Par Marcel Amondji du Cercle Victor Biaka Boda (7 septembre 2013)
L’affaire de l’initiative turinoise d’Abel Naki – appelons-la comme ça – m’avait remis en mémoire un personnage fameux de notre scène nationale dans les coulisses de laquelle il s’illustra, si je puis dire, assez tristement de la fin des années 1950 au milieu de la tragique décennie 1960. Je veux parler de feu Christian Groguhé (parfois orthographié Groguhet). Paix à son âme !
Mais avant d’en venir à l’histoire de ce curieux personnage, je tiens à préciser ceci : si j’ai commencé cet article en nommant Abel Naki, ce n’est pas lui pour autant qui en est le sujet. Je ne connais ce citoyen que de nom, et encore, seulement parce qu’il est très souvent cité sur la Toile. Aussi me garderai-je bien de m’immiscer dans la polémique qu’il a provoquée avec sa déclaration de Turin sur un « Conseil national de la libération » qu’il aurait créé, ou qu’il aurait proposé de créer. D’ailleurs, si l’occasion m’a paru belle à saisir – pourquoi m’en cacher ? – pour évoquer le rôle trouble que joua Christian Groguhé dans l’histoire des premières années de notre indépendance, ce n’est pas à cause de cette déclaration même, mais à cause des nombreuses réactions très bizarres qu’elle provoqua dans le Landernau des Ivoiriens de l’étranger, en particulier parmi les originaires du Grand Ouest, et dans les partis et mouvements actuellement engagés dans la résistance au régime fantoche issu du coup de force franco-onusien du 11 avril 2011. Ces réactions, on peut en déduire grosso modo deux postures politiques typiques. D’un côté, il y a ceux qui désapprouvèrent l’initiative du président du Cri-Panafricain avec plus ou moins de véhémence. De l’autre côté, il y a ceux qui l’approuvèrent et, même, la justifièrent…
Une simple diversion ?
Commençons par l’examen de cette deuxième catégorie. Dans un article du journal en ligne IVOIREBUSINESS daté du 6 septembre 2012, une certaine Catherine Balineau résume ainsi les opinions défavorables que, manifestement, elle ne partage pas :
« Il [Abel Naki] est accusé de faire cavalier seul, de vouloir entraîner, sans leur aval, la galaxie patriotique dans une rébellion armée contre le régime d’Alassane Dramane Ouattara, (…) ».
Puis elle développe un certain nombre d’arguments qui, selon elle, justifient incontestablement la démarche de Naki :
« (…) un leader n’a pas toujours besoin d’avertir ses amis avant de lancer une idée nouvelle. Un leader, c’est celui qui innove, qui explore, qui prend des initiatives, qui teste des idées. C’est juste ce qu’a fait Abel Naki. C’est vrai qu’il n’a pas averti ses amis avant de parler du CNL. Il aurait pu le faire par courtoisie. Mais ce n’est pas une obligation. Car trop de concertation en politique tue la concertation, c’est la voie ouverte à l’immobilisme. Et la meilleure façon de voir une idée débattue et examinée avec tout le sérieux qui soit, c’est de la mettre sur la table. Et vue l’émotion créée par l’idée d’Abel Naki dans la galaxie patriotique, le but visé est atteint. Le CNL est devenu le débat prédominant, le débat du moment, et les patriotes l’adopteront ou non, à la suite de joutes verbales qui s’annoncent âpres.* C’est le lieu de lancer un appel à certains leaders qui gardent une position attentiste en ne prenant aucun risque et en n’émettant aucune idée nouvelle ».
« Le but visé est atteint ! » Il ne se serait donc agi que de susciter un faux débat parmi les patriotes résistants afin de les distraire de ce qui devrait seulement les préoccuper dans le moment présent. Autrement dit, c’était une simple diversion !
Il faut lire cet argumentaire de C. Balineau en pesant chaque mot : c’est tout à fait l’apologie de l’irresponsabilité en politique qu’elle nous sert là, sous le masque transparent de la prétendue liberté que chacun aurait de dire n’importe quoi à propos de tout, sans soucis des circonstances ni des conséquences possibles de ses paroles.
Cet argumentaire et, surtout, le ton assuré et tranquillement péremptoire de son auteur, m’ont fait l’impression d’entendre Mamadou Koulibaly, le maître théoricien de l’ultralibéralisme sans rivages, dans un de ses exercices favoris. Ainsi, à l’en croire, Trop de concertation en politique tuerait la concertation, tandis que trop de liberté n’entraînerait aucun risque pour la liberté !
