Abidjan le 20 août 2013
Sylvain N’GUESSAN
On ne peut faire place à une action nouvelle qu’à partir du déplacement ou de la destruction de ce qui préexistait et de la modification de l’état des choses existantes. Ces transformations ne sont possibles que du fait que nous possédons la faculté de nous écarter par la pensée de notre environnement et d’imaginer que les choses pourraient être différentes de ce qu’elles sont en réalité. (Hannah Arendt, 1972). Pour ce, invitons les intellectuels, les acteurs politiques, les cyber activistes, les membres de la société civile, les religieux… sous l’arbre à palabre. Si nous nous en tenons aux travaux de Lanciné Sylla (Anthropologie de la paix), Nyerere (Democracy and Party System), Cornevin (« La palabre africaine », Revue Pegasus), Ki-Zerbo (Le monde africain noir), la palabre africaine obéit à des règles strictes et dure souvent longtemps, car aucune restriction n’est apportée aux discours des assistants de toute origine (…) La parole est à quiconque veut la prendre (…) Les chefs généralement prennent la parole après tout le monde. (Cornevin, 1979).
La fonction sociale de cette juridiction telle que nous l’évoquons ici est d’aider la Côte d’Ivoire à guérir de ses peurs ; peurs liées à des évènements anormaux, à des crises politiques, économiques, sanitaires comme le dit le professeur Sylla. Notre analyse s’articulera autour de 3 axes : les difficultés de la Raison (I), leur matérialisation (II) et des suggestions en vue de la cohésion sociale malgré nos différences (III).
I-LES DIFFICULTES DE LA RAISON
Pourquoi nos efforts sincères et consciencieux pour raisonner les uns avec les autres ne parviennent-ils pas à un accord ? Il y a, bien sûr, plusieurs explications possibles. Nous pouvons supposer que la plupart des gens soutiennent des opinions qui protègent leurs intérêts au sens étroit ; et, comme ces intérêts sont tous différents, il en va de même pour leurs opinions. Ou bien alors, les gens sont souvent irrationnels et ne sont donc pas capables de réfléchir ; ce qui, ajouté à des fautes de logique, conduit à des positions contradictoires. Ces contradictions seraient le fait de préjugés, des intérêts personnels ou de groupe, l’aveuglement, l’entêtement.
Rawls note dans Justice et Démocratie que de telles explications sont trop faciles. Pour Rawls, une société démocratique moderne est caractérisée par une pluralité de doctrines compréhensives, religieuses, philosophiques et morales. Pas une seule de ces doctrines n’est adoptée par les citoyens dans leur ensemble. Et il ne faut pas s’attendre à ce que ce soit le cas dans l’avenir prévisible. (Rawls, 1995)
Ici se pose la question de la stabilité de la société avec ce pluralisme. Mieux, le problème de la cohésion sociale de toute société se pose en ces termes : comment une société composée de citoyens libres et égaux, mais profondément divisés par des doctrines incompatibles entre elles, religieuses, philosophiques et morales, peut exister de manière durable ? (Rawls, 1987)Comment trouver des solutions qui empêchent l’émergence des conflits ? Voyons comment se manifestent les difficultés de la raison.
II-LA MATERIALISATION DES DIFFICULTES DE LA RAISON
Les raisons de ces conflits sont diverses. Toutefois, l’on pourrait, sous l’angle qui nous intéresse ici, répertorier les conflits en cinq grands compartiments. Ce sont : des divergences sur les faits, sur la signification qu’on leur donne, sur les objectifs, sur les méthodes et sur les valeurs.
Désaccord sur la réalité des faits : Chacun possède et rapporte des faits différents du même problème. Chacun a tendance à refuser les données qui le gênent et à voir la réalité de façon différente.
Désaccord sur l’interprétation des faits: Les habitants de la cité peuvent disposer des mêmes faits, mais n’en ont pas la même interprétation. Cette divergence est normale, puisque les statuts et les rôles des uns et des autres sont différents.
Désaccord sur les buts : Les différentes parties peuvent être en désaccord sur ce que l’on se propose de réaliser, sur les objectifs à atteindre. En général, le vainqueur essaie d’imposer, sans accepter de les négocier, des objectifs que le vaincu jugera secondaires, dérisoires, sans intérêt ni enjeu.
Désaccord sur les méthodes : Un autre objet de désaccord, et sans doute parmi les plus fréquents, est le conflit sur les méthodes, c’est-à-dire sur la marche à suivre, les procédés utilisés pour atteindre un résultat, ou sur les stratégies propres à chacun pour l’obtenir.
Désaccord sur les valeurs : C’est le désaccord sur la philosophie et le style de management, sur la façon d’exercer l’autorité, sur ce qu’on estime important dans les relations avec autrui.
COMMENT LES SURMONTER ?
Comment une société démocratique juste, composée de citoyens libres et égaux, mais profondément divisés par des doctrines incompatibles entre elles, religieuses, philosophiques et morales, peut-elle exister de manière stable et durable ? L’idée d’un consensus par recoupement peut nous être d’un certain secours. Elle nous permet de comprendre comment un régime constitutionnel, caractérisé par le fait du pluralisme (existence de doctrines conflictuelles), pourrait assurer, malgré des divisions profondes et grâce à la reconnaissance publique d’une conception politique raisonnable de la justice, la stabilité et l’unité sociales. Rawls écrit dès lors que « (…) dans une démocratie constitutionnelle, la conception publique de la justice devrait être, autant que possible, indépendante de doctrines religieuses et philosophiques sujettes à controverses. » (Rawls, 1987). C’est la théorie de la démocratie procédurale et non substantielle.
Notre expérience totale durant toute notre vie influence la manière dont nous évaluons et apprécions un fait. Et cette expérience est certainement différente pour chacun. Ainsi, dans une société moderne, avec sa diversité d’emplois, sa division du travail, ses nombreux groupes sociaux ainsi que leur diversité ethnique, religieuse, régionale, sociale; les appartenances politiques, les expériences des citoyens dans leur ensemble sont si disparates que leurs jugements divergent.
En clair, dans un avenir prévisible, il y aura toujours des militants au FPI, au RDR, au PDCI…Il y aura toujours des citoyens qui vont se réclamer de la Gauche, du Centre, de la Droite sans oublier les différents sous-ensembles possibles. Notre Constitution consacre le multipartisme, la liberté de pensée et d’association. Le Krou est libre de militer au FPI, le Baoulé au PDCI et le Sénoufo au RDR. Dans un régime démocratique, nul n’est obligé de réfléchir comme son voisin et le multipartisme consacre la diversité des goûts idéologiques. Il y a atteinte à la liberté si un parent oblige ses enfants à militer dans le même parti que lui. Chaque enfant majeur est libre de ses options. Tel citoyen est libre de voter pour des raisons idéologiques; un autre pour des motivations tribales; tel autre pour des interprétations religieuses; un autre encore pour des questions de genre, pour le charisme de son candidat…Nul de ces électeurs n’opère le meilleur choix. Chacun d’eux a choisi en fonction de ses sensibilités et notre Constitution le lui permet !
C’est aux acteurs politiques qu’il revient de trouver des arguments pour amener les électeurs à opter pour leur candidat et non un autre. Il n’y a pas lieu d’en vouloir à un tel d’avoir voté pour tel candidat du moment où le Conseil constitutionnel a validé les dossiers de candidature des différents prétendants. A moins qu’il soit dorénavant demandé au Conseil constitutionnel de valider les dossiers de candidature sur la base des projets de société…
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