Annoncée à Abidjan pour réclamer Simone Gbagbo
Par Vincent Hugeux Source: lexpress.fr
Fatou Bensouda persiste et signe à l’occasion de sa prise de fonction :
‘‘Le cas Gbagbo est le premier dossier ivoirien de la CPI, et ne sera pas le dernier’’
La procureure de la Cour pénale internationale, Mme Fatou Bensouda, est en route pour Abidjan, dans le cadre d’une visite de travail en Côte d’Ivoire. Elle sera reçue vendredi 19 juillet, par le Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés publiques, Gnenema Coulibaly Mamadou. Un an après sa prise de fonction en juin 2012, la procureure de la Cour Pénale Internationale, Fatou Bensouda, donne sa vision de l’institution créée en 2002. Entretien. Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) depuis juin 2012, Fatou Bensouda, vêtue d’un ample boubou bleu à motifs, reçoit dans son bureau perché au 9e étage du siège de l’institution, à La Haye, aux Pays-Bas. La vocation de cette juriste gambienne, en partie formée au Nigeria, remonte à l’enfance. Témoin du calvaire d’une tante martyrisée par son époux, la petite Fatou n’a jamais admis d’être éconduite lorsqu’elle accompagnait la victime pour porter plainte au commissariat de police. Promue procureur général de Banjul dès 1987, elle hérite 11 ans plus tard du maroquin de ministre de la Justice. Mais la cohabitation avec le président Yahya Jammeh, tyran aux lubies proverbiales, sera de courte durée. Son parcours conduit ensuite cette ancienne experte en droit maritime à Arusha (Tanzanie), siège du Tribunal international pour le Rwanda, puis dans la cité portuaire batave, où elle sera des années durant l’adjointe du premier procureur, l’Argentin Luis Moreno Ocampo.
Quel jugement portez-vous sur la performance de la Cour pénale internationale (CPI), à l’aune des espoirs suscités par sa création ?
En dépit de ce que disent ses détracteurs, je considère que la CPI fonctionne extrêmement bien, au regard des conditions difficiles dans lesquelles elle opère et des contraintes qu’elle subit. Il y a eu tant à faire en dix ans… Nous avons établi cette Cour en 2002 à partir de rien. Puis il a fallu recruter un personnel de qualité, ce qui prend du temps, mettre en place nos stratégies et nos modes de fonctionnement. Dans le même temps, nous avons dû commencer nos investigations sur la République démocratique du Congo (RDC), à la demande de celle-ci, alors même que nous parvenaient d’autres requêtes émanant de la République centrafricaine (RCA) comme de l’Ouganda. Même si nous avons tiré profit de l’expérience des tribunauxad hoc [Rwanda et ex-Yougoslavie], le cas de la CPI reste singulier. Pour la première fois, il était question de participation des victimes et de réparations. Enfin, il a fallu agir alors dans des pays où la guerre faisait encore rage, en veillant sur la sécurité des victimes, des témoins et de nos équipes.
Un seul verdict en 11 ans d’existence. A qui la faute?
Il ne s’agit pas de blâmer quiconque. Cette Cour repose sur un dispositif complexe avec ses différents organes, qui doivent oeuvrer ensemble. Même si le Bureau du Procureur est le moteur des enquêtes, nous devons nous assurer que celles-ci sont conduites de manière appropriée dès la phase préliminaire, veiller à la qualité des preuves soumises aux juges qui auront à les évaluer. Le Greffe, pendant ce temps, assure le soutien administratif. Et n’oublions pas la défense, qui fait bien sûr partie du système, tout comme les représentants des victimes.
Le 3 juin dernier, la Chambre préliminaire a décidé d’ajourner l’audience de confirmation des charges pesant sur Laurent Gbagbo. Victoire totale pour la défense, proclament les avocats de l’ex-président ivoirien. Comment expliquer un tel revers?
Nous ne sommes pas d’accord avec cette décision, et nous avons d’ailleurs fait appel. En l’espèce, il s’agit de déterminer s’il y a lieu d’aller au procès ou pas. Un des juges a considéré que l’accusation a atteint le seuil de preuves requis, les deux autres non. Il ne s’agit ni d’un acquittement, ni d’un rejet complet du dossier, mais d’une demande de preuves supplémentaires.
On reproche notamment à votre Bureau d’avoir fourni pour l’essentiel des documents et témoignages de seconde main.
Je le conteste. Que ceci soit clair: nos accusations ne reposent pas sur le travail des médias ou sur des textes de blogs. Nous devons conduire des investigations indépendantes et soumettre les preuves aux juges. C’est ce que nous avons fait. Et j’ai confiance dans le fait que les éléments complémentaires que nous verserons aboutiront à confirmer les charges contre Laurent Gbagbo.
Le procès du rebelle congolais Thomas Lubanga, condamné à 14 ans de prison, a pâti lui aussi de la fragilité des témoignages.
J’ai dit et je répète que le moment est venu de tirer les leçons du passé. J’ai annoncé publiquement que, sous ma direction, nous réviserons notre stratégie. Nous y travaillons en interne, mais aussi avec le concours d’experts extérieurs. Je ne prétends pas que ce Bureau est parfait. Le dossier Lubanga, le premier le premier à avoir suivi l’intégralité du cycle judiciaire, nous offre l’occasion d’examiner calmement notre travail, de l’évaluer et de vérifier que nous avançons bien dans la bonne direction.