Mais peut-être bien que je me fais des idées sur une possible filiation idéologique entre le fondateur de Lider et cette Balineau, une filiation du type de celle qui existe entre lui et Gisèle Dutheuil, la mystérieuse directrice d’Audace Institut Afrique…
Coup de pied dans la fourmilière
Revenons donc à nos moutons. A côté de l’effet « diversion », la déclaration de Turin a eu encore bien d’autres conséquences, dont l’une qu’on pourrait appeler l’effet « coup de pied dans la fourmilière ». L’initiative d’Abel Naki déclencha en effet un véritable vent de panique dans les milieux et organisations « pro-Gbagbo » de France. Dès le 5 septembre 2012, se succédèrent sur la Toile : protestations énergiques, rejets véhéments, condamnations sans appel… En voici quelques échantillons :
1. « Tous les leaders des Mouvements patriotiques d’Europe informés de cette déclaration ont marqué leur surprise. Pascal Logbo, le président du NPR (Nouveau parti pour le rassemblement), a fustigé « le caractère solitaire d’une déclaration si grave ». Apolos Dan Thé, sur son blog marquait sa désapprobation de la sortie d’Abel Naki dont les propos, dit-il, mettent en danger le peuple Wè dont il a profité de la tribune. Quant à Brigitte Kuyo, Représentante du FPI en France, elle a promis une déclaration solennelle pour ramener à l’ordre Abel Naki (voir Infra). Tous sont fatigués de ces dérives répétées d‘Abel Naki. Dans tous les cas, plusieurs militants pour la cause de Laurent Gbagbo, qui nous ont joints, ont manifesté une colère noire. Allant même jusqu’à inviter les leaders des Mouvements de résistance à démissionner et les invitant à ne pas mettre leur vie en danger par ces déclarations irresponsables à répétition. » (civox.net 5 septembre 2012).
2. « Lors du meeting de clôture de la manifestation, prenant la parole, Abel Naki a proposé ceci, et nous citons : « …qu’il soit constitué un Conseil National de libération de la Côte d’Ivoire avec tous les mouvements et partis politiques du pays, afin de bouter Alassane Ouattara de la tête du pays… ». L’Association des Femmes Patriotes Ivoiriennes de France, à travers cette déclaration, voudrait officiellement signifier sa désapprobation totale vis-à-vis de tels agissements, et se désolidariser de ce projet irréfléchi et inopiné qui pourrait mettre en danger les responsables des mouvements patriotiques de la diaspora, dans son ensemble. Et pire, ce projet aux conséquences graves, va inévitablement affaiblir la lutte que nous menons. Pour nous, seules les voies légales sont et resteront nos moyens de dénonciation des injustices du régime actuel d’Abidjan. Et c’est par ces mêmes canaux légaux que nous continuerons à réclamer avec la dernière énergie, la libération du président Laurent Gbagbo injustement incarcéré à la Haye au Pays- Bas. » (IvoireBusiness 11 septembre 2012).
3. « Cette dérive pourrait contraindre les autorités françaises et autres pouvoirs publics à interdire ces Associations qui se détourneraient de leurs fins initiales. Tout récemment, nous avons ouï dire que le préfet de Police de Paris aurait convoqué un certain nombre de responsables de mouvements afin de s’entretenir avec eux. Sans présumer de l’objet de cette convocation, nous parions que cela s’inscrit dans la suite de cette déclaration faite certes à Turin, (…). En cette période, où un véritable imbroglio juridico-diplomatique bat son plein au Ghana s’agissant du porte-parole du président Laurent Gbagbo, le ministre Justin Katinan Koné, d’autres procédures d’extradition ne pourraient-elles pas voir le jour suite à cette déclaration d’Abel Naki ? La France, qui lutte contre les mouvements indépendantistes qu’ils soient basques, bretons, corses, ou kanaks, mouvements dont les membres sont pourchassés, peut-elle accepter d’héberger sur son sol une mouvance qui prendrait des allures de lutte armée ? » (A. Nogbou Kacou, civox.net 12 Septembre 2012).
