je considèrent comme essentiels. Pour l’instant, il vient d’être installé. Il est en train de s’organiser pour engager son programme. S’il y a possibilité de proposition que je ferai sans état d’esprit.

Si vous avez gagné c’est pour développer la région du Bélier en général. Aujourd’hui, qu’est ce que la jeunesse et les populations de Tiebissou ont besoin pour bénéficier de cette victoire ?

Ils ont besoin d’être remercié d’abord. Mais fondamentalement, s’il y a un budget, connaissant le Premier ministre Ahoussou, la part qui revient à Tiébissou lui sera réservée. Le Premier ministre a des liens particuliers avec Tiébissou. Il serait même natif de Tiébissou. Nous avons confiance en lui parce qu’il a le sens de la responsabilité. Alors, dès l’instant que les moyens seront dégagés le 1er Vice-président qui est de Tiébissou peut, en consultant les cadres, nous associer. Mais je pense qu’il faut confirmer le projet général et établir rapidement un programme d’exécution dès que l’Etat aura libéré les choses.

Concrètement quels sont aujourd’hui les besoins de Tiébissou?

C’est vous, lors de la campagne, qui avez fait du porte à porte. Les populations demandent d’abord qu’on les respecte désormais. Ça c’est au plan social et politique. Le Pdci risque de subir la politique du retour du bâton si ce n’est le cas déjà dans certaines zones. Les jeunes aujourd’hui veulent investir dans leur village. Les projets de plantation, de création de centre d’élevage, le développement des villes par l’instauration de points de distraction, des activités socio-économiques. Nous sommes une région de production cotonnière où le tissage du pagne Baoulé est très développé. J’ai été outré d’apprendre que le coton nous vient de Bouaké. Les jeunes ont besoin de se remettre au travail. Il faut leur trouver les moyens de le faire. Nous allons bientôt entrer en contact et porter cette politique devant de nos aînés.

En tant que l’un des éléments importants ayant contribué à la victoire de la liste Ahoussou avez-vous des contacts directs avec lui ?

Pour l’instant, je me refuse à cette politique. Parce que le candidat est dépositaire d’une politique. L’enjeu, c’est la population et non les cadres. Donc, je ne suis là qu’en tant que cadre et je peux faire des propositions quand il y a lieu.

Vous ont-ils appelé à la table des propositions ?

Les propositions peuvent intervenir à tout moment. C’est pourquoi, je demande à la jeunesse de rester mobilisée, de ne pas avoir peur des changements qui vont bientôt intervenir dans notre parti. Sans nous le PDCI-RDA n’a pas d’avenir. Taisons nos émotions et sauvons le PDCI-RDA d’abord. Le Président Bédié est notre père, il sera toujours avec nous. Mais nous devons rester déterminés et prêts à porter le PDCI-RDA au pouvoir en 2015.

Par Fitima Berthe Gooré | Connectionivoirienne.net

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