Dans la matinée de jeudi 22 août, alors qu’il était de passage dans la région parisienne où il possède une maison de campagne, l’officier congolais Norbert Dabira se rend à la sous-préfecture de Torcy (Seine-et-Marne) pour régulariser son titre de séjour en France. Imprudence ou certitude de la protection que lui confère son passeport diplomatique ? Toujours est-il que les policiers l’interpellent immédiatement, en vertu d’un mandat d’arrêt international délivré en 2004 dans le cadre de l’affaire des « disparus du Beach », avant de le transférer au tribunal de grande instance de Paris.
Les deux magistrats qui instruisent l’affaire étant en vacances, c’est un juge extérieur au dossier, Roger Le Loire, qui est chargé du suivi de la procédure. Sans procéder à une audition sur le fond, il décide aussitôt de mettre en examen Norbert Dabira pour crimes contre l’humanité et de le placer sous contrôle judiciaire.
Les faits reprochés au général congolais – enlèvements et disparitions systématiques, actes de torture – sont de la plus haute gravité, mais celui qui a aujourd’hui rang de ministre délégué à Brazzaville est ressorti libre du palais de justice, arguant de son innocence. Son avocate, Me Caty Richard, elle, proteste et promet de demander l’annulation de cette mise en examen devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel. « Mon client a été acquitté en 2005 lors d’un procès parfaitement organisé au Congo et il n’y a aucun élément nouveau », souligne-t-elle.
Un procès exemplaire à Brazzaville ? Ce n’est pas la caractéristique première retenue par la partie adverse. « Ce fut une mascarade destinée à innocenter les 15 accusés du massacre du Beach », juge Patrick Baudouin, l’avocat de deux rescapés et président d’honneur de la FIDH, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, qui s’est portée partie civile dans cette affaire.
« JE CRAINS DE NOUVELLES INTERFÉRENCES POLITIQUES AU CONGO »
En mai 1999, dans la foulée d’un accord conclu entre le Congo, la République démocratique du Congo et le Haut-Commissariat aux réfugiés, des milliers de réfugiés avaient traversé le fleuve Congo en provenance de Kinshasa pour retourner dans leur pays d’origine. Le président du Congo-Brazzaville, Denis Sassou Nguesso, avait alors promis de réconcilier les citoyens de son pays.
Aussitôt après leur débarquement au Beach, le grand port fluvial de Brazzaville, les jeunes hommes furent mis de côté, triés par les forces de l’ordre. 353 d’entre eux, suspectés d’être des miliciens Ninjas fidèles à Bernard Kolélas, l’un des rivaux de M. Sassou Nguesso dans la guerre civile, ne sont jamais réapparus. « Certains ont été conduits dans des camps militaires et d’autres ont été assassinés à quelques mètres de la présidence », accuse Marcel Touanga, qui a perdu un fils dans le massacre et qui dirige le collectif des « disparus du Beach ».
Aujourd’hui, la responsabilité de l’Etat congolais n’est plus à démontrer : elle a été reconnue par la cour criminelle de Brazzaville en 2005, mais les familles des victimes attendent toujours que les auteurs et les commanditaires de cette tuerie soient punis. « La mise en examen de Norbert Dabira, qui était inspecteur général des armées à l’époque des faits, est positive, mais je crains de nouvelles interférences politiques et, au Congo, il existe une sorte de main noire qui plane au-dessus de ceux qui en savent trop », reprend Marcel Touanga en faisant référence à la mort en avril de l’ancien patron de la Garde républicaine, le général Blaise Adoua, ou à la mise en cause du colonel Marcel Ntsourou dans la meurtrière explosion d’un dépôt de munitions en mars 2012.
PRINCIPE DE « COMPÉTENCE UNIVERSELLE »
Si, à Brazzaville, le volet judiciaire de cette tragédie est clos, en France, depuis son ouverture en 2002 en vertu du principe de « compétence universelle », l’enquête n’a pas été épargnée par les pressions extérieures et a contribué, avec l’affaire des « biens mal acquis » dans laquelle est également cité Denis Sassou Nguesso, à dégrader les relations entre les deux pays.
La procédure a tout d’abord été annulée par la cour d’appel de Paris avant d’être relancée par la Cour de cassation. L’épisode le plus rocambolesque demeure la libération de Jean-François Ndengue. En avril 2004, le chef de la police congolaise avait été relâché quelques heures après sa mise en détention à la prison de la Santé par la grâce d’une inédite réunion nocturne de la chambre de l’instruction. M. Ndengue s’était immédiatement envolé pour son pays à bord d’un jet privé.
Le général Norbert Dabira, lui, n’a pas eu besoin d’une quelconque exfiltration. Jeudi soir, après sa sortie du palais de justice, il est parti tranquillement pour la Chine. Avec un billet retour pour Paris ?
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