« Il faudra que nous gardions la tête froide. Cette tendance à vouloir se présenter comme les vrais résistants et les autres comme de faux résistants est une tentative de stigmatisation qui n’est pas faite pour conforter l’union au sein de la résistance au pouvoir d’Alassane Ouattara (…) Pire, il montre à nos camarades emprisonnés, exilés et vivant dans la peur en Côte d’Ivoire que la mobilisation est faible ici en France. Ce qui est d’ailleurs faux. Cela dénote un manque de formation politique chez mon jeune frère à qui j’ai vivement traduit mon mécontentement face à ses déclarations du 24 septembre dernier à La Haye. (…). Il faudra qu’Abel Naki sorte de ses coups médiatiques, ce n’est pas devant les caméras que nous mènerons la résistance. Ces agitations médiatiques et déclarations inconséquentes risquent de fragiliser la lutte. » (Brigitte Kuyo – alors encore la représentante du FPI en France – citée par L’Intelligent d’Abidjan 30 septembre 2012).
Ces réactions, qui peuvent paraître excessives par rapport à l’événement, reflètent assez fidèlement la formidable incompétence politique – ainsi que la pusillanimité – de la plupart des activistes composant cette nébuleuse, au sens propre, appelée « la résistance patriotique ». Elles n’en sont pas moins des signes très encourageants dans ces temps glauques que nous vivons. Le tollé général qui a accueilli l’étrange pas de clerc d’Abel Naki à Turin montre que nous ne sommes plus aux temps où le même provocateur pouvait, tel Christian Groguhé, non seulement exercer sa sinistre profession en toute impunité pendant des années, mais encore en tirer fortune et gloire.
Cela dit, je le répète, sans la moindre intention d’assimiler Abel Naki à l’illustrissime Judas des années soixante.
Profession : provocateur au long cours
Il y a dans l’histoire politique de notre pays une phrase qui méritait de n’être jamais oubliée, et qui malheureusement l’a pourtant été. Elle fut prononcée à Yamoussoukro, par Mathieu Ekra, le jour-même où Houphouët ordonna l’arrestation de ceux qu’il accusait fallacieusement d’avoir comploté contre sa vie et contre la sûreté du jeune Etat indépendant. Toute l’accusation reposait sur le témoignage d’un seul homme : Christian Groguhé, déjà connu depuis plusieurs années comme un agent provocateur et un délateur au service du régime néocolonial auquel Houphouët prêtait son masque. Et c’est ce qui arracha à Mathieu Ekra ce cri du cœur et de l’intelligence :
« Chaque fois que des événements graves interviennent dans ce pays, c’est Groguhet que l’on trouve à la base. Il serait dommage de se laisser abuser par ce voyou. Il faut qu’il apporte les preuves de ce qu’il avance… » (Cité par S. Diarra, Les Faux complots d’Houphouët-Boigny, page 118).
En rappelant le rôle d’agent provocateur patenté du principal dénonciateur des prétendus complots, Mathieu Ekra ôta, dès ce premier jour de l’affaire dite des faux complots, toute crédibilité aux allégations qui allaient permettre à Houphouët de sacrifier des centaines de cadres ivoiriens supérieurs, moyens et subalternes à la volonté de domination du néocolonialisme français, alors personnifié par Jacques Foccart. Comme il fallait s’y attendre, la réaction d’Ekra ne sauva pas les victimes désignées. Et, fait plus étonnant, elle n’entraîna pour lui-même aucune conséquence vraiment grave : à peine une espèce de disgrâce de quelques années.
Christian Groguhé avait déjà été mêlé à l’affaire de la Ligue des originaires de la Côte d’Ivoire (LOCI) en octobre 1958 ; puis, l’année suivante, à l’affaire Mémel Fotê… C’est son rôle dans cette affaire qui nous le fit connaître. Nous étions allés en délégation de l’Union générale des étudiants de la Côte d’Ivoire (UGECI) visiter Mémel à la prison de Grand-Bassam où il attendait d’être jugé. Tandis que nous devisions avec notre camarade et ancien président, trois autres prisonniers s’approchèrent timidement du grillage qui nous séparait de lui. C’étaient les trois hommes qui étaient allés à Accra, soi-disant de leur propre chef, pour offrir à Mémel le leadership d’un mouvement politique clandestin qu’ils prétendaient avoir créé. Christian Groguhé était l’un d’eux. Le trio avait été arrêté à son retour d’Accra, sans doute dans le but de les utiliser comme témoins à charge contre Mémel lors de son procès. A preuve, alors que notre camarade devait être lourdement condamné, ces trois larrons, eux, furent libérés sans jugement quelques jours après notre rencontre…
« Homme politique »
C’est grâce à ses propres vantardises que nous savons aujourd’hui très précisément quel rôle jouait Groguhé dans l’entourage d’Houphouët. Et voici comment le personnage était décrit par un certain Banto Djezon, journaliste à Fraternité Matin, qui signa sa nécrologie dans la livraison du 10 mars 1998 :
« C’est en 1958 qu’il se fera connaître à la faveur d’une manifestation dite « la guerre des Béninois » (sic). On le retrouvera ensuite dans la classe dirigeante de la jeunesse du PDCI-RDA.
