Mali : les résultats du 1er tour reportés à demain vendredi

IBK
Ibrahim Boubacar Keïta en campagne, le 26 juillet 2013 à Bamako. (Photo Alain Amontchi. Reuters)

 

Par AFP

Les résultats du premier tour de la présidentielle au Mali, qui étaient attendus jeudi, ne seront proclamés que vendredi, a annoncé la présidence malienne sur son compte Twitter. Aucune explication n’a été donnée à ce report, mais un responsable du ministère malien de l’Administration territoriale (Intérieur) joint par l’AFP a affirmé que le «dépouillement» n’était pas «totalement» terminé.

Ce responsable a ajouté que le dépouillement des bulletins était «un travail fastidieux», mais que la loi électorale donnait cinq jours après le scrutin pour proclamer les résultats provisoires et officiels. Le premier tour de la présidentielle s’est déroulé dimanche 28 juillet, et vendredi est donc la date limite à cette proclamation.

Des «tendances» portant sur un tiers des bulletins données mardi par le ministre de l’Administration territoriale, le colonel Moussa Sinko Coulibaly, faisaient état d’une «large avance» d’un des deux grands favoris, Ibrahim Boubacar Keïta, 68 ans, face à son principal rival Soumaïla Cissé, 63 ans. «Si ces écarts sont confirmés, il n’y aura pas de deuxième tour», avait affirmé le colonel Coulibaly, ce qui avait provoqué l’indignation du camp de Soumaïla Cissé.

Le parti de Soumaïla Cissé, l’Union pour la République et la démocratie (URD), a dénoncé mercredi «un bourrage d’urnes» et affirmé qu’un second tour était «sûr à 100%» entre les deux candidats favoris. L’URD a réclamé la démission du colonel Coulibaly, accusé d’avoir outrepassé son rôle en affirmant que qu’Ibrahim Boubacar Keïta pourrait l’emporter dès le premier tour.

IBK, le pari gaullien de la renaissance du Mali

Par JEAN-LOUIS LE TOUZET, THOMAS HOFNUNG Envoyés spéciaux à Bamako

Liberation.fr

«Ce n’est pas à 68 ans que je vais commencer une carrière de fraudeur», lançait, au micro de RFI, le candidat Ibrahim Boubacar Keïta (dit «IBK») à la veille du scrutin présidentiel au Mali. Une paraphrase de la célèbre formule de De Gaulle, «ce n’est pas à mon âge que je vais commencer une carrière de dictateur» et IBK aime aussi à rappeler dans un style très gaullien qu’il a «une certaine idée du Mali». Et il semble maintenant avoir de bonnes chances de commencer une carrière de chef d’Etat. Après deux échecs successifs, en 2002 et 2007, face au général Amadou Toumani Touré (alias «ATT»), le voici enfin arrivé au seuil du palais blanc de Koulouba, le siège de la présidence de la République situé sur les hauteurs de Bamako. Dans l’attente des résultats officiels du premier tour, organisé dimanche, les estimations lui conféraient hier une nette avance sur son principal rival, l’ex-ministre des Finances Soumaïla Cissé (lire ci-contre).

Coup politique. Durant sa campagne, IBK a plusieurs fois convoqué la figure de De Gaulle, dont il prise les sentences, pour mieux exprimer ce qu’il ressent : une profonde volonté de redresser son pays «humilié» par la pire crise depuis l’indépendance, en 1960. «Nous avons eu peur de disparaître, nous avons rapetissé durant tous ces mois, dit-il à Libération. Rendez-vous compte : durant des semaines, nous ne savions même pas si la famille de ma femme, originaire du Nord, était toujours vivante.» Contrairement à la plupart de ses concurrents, cet homme rond, à la démarche lente, n’a pas pris la peine de battre la campagne, même s’il a réussi un coup politique en étant le premier candidat à se rendre à Kidal, le fief des séparatistes touaregs. «Ce n’est pas un grand bosseur, mais il croit en sa bonne étoile», estime un éditorialiste de Bamako. Et c’est peut-être là sa chance : IBK est l’homme d’un moment de l’histoire du Mali, celui qui incarne les aspirations de la majorité de ses concitoyens.

