Gnénéma enfin magistrat hors hiérarchie ? Comment sa carrière a failli être brisée
Publié par L’Intelligent d’Abidjan par Charles Kouassi
Depuis cette année 2013, le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, des Droits de l’Homme et des Libertés publiques est magistrat hors hiérarchie, conformément aux dispositions d’un décret signé dans les règles de l’art par le chef de l’Etat. Cette qualification au grade de magistrat hors hiérarchie récompense une carrière normale déjà reconnue par le grade d’officier de l’ordre national au niveau de la Grande chancellerie. Pourtant cette nomination a mis du temps, et pis, elle a même failli ne jamais arriver. Explications…
L’infortune de Mamadou Gnénéma Coulibaly, jeune magistrat plein d’avenir, commence en 2002. Déjà au grade 121, parce qu’il est régulièrement noté et suit un parcours normal. Il demande alors, conformément aux textes, à la commission des avancements, via la direction des services judiciaires, de procéder à son avancement pour avoir l’indice 111, le top des avancements réguliers, disciplinaires et professionnels dans la magistrature. Alors que sa demande est en instruction, Mamadou Gnénéma se rend à Korhogo dont il est originaire.
L’attaque du 18-19 Septembre le trouve dans le Nord du pays. Le reste de l’histoire est maintenant connu de tous. Bloqué dans le septentrion ivoirien par les combats d’Abidjan et de Bouaké avec la semi partition du pays, Mamadou Gnénéma est ensuite présenté depuis Abidjan par des collègues magistrats et des médias comme ayant rejoint la rébellion. Depuis cette date, le magistrat sera fiché et ne pourra plus jamais connaître d’avancement au niveau de sa carrière. Son dossier est bloqué, ou plutôt est chaque fois porté disparu lorsqu’il se rend à la direction des services judiciaires. N’empêche que Mamadou Gnénéma Coulibaly continue de servir de 2003 à 2005, l’Etat de Côte d’Ivoire en qualité de directeur de cabinet dans un ministère. A ce titre, il sollicite un détachement auprès de son service d’origine de rattachement. En clair, il n’est pas du tout allé en balade, ou en rébellion mais a bénéficié d’une disposition dont bénéficie tout fonctionnaire, agent de l’Etat, selon des règles et procédures en vigueur. Durant cette période, le futur ministre émarge toujours en tant que fonctionnaire et magistrat et est même noté par ses supérieurs hiérarchiques et, à ce titre reste donc éligible à l’avancement. Cependant la situation devient compliquée au niveau des avancements pour des raisons strictement politiques. En sa qualité de juge de section et de siège, son sort dépend du conseil supérieur de la magistrature et de ses pairs de la commission d’avancement qui contestent même le principe de son détachement, et de sa nomination comme directeur de cabinet, alors qu’il dépasse à peine la quarantaine et a des doyens devant lui ; des doyens qui auraient eux aussi bien voulu, accéder à des nominations en dehors du tribunal. Le Ministre de la Justice, de l’époque en l’occurrence Henriette Diabaté est obligée de le nommer substitut, pour le soustraire des humeurs et des règlements de comptes politiques visant manifestement a bloquer sa carrière , et même à lui faire perdre son statut de magistrat et d’agent de la fonction publique. C’est dans ces conditions que Gnenema Coulibaly obtient une mise en disponibilité pour aller à la CEI. Contrairement au détachement, une position dans laquelle le fonctionnaire est toujours noté et bénéficie de salaires et des avancements, la mise en disponibilité ne donne droit à aucun traitement de ce type, en dehors de la possibilité de retour et de réintégration dans son corps d’origine, selon des procédures bien établies. Durant la période de mise en disponibilité, le fonctionnaire ou l’agent d’une entreprise privée n’est pas payé, ni noté dans le poste et le service pour lequel il a sollicité la mise en disponibilité. Dans ce cas précis, il ne peut donc connaître d’avancement.
Au moment où il obtient la mise en disponibilité, Gnénéma contre toute attente et à cause des tentatives visant à briser et contrarier sa carrière est toujours au grade 121, au lieu du grade 111 qu’il mérite amplement. C’est dans ces circonstances que quelques années plus tard, une requête en reconstitution de carrière, pour examen et réparation des torts a été introduite et examinée positivement et régulièrement. La commission d’avancement a statué. Ce qui a permis au magistrat Mamadou Gnénéma Coulibaly, d’accéder au rang 111, dernier grade normal d’avancement et réglementaire. La qualité de magistrat hors hiérarchie, ne relève pas des notations et attributions de la commission d’avancement mais plutôt des impératifs discrétionnaires du politique. Un connaisseur de ces choses explique : « C’est comme dans l’armée, il y a des règles d’avancement jusqu’au grade de colonel mais à partir de cette étape, le reste dépend du pouvoir politique et des prérogatives de l’exécutif. Pour devenir colonel-major, général, ou autre promotion supérieure tout est laissé à l’appréciation de l’exécutif et non de la hiérarchie, alors que jusqu’au grade de colonel il est possible d’avancer en tenant compte des règles sans forcement que le politique intervienne. C’est à peu près la même chose dans la magistrature, ou on peut parvenir au rang 111, sans l’aval du politique. Toutefois devenir magistrat hors hiérarchie après avoir atteint le 111, dépend de l’exécutif. Quand l’avocat Ahoussou Jeannot était ministre de la Justice, le besoin d’être magistrat hors hiérarchie ne se faisait pas sentir dans la mesure où il est un avocat de formation. De son côté, Mme Mattoh Loma était déjà magistrate hors hiérarchie à sa nomination, donc le débat ne s’est pas posé. En dehors même du fait que la procédure soit normale, le principe d’accéder à cette position ne se discute pas pour un ministre de la Justice, qui est lui-même magistrat. Cela dit, que le ministre soit aujourd’hui magistrat hors hiérarchie est dans l’ordre normal des choses, d’autant plus que du point de vue de l’ancienneté, des magistrats ayant moins d’expérience et d’années de service que lui, ont été nommés magistrats hors hiérarchie avant lui. Le ministre remplissait les conditions pour atteindre le grade 111 depuis au moins 2005. Gnénéma n’a rien volé, il faut qu’on le laisse tranquille. Des mains obscures et méchantes ont failli briser sa carrière en faisant disparaître ses dossiers de demande d’avancement pour des raisons politiques, alors qu’il méritait bien depuis 2005 au moins d’accéder au grade 111. Gnénéma magistrat hors hiérarchie, ou l’histoire d’une carrière qui a failli être brisée, pourrait-on dire, dans cette affaire. Qui rappelle une autre : celle d’Adolphe Kadjo Djidji, qui avait été sanctionné et était en délicatesse avec ses pairs peu avant d’être nommé à l’époque secrétaire général adjoint du gouvernement. Ce magistrat a pu par la suite remettre les pendules à l’heure, et quand il a quitté le secrétariat général du gouvernement, il avait rang de magistrat hors hiérarchie. Selon des spécialistes de la question aussi bien au niveau du ministère de la Justice, que du ministère de la Fonction publique (rappelant les grades de préfet de classe exceptionnelle, et administrateur civil, ou des services financiers de classe exceptionnelle qui donnent droit a des avantages particuliers) les exemples sont légion qui devraient permettre de faire l’économie d’un vrai faux débat sur un statut amplement mérité par le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, des Libertés publiques et des Droits de l’Homme.
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