En 1960, il est revêtu du titre redouté « d’homme politique ». Cette appellation était attribuée à ceux qui avaient accès à la cour du Président Houphouët-Boigny. Ces hommes politiques des années 60 savaient faire, on s’en souvient, la pluie et le beau temps dans leurs régions. (…) Groguhé mort, prend alors fin une énigme en même temps que disparaît certainement le dernier emblème des hommes politiques des années 60. »
Un homme politique, Groguhé ? Une énigme, Groguhé ? De tels propos donnent la mesure de l’aveuglement général qui permit à ce triste individu et à ses semblables de mener en toute impunité, des années durant, leurs ignobles activités. Car, dans ce rôle de sycophante, Groguhé ne fut pas seul. Dans « Les faux complots d’Houphouët-Boigny », Samba Diarra consacre plusieurs pages au système de délation sur lequel reposait la police politique d’Houphouët.
C’est évidemment en tant que provocateur que Groguhé alla à Accra avec sa bande de pieds nickelés, dans le but de pousser à la faute le militant indépendantiste inflexible qui avait rallié la Guinée après le référendum de 1958, afin de le faire passer pour un comploteur écervelé. Mémel ne se laissa pas prendre à ce piège grossier. Et quand ceux qui tiraient les ficelles de Groguhé et consort réussirent à se saisir de lui, ils durent se contenter de le faire condamner pour le motif ubuesque… d’atteinte à la situation diplomatique de la Côte d’Ivoire.
Comment pouvait-on porter « Atteinte à la situation diplomatique » d’une colonie à peine autonome, et qui, alors, n’aspirait même pas à être autre chose ?!
« Lago Léo se veut formel… »
Le récent procès du général Bruno Dogbo Blé, ancien commandant de la Garde républicaine, soupçonné d’avoir ordonné le meurtre du colonel-major ouattariste Moussa Dosso pendant la crise postélectorale, nous a fait découvrir une autre belle figure de sycophante. Le principal accusateur du général et son co-inculpé, le sergent Léo Lago, n’a en effet rien à envier à son grand précurseur. Mais notre seule raison de le prendre ici pour illustrer notre propos, c’est l’intérêt de montrer que si en général les Ivoiriens ne sont plus aussi faciles à duper ou à manipuler que du temps d’Houphouët, leurs ennemis, eux, n’ont pas renoncé à leurs sales habitudes, et Dieu sait s’ils ont plus d’un tour dans leur sac ! Par ailleurs, les candidats sycophantes ne manquent pas…, et ils ne manquent ni de culot ni de bagout. A preuve : « Mon commandant, vous êtes un officier supérieur et en tant que tel, vous ne devriez pas mentir. Vous devez assumer vos responsabilités. Vous m’avez appelé à votre bureau pour me transmettre un ordre du Général. Je l’ai exécuté et vous devez assumer. Je vous en prie, dites la vérité à la cour parce que vous êtes en train de tourner cette cour en bourrique. C’est parce que nous sommes devant la justice que vous refusez de reconnaitre que je suis un bon élément qui ne ment jamais et qui est efficace sur le terrain. Vous savez ce que je fais sur le terrain. Vous savez que je suis un élément courageux et déterminé. Je vous demande d’avoir le même courage pour dire la vérité à la cour. » On croit entendre Christian Groguhé à Yamoussoukro, un certain 15 janvier 1963, récitant la leçon apprise afin de charger au maximum ses prétendus complices. « [Le sergent Lago Léo], observe un chroniqueur, savait qu’il parlerait beaucoup à la barre. Juste avant de s’y présenter à l’appel de son nom, [il] s’offre deux gorgées d’eau et dissimule soigneusement sa bouteille sous le banc du box des accusés ». Et sans doute savait-il aussi que ses paroles seraient reprises avec gourmandise par les journaux ouattaristes, trop heureux de pouvoir étaler cette preuve vivante de la culpabilité du général Dogbo Blé.
