La bataille des agendas Éditorial Par Théophile Kouamouo
Le FPI est de retour au centre du jeu. Mais rien n’est gagné…
La vie politique est décidément une succession d’événements fondamentalement imprévisibles, faits de mouvements vers le haut, de dégringolades et de stagnations dont le rythme est finalement assez peu contrôlable par les acteurs qui s’ébrouent sur la scène publique. Qu’on en juge. Il y a seulement quelques mois, la question fondamentale était : qui va prendre l’espace politique laissé vacant par un FPI persécuté dans l’acquiescement international, dont les principaux dirigeants étaient soit en prison, soit en exil ? C’est cette «course vers la ressource politique» qui alimentait les espoirs politiques de l’aile du PDCI qui n’a pas renoncé à faire exister le «vieux parti» en dehors du RHDP, mais aussi de LIDER, la formation koulibalyste, et même de Guillaume Soro (qui rêvait de créer une sorte d’espace politique unissant le «Nord» et le «Sud» en se fondant sur les vieilles fidélités fescistes).
Les choses ont notablement changé aujourd’hui. Libérés manifestement sous pression internationale, la majorité des dirigeants du FPI sont «sur terrain». Pendant ce temps, le PDCI se déchire sur fond de crise identitaire profonde. Et LIDER meurt à petit feu. Le paysage politique se structure désormais autour de deux pôles antagonistes : le RDR contre le FPI. Les pro-Ouattara contre les pro-Gbagbo. Tout le reste n’est que littérature.
Peut-on arriver demain à une paix durable et à une saine compétition démocratique en Côte d’Ivoire ? Les investissements à long terme ont-ils un sens dans cette Nation dont l’avenir à moyen terme est difficilement prévisible ? Est-il possible d’affirmer avec certitude qu’il n’y aura ni match retour armé, ni «troisième mi-temps» sanglante dans un pays où les querelles de fond demeurent non résolues ? Pour répondre à cette question lancinante, il faut examiner les agendas des deux principaux pôles politiques – mais également celui de la «communauté internationale», qui s’est mise au centre du jeu, et dont les intérêts ont une influence indiscutable sur le cours des choses.
Rééquilibrage
Le pouvoir et le FPI peuvent-ils accorder leurs intérêts et se mettre d’accord sur une feuille de route commune ? Le FPI veut le «rééquilibrage» de la vie politique, qui passe par le retour sur la scène de ses cadres embastillés et contraints à l’exil par une justice sélective, mais aussi par un remodelage des institutions chargées d’organiser les élections, et par le démantèlement des milices ethniques diverses qui terrorisent la population. Le pouvoir a-t-il à gagner quelque chose à ce «rééquilibrage» ? L’intérêt national devrait le pousser à créer les conditions d’une paix des cœurs, mais tout dans son attitude montre qu’il préfère prospérer sur la division, et profiter au maximum de «l’avantage comparatif» que lui donne le contrôle total des institutions. Tout dans son attitude montre qu’il entend gagner du temps en jouant au «cinéma de la main tendue» sans pour autant donner de quelconques gages de volonté politique – c’est ainsi qu’il a rejeté la nomination d’un médiateur consensuel qui mettrait la partie adverse en confiance. Tout pousse à croire qu’il entend organiser en 2015 un scrutin digne des «démocratures» françafricaines où les élections ne traduisent pas la réalité politique du moment mais sont la résultante d’une hégémonie administrative et de la «technologie électorale» qui va avec.
Accaparement
Ouattara et le RDR essaieront de maintenir l’état d’exception.
Ouattara et le RDR sont dans un certain état d’esprit. Leur sadisme carcéral et judiciaire, leur mépris total de l’altérité et leur mégalomanie financière s’expliquent par un projet d’accaparement du pouvoir à long terme. Et ils n’ont pas l’intention de perdre le pouvoir, et de se retrouver soumis à l’éventuelle soif de vengeance de ceux qu’ils ont traités sans aucun égard en dépit de leur statut d’alter ego politique. Ouattara a accordé la liberté provisoire à certains des dirigeants du FPI parce qu’il y était plus ou moins contraint, et parce qu’il s’est aussi dit qu’il était bien peu raisonnable de prendre le risque d’un transfert des électeurs d’un FPI mis totalement hors-jeu vers un PDCI qui, du coup, s’en trouverait ragaillardi. Mais il n’a aucune intention de se soumettre à un véritable jeu démocratique. Les réflexes politiques acquis par son régime ne toléreraient même pas, demain ou après-demain, de véritables contradicteurs insérés au sein des institutions – notamment du pouvoir législatif, s’il parvenait en 2015 à s’imposer aux Ivoiriens.
Dans ce contexte, la seule question qui vaille est la suivante : qu’est-ce qui peut obliger Ouattara à devenir enfin raisonnable, et à rendre à la Côte d’Ivoire ses acquis démocratiques ? Jusqu’à présent liés à lui par des agendas politiques totalement convergents, ses parrains américain et français ne sont plus tout à fait sur la même longueur d’ondes, mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont prêts à «rendre service» au FPI en parrainant ses revendications comme ils l’ont fait pour le RDR en soutenant ses revendications voire en les traduisant par des résolutions onusiennes dont l’application était suivie par divers «proconsuls» irascibles sur le terrain. Leur intérêt à long terme devrait les inciter à prendre leurs distances avec les actuels dirigeants, à encourager la mise en place d’un terrain politique équitable et pacifié… de telle sorte qu’ils ne soient pas obligés d’envisager les alternances à venir comme des dangers pour leurs intérêts. Mais le long terme n’est pas la priorité de ceux qui dirigent les grandes puissances aujourd’hui ! Certes, ils veulent sauver Ouattara de lui-même en favorisant l’expression d’une opposition qui relaiera, le cas échéant, leurs propres critiques. Mais de là à se conformer à leurs pétitions de principe et à le «lâcher»…. il y a tout un monde !
Lancés dans une sorte de «guerre froide» qui ne dit pas son nom et les oppose aux grands pays émergents, les dirigeants occidentaux préfèrent s’accommoder d’un chef d’Etat à la faible légitimité, mais qui est un docile relais de leurs choix stratégiques, y compris dans les pays voisins. Alors que l’étoile de Blaise Compaoré pâlit irrésistiblement, la France peut-elle lâcher un Ouattara qui ferraille pour elle aujourd’hui au Mali et ailleurs demain ?
Une hirondelle ne fait pas le printemps. Il ne suffit pas de quelques libérations provisoires pour que s’ouvre une ère de détente et de décrispation politique. Les démocrates ivoiriens – partis politiques, société civile, masses… – devront s’organiser courageusement pour rendre la réconciliation par la démocratie inéluctable. Sans compter sur le secours d’improbables «sauveurs».
Théophile Kouamouo
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