Kouassi Yao, KKB, Djédjé Mady:
Une contribution de Laurent HODIO, Sociologue
Depuis plusieurs décennies, les experts du FMI et de la Banque Mondiale réduisent, à partir de leurs somptueux bureaux de Washington, les difficultés de développement de l’Afrique à une crise de l’économie et du marché. D’où les remèdes économiques ultra-libéraux qu’ils administrent à cette partie du monde depuis le milieu des années 80, sans amélioration réelle de la situation du continent jusqu’à ce jour. Or, l’Afrique noire traverse principalement une double crise de l’Etat et de la société, qui induit les difficultés d’adaptation économique qui apparaissent dans cette région. L’Etat s’entend ici de cette supra-structure qui édicte des règles et normes impersonnelles et les applique, à travers l’administration bureaucratique et l’usage de la force légitime dont elle seule a le monopole, à des populations vivant dans les limites de son territoire. C’est pourquoi, il est loisible d’affirmer que l’Etat rationnel moderne tel qu’il se présente aujourd’hui, est le produit de l’évolution sociale qui est partie d’un pouvoir personnel du monarque à un pouvoir institutionnel et bureaucratique. Il ne peut donc y avoir pouvoir d’Etat que s’il y a application et respect des règles et normes impersonnelles (lois) qui règlementent le pouvoir public. Or, en Afrique noire, les politiques s’attèlent depuis les indépendances, à détruire l’Etat en personnalisant ce qui est institutionnalisé et doit rester impersonnel.
C’est à la lumière de ces réflexions et observations que je voudrais exposer ici les trois principales ruptures qu’opèrent à mes yeux les candidatures des personnalités politiques susmentionnées.
1. Des candidatures placées sous le sceau du respect de la Loi
Lors de l’annonce publique de l’ARD-PDCI, les trois candidats à la présidence du PDCI ont affirmé à l’unisson qu’ils étaient candidats pour exiger les respects des textes qui régissent le PDCI. Le Prof. Djédjé Mady se distingue particulièrement par sa référence abondante à la loi n°93-666 du 9 août 1993. Il se réfère explicitement aux articles 12, 13 et 16 de cette même loi, qui, argumente-t-il, « est au-dessus de tout dans la hiérarchie des normes de notre pays ». Evidemment, venant du professeur Djédjé Mady, aujourd’hui candidat à la présidence, cette prise de conscience de la nécessité de respecter nos propres règles impersonnelles, peut faire sourire plus d’un. Car, nous avons ici affaire à la même personnalité qui, hier, alors président du directoire de la RHDP, avait combattu le président Laurent Gbagbo qui ne défendait rien d’autre que l’obligation de respecter notre loi suprême, La Constitution, qui stipule que seul le conseil Constitutionnel de Côte d’Ivoire est habilité à proclamer les résultats définitifs de l’élection présidentielle dans le pays. A l’époque, le professeur Djédjé Mady, emporté par l’adversité politique contre Laurent Gbagbo, avait purement et simplement ignoré la Loi Fondamentale de son pays. On pourrait rétorquer à cette observation et arguer à la décharge du concerné que les circonstances et le contexte étaient différents. Mais c’est justement la tentation pour les citoyens d’invoquer des circonstances personnelles d’inconvenance pour enfreindre telle ou telle loi qui fonde son impersonnalité. Car il existera toujours chez chaque sujet de la loi une raison ou des raisons subjectivement « objectives » de se soustraire au respect de la loi…
Toujours est-il qu’au-delà de la polémique que cette ambivalence du Prof. Djédjé Mady peut susciter, sa posture actuelle constitue peut-être un déclic, une rupture dans le rapport du politique africain à la loi. En effet, que la même personnalité qui a éclipsé, dans un passé non lointain, la Loi Fondamentale s’en remette aujourd’hui à elle comme la seule boussole valable pour tout le monde, est peut-être le signe que l’Afrique noire veut enfin comprendre que la politique qui fait avancer les sociétés, c’est bien celle dont la pratique est intimement liée au respect de la loi de l’Etat.