Concoctées par une agence de publicité béninoise, ses affiches placardées aux quatre coins de Bamako expriment bien les ressorts de sa stratégie. Menton en avant, regard vers l’infini, IBK veut restaurer «l’honneur du Mali». Sur d’autres, on le voit entouré d’enfants, tel un grand-père débonnaire, proclamant cette fois son attachement au «bonheur des Maliens». Simple mais apparemment efficace. A longueur d’interviews, IBK martèle sa vision de l’avenir du Mali. «Traumatisés par ce qui vient de leur arriver, en colère contre l’ancien président ATT accusé de laxisme durant des années, notamment face à une corruption galopante, les Maliens veulent être rassurés. Or Ibrahim Boubacar Keïta incarne à la fois l’autorité et le besoin de protection», décrypte un diplomate en poste à Bamako. «Il y a de gros problèmes au Nord, certes, mais cela ne va pas mieux au Sud, précise un observateur étranger. C’est toute la maison Mali qui est malade.» A IBK d’y remettre bon ordre.

Se positionnant en quelque sorte comme l’anti-ATT, ce vieux routard de la politique locale a échappé au discrédit qui frappe une bonne partie des politiciens du cru. Les Maliens le connaissent bien. Sous les deux mandats de l’ex-président Alpha Oumar Konaré (1992-2002), il a été ministre des Affaires étrangères puis Premier ministre. En 1993, pour mettre un terme à l’agitation des étudiants, il n’a pas hésité à fermer les écoles. Une mesure drastique, qui fit perdre une année d’étude, mais qui vingt ans plus tard est portée à son crédit comme la preuve de sa fermeté. A l’époque, cet homme qui se dit de gauche, membre de l’Internationale socialiste, citait déjà de Gaulle : «Non à la chienlit !» Au tournant des années 2000, il a rompu avec le président Konaré avant d’entamer une semi-traversée du désert : malgré ses deux échecs aux présidentielles de 2002 et 2007, jugées frauduleuses par de nombreux observateurs étrangers, il fut tout de même président de l’Assemblée nationale.

Ambiguïtés. Dépourvu du soutien d’un appareil politique solide, IBK compense par une capacité hors pair à ratisser large. Lors de cette élection, il a été aussi bien soutenu par les putschistes du capitaine Sanogo (Libération d’hier) que par les jeunes du Haut Conseil islamique, institution à l’influence grandissante à Bamako. «Nous l’avons rencontré durant trois heures, et nous avons été convaincus qu’il défendrait bien nos valeurs», explique l’un de ses responsables, Moussa Boubacar Bah.

Habile tacticien, IBK ne rejette aucun de ces alliés – peut-être de circonstance – et laisse ses opposants s’échiner à dénoncer ses ambiguïtés, par ailleurs réelles. Lors du putsch du 22 mars 2012 contre son vieil adversaire, le général ATT, ne fut-il pas l’un des rares ténors de Bamako à rester coi ? «Je veux une transition solide, pas avec des politiciens à la petite semaine ni avec des putschistes, disait-il à Libération fin juin. Sanogo ? On a voulu me faire passer pour un proche. Mais je ne suis pas stupide pour me laisser compromettre avec les militaires putschistes !»

S’il l’emporte, comment voit-il son mandat ? Cela ne sera pas une partie de plaisir, expliquait-il alors en substance. «Il faudra déplaire, prendre des décisions rapides et hardies. C’est une mission de reconstruction totale», précise-t-il, lucide. Très attaché à la souveraineté de son pays, IBK s’est donné comme objectif de rétablir l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire et compte organiser des «assises du Nord» pour favoriser la réconciliation des Maliens avec eux-mêmes. Pour tenter de mener à bien son entreprise de «refondation», il aura forcément besoin de l’aide de la communauté internationale. A commencer par celle de la France, où il possède de solides amitiés dans les rangs socialistes : Laurent Fabius, Manuel Valls, Ségolène Royal.

A Bamako, d’aucuns l’ont affublé du statut de «candidat de la France». Mais, en cas de victoire, Ibrahim Boubacar Keïta ne sera pas forcément un partenaire commode. Récemment, il nous confiait son étonnement devant l’attitude des forces de l’opération Serval à Kidal, soupçonnées par certains à Bamako de protéger les séparatistes touaregs du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad). Taxé par ses adversaires politiques de populisme, IBK est très ami avec un certain Laurent Gbagbo. «Je suis le candidat de mon peuple» , déclarait-il à Jeune Afrique fin juin. Qu’on se le dise.

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