Olivier Monnier, à Abidjan la-croix.com
Les projets d’investissements publics se multiplient deux ans après la crise. Mais la mauvaise gouvernance et la corruption freinent une véritable relance de l’économie portée par le secteur privé.
Les pelleteuses et bulldozers s’agitent jour et nuit sur les bords de la lagune d’Abidjan. Attendu depuis plus de quinze ans, le gigantesque chantier du troisième pont, qui doit relier le nord et le sud de la capitale économique ivoirienne, avance à bonne allure. L’ouvrage, construit par Bouygues, devrait être livré l’an prochain pour un coût estimé à 200 millions d’euros.
UN PAYS EN RECONSTRUCTION
Deux ans après la crise post-électorale, la Côte d’Ivoire déborde de projets d’investissements en infrastructures pour reconstruire un pays lourdement affecté par des crises politiques à répétition. Autoroutes, barrage hydraulique, construction de lignes de chemins de fer : le gouvernement espère au moins 20 milliards d’euros d’investissements publics et privés d’ici à 2020. Plus de 10 milliards d’euros ont déjà été promis par les bailleurs de fonds en décembre dernier.
« La Côte d’Ivoire est en chantier », répète ainsi le gouvernement qui peut se targuer de chiffres de croissance qui feraient rêver de nombreux pays occidentaux. Après une hausse du PIB de 9,8 % en 2012, les autorités ivoiriennes tablent sur une expansion de l’économie de 9 % cette année, et 10 % dès 2014.
Ces chiffres s’expliquent en partie par l’effet de rattrapage post-crise, mais ne sont pas encore synonymes de vitalité de l’économie. « L’État est le plus dynamique des investisseurs face à un secteur privé attentiste, note Souleymane Ouattara, économiste basé à Abidjan. On est encore loin du boom économique attendu après la crise. »
DES INVESTISSEURS HÉSITANTS
Si les hôtels sont remplis d’hommes d’affaires et si les missions de prospection se multiplient, peu osent investir. « L’activité repart doucement. Il y a beaucoup de demandes de financement, mais il ne s’agit encore que de projets », concède Daouda Coulibaly, directeur général de la Société ivoirienne de banque, quatrième banque de Côte d’Ivoire. Selon lui, « les opérateurs économiques sont dans une position d’attente. Ils s’inquiètent de la stabilité du pays. »
À Abidjan et dans la plus grande partie de la Côte d’Ivoire, la sécurité s’est améliorée, mais des poches d’instabilité demeurent, surtout à l’ouest, région cacaoyère minée par des conflits fonciers et des attaques de mercenaires venant du Liberia voisin. Le dialogue politique est toujours au point mort, et l’opposition, menée par le Front populaire ivoirien de l’ex-président Laurent Gbagbo, continue de boycotter toutes les élections depuis deux ans.
Pour nombre d’observateurs, l’environnement des affaires constitue également un problème de taille. « Les acteurs ont changé, mais la bonne gouvernance n’a pas prospéré. Le pays reste englué dans des logiques clientélistes et affairistes qui dissuadent les investisseurs et pénalisent une véritable relance de l’économie », reconnaît un conseiller d’un ministre ivoirien.
Au premier trimestre, près de 60 % du montant des marchés publics ont ainsi été passés de gré à gré, sans appel d’offres. « Un mauvais signal lancé aux investisseurs. Car sous couvert de l’urgence de reconstruire, beaucoup violent les procédures », lance Non Karna Coulibaly, président de l’Autorité de régulation des marchés publics.
UNE CORRUPTION DIFFICILE À COMBATTRE
Quelques scandales ont ainsi porté atteinte à l’image du pays. Dernier en date : l’attribution du deuxième terminal à conteneurs du port d’Abidjan. Un consortium, mené en partie par Bolloré – qui contrôle déjà le premier terminal – a remporté le contrat, mais les perdants dénoncent les conditions d’attribution, et ont porté l’affaire devant l’Union économique et monétaire ouest-africaine pour abus de position dominante. Le ministre du commerce Jean-Louis Billon reconnaissait lui-même le risque de super-monopole.
En apparaissant incapable de lutter contre la corruption, le président ivoirien Alassane Ouattara, qui fut pourtant ancien directeur général adjoint du Fonds monétaire international, déçoit. « Les habitudes ont la vie dure et il est difficile de les changer, reconnaît un observateur. Mais les hommes au pouvoir sont aussi dans une logique de revanche. Les Nordistes, exclus du festin pendant dix ans, semblent vouloir rattraper le retard. »
Pendant ce temps, les habitants voient les prix augmenter, au contraire de leurs revenus. Selon une étude de la chambre de commerce ivoirienne, le racket sur les routes – souvent le fait d’ex-combattants non réinsérés et des forces de sécurité – constitue 60 % du coût du transport des marchandises. Et se répercute sur les prix des produits de base.
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Le premier producteur mondial de cacao
Population totale : 20,1 millions d’habitants.
Accroissement naturel : 2,1 %.
Densité : 63 habitants/km².
Population urbaine : 51,3 %.
L’agriculture assure 25 % du PIB, l’industrie 25 % également, le secteur des services représentant la moitié de l’économie ivoirienne.
La Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial de cacao, avec environ un tiers du marché. C’est également le troisième producteur mondial de café.
Le pays affiche une balance commerciale excédentaire. En 2012, il a importé pour 6,1 milliards d’euros de produits et exporté pour 8,1 milliards d’euros (estimations).
Olivier Monnier, à Abidjan
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