ETRE MORT: un philosophe des temps modernes, polytechnicien et humaniste Albert Jacquard a dit récemment, juste avant sa propre mort qu’il est antinomique de mettre le verbe ETRE face à la notion de MORT. Cette dialectique sémantique et métaphysique à la fois montre bien son impuissance à convaincre, même soutenue par cette affirmation de Redouanne qui dit que ‘’la réalité est un concept dépassé’’. Etre mort. Ces deux mots ensemble produisent un effet étrange. Comment ETRE et… .
C’est pourtant ce qui vient d’arriver à notre frère, notre ami, notre camarade de combat, notre fils, notre mari, notre père Mahan Gahé. A plusieurs égards, cette mort n’est pas ordinaire.
Basile était un enfant d’ici et nous avions encore besoin de lui pour libérer notre Mère Patrie. On a mal de l’avoir perdu parce que ceux qui lui voulaient un sort aussi tragiquement précipité ne l’aimaient pas et n’aiment pas notre pays. Un journaliste, éveilleur de consciences à la mémoire longue nous rappelait il y a quelques jours que nous sommes tous en danger de mort, en citant à l’appui de sa liste un nombre assez impressionnant de nos frères de combat tombés sous les bazookas assassins et les exactions loufoques et meurtrières de ‘’ces gens la’’. Cette mort n’est pas ordinaire parce que Mahan Gahé était un combattant qui savait la différence entre l’agressivité et le persifflage mais par sa longue fréquentation des milieux internationaux, savait se servir des deux à point nommé. Il savait aussi et surtout à quel moment l’intelligence pouvait parler au cœur des dirigeants politiques d’ici et d’ailleurs, pour aboutir aux résultats qu’il escomptait, en vue de la libération des peuples Africains de l’oppression du Capital. Mahan Gahé est le défenseur des droits humains qui a toujours su montrer par l’exemple le chemin du courage, que la guerre fût chaude ou froide. Au début de notre époque la qualité de syndicaliste était souvent frappée de péjoration, sauf dans le cas de Mahan Gahé qui forçait le respect en refusant de se vendre aux hommes de pouvoir. La finesse de sa contestation l’a toujours rendu sympathique aux yeux de tous et ceci expliquant cela, on ne pouvait rien lui refuser.
Mais Mahan Gahé Basile n’était pas qu’un parangon de la rectitude. Il était aussi un homme. Tout simplement un homme. Dans ses veines, il n’y avait pas de sang mais une rivière d’amitié et d’affection dont le Président Laurent Gbagbo a été sans contexte le plus grand et le plus heureux bénéficiaire. Bien entendu, tout le monde autour de lui a bénéficié de sa générosité de cœur. Du moins ce qu’il en restait quant il avait tout donné à Laurent Gbagbo, son ami, son mentor, sa boussole, son rayon de soleil, sa lumière dans la nuit. Et c’est précisément ce qu’on lui reprochait comme a d’autres qui ont la chance inouïe d’être encore vivants aujourd’hui. Je les entends d’ici ou plutôt j’entends Alassane Dramane Ouattara chaque soir avant de s’endormir se poser cette question sourde et taraudante : <<Qu’est-ce que ce Gbagbo a bien pu leur donner pour qu’ils se tuent et se laissent tuer pour lui ?>> La réponse est très simple. Et Ouattara ne peut pas la comprendre : c’est parce que Laurent Gbagbo est un homme exceptionnel. Mais ce n’est pas le sujet aujourd’hui. La mort de Mahan Gahé n’est pas une mort ordinaire. Il est vrai que le temps et la marée n’attendent aucun homme mais Abidjan attendait Mahan Gahé Basile. Il était de ceux qui savaient dire à la mer de Vridi ‘’encore, encore’’ pour voir revenir les vagues à leurs pieds.
C’était l’époque où l’ambassadeur de France, déjà ! donnait le ‘’la’’ d’une musique sur laquelle était sensée danser toute la Côte d’Ivoire pensante, ambitieuse, volontaire, agissante et tropiste. L’Excellentissime Diplomate, ci-devant doyen du corps diplomatique Jacques Raphael-Leygues déclarait, sûr de lui et péremptoire : << Quel bonheur d’être Ivoirien et d’avoir 20 ans. >> L’ancien officier de la marine Française qui avait tant parcouru le monde y croyait vraiment. Nous aussi, par angélisme et parce que nous n’entendions pas d’autres discours et n’avions pas d’autres modèles contradictoires sous les yeux. Le parti unique triomphant nous enveloppait de son manteau rassurant et apaisant. Le grand Félix Houphouët Boigny chef suprême, à la grande ombre tutélaire et recours assuré pour tous, s’occupait de tout. La jeunesse était anesthésiée et heureuse de l’être. Elle était insouciante et ne regardait jamais dans son rétroviseur. D’autres s’en chargeaient à sa place. Mais il ne vous a pas échappé que ce tableau était trop sévère ou trop idyllique pour être juste. Ce qu’il faut reconnaitre, c’est que dans cette mêlée élégante, raffinée mais un peu confuse, quelques uns d’entre nous se posaient des questions et allaient même jusqu’à concevoir l’idée de faire de la politique différemment. La seule ouverture possible était le syndicalisme libre. Mahan Gahé s’y est engouffré radicalement, la tête la première. A l’époque, il était moqué, voire combattu par la grande centrale syndicale de participation responsable. Son initiative portait un nom qui rappelait étrangement les organisations politico-corporatistes de l’époque triomphante de la lutte de AHMED SEKOU TOURE de Guinée contre le colonialisme, l’impérialisme et les hiboux larmoyants. Le groupe de Mahan Gahé s’appelait DIGNITE. Quelle idée ! Pourtant l’affaire a tenu et elle a duré jusqu’à ce jour. Elle a même pris de l’ampleur et creusé sa place au sein de la communauté des syndicats qui comptent dans le monde. C’est le moment que l’on a choisi pour l’éliminer physiquement. La clameur a déjà désigné les coupables, les assassins qu’il est inutile de nommer ici.
Le martyr et les souffrances de l’Ouest ont trouvé leur visage emblématique. Inutile pour l’instant de revenir sur ce qui a déjà trouvé place parmi les pires atrocités de ce début du troisième millénaire, parce que plus on parle, plus on discourt et c’est inversement proportionnel à l’action. Après un coup aussi dur, j’attends que mes frères de l’Ouest m’étonnent. Et pas seulement.
Il arrive, que des circonstances tristes, difficiles et même tragiques vous conduisent à raconter des histoires moins dramatiques que vous avez partagées avec vos congénères. Quand nous étions jeunes à Abidjan, nous ne vivions qu’au rythme de la rumba Congolaise. Mahan Gahé aussi. Figurez vous que c’est plus de quarante ans après que j’ai découvert grâce à l’excellent Elikia Mbokolo de RFI le sens profond d’une chanson que nous connaissions tous par cœur. Je vous en prie ne riez pas. La chanson s’appelait en lingala : NAKOMITUNAKA. Et elle voulait dire : ‘’Pourquoi ?’’ ‘’Pourquoi tant d’injustice ?’’ ‘’Pourquoi tant de mal ?’’ ‘’Pourquoi tant de méchanceté ?’’ Avec votre permission, j’ai décidé de dédicacer cette chanson à Alassane Dramane Ouattara ! A-t-il simplement pensé que Mahan Gahé pouvait comme lui, avoir des enfants, une femme, une famille, une région, des amis, un pays, une mission…
MAMADOU BEN SOUMAHORO
Ancien Député Indépendant à l’Assemblée Nationale
18/09/2013
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