Coïncidences
Mais qui est vraiment ce soldat perdu, qui n’a pas sa langue dans sa poche ? La trajectoire du sergent-chef Lago fait ressortir de nombreuses coïncidences qu’il est impossible d’attribuer au hasard seul. Ou alors, c’est un hasard qui a fort bien fait les choses pour certaines gens qui avaient impérieusement besoin qu’à un certain moment, ce « right man » se trouve très précisément « at the right place », et qui l’avaient donc patiemment profilé en vue de ce qu’on attendait de lui. Nombre de sous-officiers de nos prétendues forces armées nationales, les FANCI, se sont trouvés dans des situations similaires, surtout depuis 1990. Tels ceux qu’on lança une nuit de mai 1991, sous l’appellation de « FIRPAC » (forces d’intervention rapide para-commando), à l’assaut de la cité universitaire de Yopougon, puis qu’on envoya participer à une improbable mission des Nations unies en République Centrafricaine, d’où ils revinrent tout à fait mûrs pour être retournés contre la République à la première occasion où Paris y trouverait son compte. Ce qui fut fait en décembre 1999, et de septembre 2002 à avril 2011…
Première coïncidence : le sergent-chef Lago serait un ami de longue date du chef de guerre Zakaria Koné, réputé « le plus ouattariste des officiers Frci ». Selon certaines indiscrétions, c’est Zakaria Koné qui entretient la famille du sergent-chef Lago depuis que celui-ci est en prison. Il aurait « pris à sa charge toutes les dépenses de la petite famille de son ami ». Les mauvaises langues ajoutent que la prestation de Lago devant le tribunal militaire serait, comme qui dirait, sa manière de payer en retour les bienfaits de Zakaria Koné (D’après Alain Bouabré, Soir info 04 octobre 2012).
Dans quelles circonstances s’est nouée cette amitié qui ressemble tant à une camaraderie de régiment ? Ne serait-ce pas au sein de la FIRPAC ? Et le sergent-chef Lago ne serait-il pas, comme son actuel bienfaiteur, l’un des pions de cette stratégie de prépositionnement mise au point par le général français Jeannou Lacaze, le « spécialiste de l’utilisation politique de l’armée » à qui nous devons la création de cette unité d’élite ?
Deuxième coïncidence : le sergent-chef Lago aurait été le garde du corps de l’ambassadeur Eugène Wanyou Allou quand il était en poste au Cameroun. Allou était auparavant le directeur du « Protocole d’Etat » sous Laurent Gbagbo. Il est fort probable que son affectation subite au Cameroun comme ambassadeur était, en réalité, une disgrâce déguisée dont les motifs furent cachés à l’opinion. L’intéressé en conçut en tout cas une rancœur que pour sa part il ne chercha pas vraiment à dissimuler dès qu’il n’eut plus à craindre un éventuel retour de manivelle. Rappelé après la chute de Gbagbo, il ne tarda pas à se rallier au régime fantoche auquel il n’a cessé depuis de donner des gages de son allégeance en actes comme en paroles. On lui doit par exemple ce jugement féroce sur ses anciens amis : « Avant les élections, il y a des gens qui disaient qu’Alassane Ouattara ne peut jamais devenir le président de la République de Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, il l’est ; qu’est-ce qu’ils disent ? Comme ils sont nés avant la honte, qu’ils se taisent définitivement » (D’après Barthélemy Téhin, LGInfo 09 octobre 2012). Il serait intéressant de savoir depuis quand l’ancien homme de confiance de Laurent Gbagbo connaît le sergent-chef Lago, et depuis quand il se trouve dans un tel état d’esprit vis-à-vis de ces gens « nés avant la honte »…
Troisième coïncidence : les circonstances de l’arrestation du sergent-chef Lago, telles que rapportées par lui-même, laissent subodorer une connivence certaine avec les services du procureur militaire : « Je n’ai pas été arrêté dans la rue où à mon domicile. C’est quand je suis allé toucher mon salaire main à main que j’ai rencontré le commandant Zacharia Koné. Nous nous sommes fait des accolades. Après quoi, il m’a invité au Golf Hôtel, le lendemain. Quand je suis arrivé au Golf Hôtel, on m’a arrêté et conduit à la résidence du général Abdoulaye Coulibaly. Là-bas en présence de Maître Sounkalo (avocat du Rdr, ndlr), on m’a dit : « Nous avons des informations selon lesquelles quand le général Dogbo Blé vous a envoyés prendre le colonel Dosso au blocus, c’est toi qui l’as abattu. Nous, nous ne sommes pas des criminels. Ce que nous voulons, c’est de savoir où tu l’as abattu pour prendre son corps ». Là, pour des raisons de sécurité, j’ai nié les faits. Mais c’est devant le commissaire du gouvernement que j’ai tout avoué. J’avoue que je n’ai pas été touché au Golf Hôtel ».