2. Le mythe du droit d’aînesse comme droit du plus sage
Il n’est un secret pour personne que si le président Bédié et les hautes instances du PDCI se sont finalement résolus à aller au congrès et proposer une date de sa tenue, c’est essentiellement sous l’initiative et grâce à la détermination du président de la jeunesse du Parti, KKB. Il a été celui qui prit son courage à deux mains pour arracher la tenue du congrès à ses aînés. On pourrait aujourd’hui se lancer dans un jeu de propositions hypothétiques et se demander ce qui serait advenu, si Konan Bertin n’avait pas compris, avant tous les dinosaures du vieux parti, que la tenue du XIIe congrès était vitale pour le parti. Alors même que KKB a obtenu gain de cause et qu’une date officielle a été arrêtée, le deal supposé ou avéré entre Bédié et Ouattara est apparu au grand jour, sans que le président Bédié ne démente les allégations de diverses sources de presse sur les milliards qu’il aurait reçus de son allié Ouattara afin que le PDCI fasse profil bas lors de l’élection présidentielle de 2015, si elle a lieu. Y aurait-il eu organisation d’un congrès PDCI avant 2015 si KKB n’avait pas osé ?
Une fois l’organisation du congrès acquis, KKB va encore plus loin et brise un mythe en se déclarant candidat à la présidence du PDCI. Dans un monde moderne dominé par un ordre rationnel, nous sommes encore, hélas, en Afrique enchaînés par des pesanteurs relevant de l’ordre ancien du genre « les plus âgés ont toujours raison sur les plus jeunes », « le plus âgé est toujours le plus sage », « un enfant ne doit pas contredire son père », etc. Des mythes qui enlisent l’Afrique dans une inertie totale. Ces croyances ont la peau tellement dure qu’elles traversent toutes les couches de nos sociétés africaines, y compris les universitaires et autres « intellectuels » qui n’y échappent guère. Dans ces circonstances, que Kouassi Yao, KKB et Djédjé Mady, affrontent de facto le président Bédié, leur aîné à tous les trois, constitue le signe que la construction d’une société moderne, passe nécessairement chez nous aussi par l’émancipation des individus de pesanteurs symboliques qui plombent l’initiative et l’action sociales.
3. La rupture avec la ploutocratie dans la politique en Afrique
« J’appelle ploutocratie un état de société où la richesse est le nerf principal des choses, où l’on ne peut rien faire sans être riche, où l’objet principal de l’ambition est de devenir riche, où la capacité et la moralité s’évaluent généralement (et avec plus ou moins de justesse) par la fortune… »(Ernest Renan, 1823-1892).
C’est en ces termes que l’historien et homme de lettres français définit la ploutocratie dans son livre L’Avenir de la science, Pensées de 1848 – 1890. Nous en sommes aujourd’hui encore à penser en Afrique que le chef doit être forcément le plus riche, surtout en politique, peu importe d’ailleurs la façon dont cette richesse s’est réalisée. Ils sont certainement à l’heure actuelle nombreux au sein du PDCI à penser que Djédjé Mady, KKB et Kouassi Yao n’ont aucune chance d’inquiéter le président Bédié parce qu’ils « n’ont rien », pour employer le langage courant ivoirien. Mais Bédié lui-même est l’exemple personnifié de ce que la richesse en tant que critère de choix du chef politique est non seulement relative, mais ne suffit plus à mener un parti vers le succès. Que le PDCI, le plus ancien parti de Côte d’ivoire, soit réduit aujourd’hui à constituer une remorque pour le RDR, parti sorti de ses entrailles, en est la parfaite illustration. Par ailleurs, l’histoire supposée ou réelle du deal des milliards de Franc CFA laisse suggérer qu’on n’est jamais assez riche pour être toujours le plus riche. Autrement dit, il y a toujours plus riche que soi, d’une manière ou d’une autre.
Que Djédjé Mady, Konan Bertin et Kouassi Yao, pures produits du parti septuagénaire, soient ceux-là mêmes, qui tiennent tête à Bédié par conviction politique et citoyenne est aussi la démonstration que le politique africaine se décolonise dans la tête pour s’intégrer dans l’ère de la politique en tant qu’idées et projets programmatiques.
Cette triple rupture opérée par notre trio, héros du moment, augure assurément d’un lendemain politique meilleur pour la Côte d’Ivoire, lorsque la tempête des chantres du « vivre- ensemble » par la trompette, mais seul dans les faits par le rattrapage ethnique, sera passée.
C’est pourquoi, nous nous devons de témoigner notre soutien actif à nos héros du moment, car ils sont en train de tracer les sillons de l’UDI, pas version Jean-Louis Borloo, mais l’Union Des Ivoiriens.
Laurent HODIO
Sociologue
Diplômé de l’Académie Diplomatique de Vienne
hodiolaurent@hotamail.com
Suisse
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