2 ans avant la présidentielle 2015 le camp Ouattara miné par les haines et les divisions

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Philippe Brou

Les observateurs les plus attentifs l’ont noté. Un vent de panique s’est emparé, ces dernières semaines, des différentes constellations qui constituent la galaxie Ouattara. L’heure est désormais aux règlements de comptes entre petits camarades et à des critiques d’ordre interne au sein du RDR, quand le PDCI est déchiré par une bataille qui ne se résoudra visiblement pas pacifiquement. Rendus inquiets par la tournure que prend l’actualité politique avec le réveil du FPI, les porte-voix les plus zélés du pouvoir se font menaçants et rappellent à Pascal Affi N’Guessan, devenu le chef incontesté d’une opposition ragaillardie, qu’il n’est qu’en liberté provisoire et qu’il pourrait retrouver les sombres geôles du Nord du pays…

Au-delà de la courtoisie de façade, les longs couteaux s’affûtent au RDR

Alors que le retour à un ordre politique plus ou moins normalisé est désormais une perspective fortement envisageable, Alassane Ouattara et ses hommes sont saisis par le doute. Et pour cause : ils comptaient rempiler en 2015 faute d’adversaires, après avoir «émasculé» le PDCI à travers la «prise en otage» de son président, Henri Konan Bédié, et après avoir «décapité» le FPI. Alors que le jeu pourrait s’ouvrir sous la pression internationale, l’actuel chef de l’Etat regarde son parti, le RDR, sa coalition, le RHDP, et son équipe gouvernementale. Et est obligé d’admettre qu’il a affaire à une armée mexicaine, à un conglomérat de baronnies coupées du peuple, qui sont occupées à compter leurs milliards et se vouent de puissantes haines réciproques. Petit «tour du propriétaire».

Le RDR, une machine politique totalement bloquée

Dès le départ, Alassane Ouattara aurait dû respecter la Constitution ivoirienne, démissionner formellement de la présidence du RDR et mettre en orbite un nouveau leader aussitôt légitimé par un Congrès. Il n’a pas eu le courage de le faire. Et pour cause : il lui fallait arbitrer entre les ambitions contraires de ses divers lieutenants. Guillaume Soro, d’abord, dont la rébellion armée a, aux côtés de l’armée française et de l’ONUCI, «offert» à Ouattara les clés – ensanglantées – du pays. Hamed Bakayoko et Amadou Gon Coulibaly ensuite, qui présentaient leurs galons de «fils de la maison» comme brevets de légitimité. Ouattara a décidé qu’il était urgent d’attendre, et en l’absence d’une Henriette Diabaté devenue grande chancelière, a laissé son parti aux mains du très extrémiste Amadou Soumahoro alias «Cimetière», un homme abonné aux dérapages verbaux et qui n’a même pas réussi à se faire élire lors des scrutins locaux dans son fief ( ?) de Séguéla. Sans conséquence politique pour lui !

L’ancien ministre de l’Intégration africaine Adama Bictogo n’a finalement fait que dire tout haut ce que beaucoup de cadres du RDR pensaient tout bas, quand il a évoqué, lors de sa dernière conférence de presse, «une direction qui n’est pas organisée», «une absence de communication» et «l’inexistence de tribune d’échanges». Tout en réclamant des «états généraux du RDR». Pressé d’annoncer sa candidature au prochain scrutin, Ouattara – qui ne croit pas en la démocratie – n’a manifestement pas songé une seconde à «souder son derrière», c’est-à-dire son parti.

Le RHDP, un grand corps malade… ou un cadavre ambulant !

L’essentiel des manœuvres politiques d’Alassane Ouattara, ces dernières années, a consisté à instrumentaliser Henri Konan Bédié pour empêcher le PDCI de continuer son existence de parti politique autonome nourrissant des ambitions légitimes. Ses gros sabots ont été tellement bruyants que son activisme a produit l’effet inverse de ce qu’il attendait. Il a aidé le «vieux parti» à se scinder en deux blocs qui se regardent en chiens de faïence. Il pourrait même avoir travaillé à susciter un «autre RDR» qui fera de son ex-ennemi juré devenu son meilleur allié, Bédié, l’homme d’une formation politique administrative, composée d’une coterie de «bourgeois» songeant à rester au gouvernement pour mieux se nourrir sur le dos de l’éléphant. De taille modeste, un tel PDCI ne saurait non plus faire campagne efficacement pour une éventuelle élection du toujours président du RDR en 2015. De toute façon, à la base, le cœur n’y est plus. L’UDPCI n’est, de son côté, qu’un parti régionaliste, mais qui prend quelquefois ses distances avec la politique anti-réconciliation du régime. Quant à Anaky Kobena, l’ex-idéologue de ce petit monde, président du MFA, il est quasiment déjà installé dans l’opposition. Certes, Ouattara croit que les alliances d’appareils partisans se limitent à de l’arithmétique tribale mettant en branle des populations décérébrées ne réfléchissant qu’à des intérêts d’ordre ethnique. Mais même si son postulat de départ est vrai, les mises en cause récurrentes du «rattrapage ethnique» par les militants et sympathisants du PDCI présagent d’un futur «lâchage» en rase campagne.

Un gouvernement et une administration minés par l’incompétence et l’affairisme

Comment aller ensemble à des élections alors qu’on a un bilan désastreux et que l’on s’accuse les uns et les autres des pires choses ? Parmi ceux qui ont été choisis pour siéger au gouvernement et occuper les postes-clés de l’administration, c’est la rancœur qui prédomine. Les récentes saillies du ministre délégué à la Défense Paul Koffi Koffi contre l’ex-rebelle Issiaka Ouattara dit «Wattao», commandant en second du CCDO, sont une illustration de l’ambiance qui règne parmi les «adorateurs» les plus en vue. La concurrence dans l’affairisme, qui ne fait aucun cas des récriminations constantes des chancelleries, est le sport le plus prisé au sein de la «Case». Dans ce contexte, qui a le temps de travailler à l’intérêt général ? Alors que l’actuel régime ne peut se glorifier honnêtement des investissements liés au dossier PPTE, monté quasi-entièrement sous Gbagbo, il traîne à avancer sur les projets C2D (Contrat de Désendettement et de Développement) dans lesquels la France mettait tant d’espoirs. Si l’actuelle équipe gouvernementale, dirigée par Daniel Kablan Duncan, ne peut parachever de tels dossiers, saura-t-elle se mettre en ordre de bataille pour convaincre demain les Ivoiriens d’accorder un mandat «normal» à Ouattara ? Faudra-t-il que les coopérants et autres assistants techniques français qui hantent les bureaux de l’administration ivoirienne aillent faire campagne sur le terrain pour le compte du «brave tchê»? Violente question.

Philippe Brou
Le Nouveau Courrier

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