Un faux témoin
« Cette déposition, commente un chroniqueur qui en fut témoin, appelle un certain nombre d’interrogations. Pourquoi le sergent-chef Lago ne semblait pas du tout être inquiet après avoir exécuté le colonel-major Dosso, au point de s’entendre avec le commandant Zakaria Koné et d’aller sur son invitation au Golf Hôtel ? Pourquoi c’est au domicile du général Abdoulaye Coulibaly [l’un des triumvirs de la junte avec les généraux Guéi et Palenfo, très proche d’Alassane Ouattara] que Lago a été interrogé et non dans un camp des Frci comme ça se fait pour tous ceux qu’on arrête ou qu’on enlève depuis que Ouattara est au pouvoir ? Enfin, le sergent-chef Lago est certainement le seul militaire qui, bien que reconnu comme coupable de l’exécution d’une personnalité aussi importante pour le pouvoir actuel que le colonel-major Dosso, n’a subi aucun sévice corporel depuis son arrestation. Qu’a-t-il en commun avec les Frci et le pouvoir Ouattara pour qu’il en soit ainsi ? Autant de questions qui autorisent à penser que le sergent-chef Lago n’a pas dit la vérité sur l’identité du ou des commanditaires de l’assassinat du colonel-major Dosso. » (D’après Notre Voie 09 octobre 2012)
Ainsi, pour tous les journalistes vraiment libres qui ont couvert son procès, le principal accusateur du général Dogbo Blé est le type même du faux témoin. Mais, comme Mathieu Ekra le 15 janvier 1963, ils ne sont pas allé plus loin que ce constat… Or, quand on considère la relation possible entre Lago et l’ambassadeur Allou, par exemple, il y avait là une magnifique occasion de s’interroger sur d’autres cas de désamour au sommet de la hiérarchie du FPI avant ou après l’accession de Laurent Gbagbo à la présidence de la République. Par exemple, outre Eugène Wanyou Allou, à quel rôle des personnages comme Louis-André Dacoury-Tabley, Raphaël Lakpé, Mamadou Koulibaly, et sans doute beaucoup d’autres moins connus, étaient-ils préposés dans l’entourage proche de Laurent Gbagbo ? J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer le cas du dernier cité (Voir, dans ce blog : « Le cas Mamadou Koulibaly », « Mamadou Koulibaly, est-ce bien sérieux ? », « Un prophète de malheur »). D’ailleurs, en lui-même, le cas de l’actuel président de « LIDER » n’a rien de vraiment mystérieux ; il faut être aveugle et sourd pour ne pas savoir, rien qu’en le regardant parler, que Mamadou Koulibaly était et reste un diversionniste – au demeurant très besogneux – au service de l’Internationale ultralibérale chère à son maître Jacques Garello. Les autres cas, plus complexes, demanderaient plus de travail, mais ce n’est pas une raison de ne pas s’en occuper, car leur élucidation peut permettre d’éclairer de nombreux mystères de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire. Ainsi, peut-être découvririons-nous depuis quand, comment et avec quels supplétifs fut préparé le piège qui devait se refermer sur Gbagbo et les siens, le 11 avril 2011. Ce qui nous permettrait de mieux préparer les luttes qui viennent. Car ce modeste essai n’a pas d’autre but que d’attirer l’attention de nos camarades de lutte, et tout spécialement celle des plus jeunes, nécessairement les moins expérimentés, sur certaines embûches qui les guettent. Comme dit l’adage, « un homme avertit en vaut deux » !
J’emprunterais ma conclusion à Sainte-Beuve, le grand critique littéraire de 19e siècle, que vous ne vous attendiez sûrement pas à trouver dans un tel rôle :
« Il est bon que ceux qui mettent la main aux affaires publiques et aux choses concernant le salut des peuples le sachent bien, les hommes en face de qui ils se rencontrent, (…), ne sont pas précisément des vierges, et il n’est pas de plus grande étroitesse d’esprit que de l’être soi-même à leur égard plus qu’il ne convient. » (Les causeries du lundi, 5 mai 1851)
Marcel Amondji (7 septembre 2013)
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