Manquez-vous d’enquêteurs aguerris et de juges compétents?
Je ne dirai évidemment rien au sujet des juges (rires). Ce dont le Bureau a souffert dans le passé, c’est de devoir œuvrer avec des moyens limités. Nous avons essayé, à la demande des Etats membres, de gagner en efficacité. Voilà pourquoi il nous a fallu réorienter les ressources, y compris en personnel, en fonction des priorités du moment. Et donc au détriment des autres secteurs. Si nous sommes conscients des contraintes économiques, j’ai été très claire vis-à-vis du Comité Budget et Finances de l’Assemblée des Etats-parties : si l’on veut que la Cour produise les résultats escomptés, il faut lui attribuer des ressources supplémentaires.
Dans le cas ivoirien, il est clair que la dissymétrie au profit du nouveau pouvoir, épargné jusqu’ici, nuit à la crédibilité de la CPI.
Cette Cour n’est pas, et ne sera jamais, une institution politique. Et personne ne doit tenter de la politiser. Qu’il s’agisse de lancer un mandat d’arrêt ou de formuler des charges, c’est sur la seule base des preuves réunies. J’ai dit, à la suite de mon prédécesseur [Luis Moreno Ocampo], que toutes les parties au conflit seraient soumises à examen. Cela demeure vrai. Mais il faut bien partir de quelque part. Commencer nos enquêtes en regardant partout en même temps serait inefficace. Le dossier Gbagbo est le premier en Côte d’Ivoire. Ce ne sera pas le dernier.
Au sein des opinions africaines, et notamment chez les jeunes, les réquisitoires contre une CPI reléguée au rang d’instrument néocolonialiste ou d’outil d’une « justice de vainqueurs », recueillent un réel écho. Comment remédier à ce phénomène?
Beaucoup dépend de qui parle le plus fort et atteint l’audience la plus large. Avant tout, si l’on s’en tient aux faits, cette propagande est aux antipodes de la réalité. On entend par exemple que la Cour serait financée par l’Amérique, ce qui est totalement faux. Les premières saisines émanent toutes d’Etats africains. Récemment, alors même que tant de voix nous accusaient de ne cibler que les Africains, la Mali nous a sollicité, comme la Côte d’Ivoire avant lui. Autant de gouvernements qui refusent l’impunité et manifestent leur confiance dans notre capacité d’enquêter et de poursuivre. Cette histoire de justice des vainqueurs est vraiment dénuée de sens.
Pour l’heure, l’Union africaine (UA) s’oppose à l’ouverture à Addis-Abeba, où elle siège, d’un bureau de liaison de la CPI.
La Cour partage les valeurs énoncées dans l’acte constitutif de l’UA. Voilà pourquoi nous voulons poursuivre le dialogue avec celle-ci, afin d’échanger des informations et de clarifier ce qui doit l’être. La décision quant au bureau de liaison revient à l’Union, mais j’ai la conviction qu’au bout du compte, ses leaders comprendront qu’un tel dispositif serait mutuellement bénéfique. J’observe d’ailleurs que, dans le même temps, la coopération avec les Etats africains pris individuellement n’a nullement régressé.
Pourquoi des pays tels que Bahreïn ou le Yémen, théâtres récemment de répressions féroces, ne sont pas inquiétés?
Parce que ni l’un ni l’autre ne figurent parmi les Etats membres. Seul dans ce cas le Conseil de sécurité des Nations unies peut saisir la CPI, ce qu’il n’a pas fait. Même chose pour la Syrie : la décision ne nous appartient pas. En clair, on nous critique pour les actions que le Security Council entreprend ou n’entreprend pas. Il s’agit d’un organe politique qui peut prendre des décisions en fonction de critères différents des nôtres.
De nombreux Etats membres pratiquent une forme de coopération sélective. Oui à la CPI quand ça nous arrange. Non dans le cas contraire.
Signer et ratifier le Statut de Rome impose certaines obligations. Les Etats parties prennent l’engagement de coopérer avec la Cour, de la soutenir et d’exécuter les décisions des juges. Ce système ne peut fonctionner que si les partenaires se conforment à leurs devoirs. Mais ils est vrai que les Etats choisissent parfois de coopérer ou pas en fonction de leurs intérêts.
Certains analystes jugent contre-productive l’inculpation de chefs d’Etat -tel le Soudanais Omar el-Béchir-, en ce qu’elle les inciterait à la fuite en avant.
Je ne vois pas en quoi. Dès lors que nous détenons des preuves suffisantes… D’autres tribunaux l’ont fait avant nous. Souvenez-vous des cas de Slobodan Milosevic en Yougoslavie ou du Libérien Charles Taylor dans le dossier sierra-léonais. Certains Etats, c’est vrai, persistent à recevoir le président Béchir, à l’image du Tchad. Mais d’autres, y compris en Afrique, ont décidé de ne plus l’accueillir. Tout cela prendra du temps, mais je maintiens que l’intéressé finira par comparaître un jour devant la CPI.
Au Kenya, Uhuru Kenyatta doit en partie son accession à la présidence aux poursuites engagées contre lui par la CPI pour les violences électorales de 2007 et 2008…
Dans une élection, il faut des moyens, un message en résonnance avec les attentes du peuple et une forte mobilisation. Ce candidat avait tout cela. Il est vrai qu’il a aussi capitalisé sur sa mise en cause par la Cour. Mais gardons-nous de mélanger un processus démocratique de nature politique et le processus judiciaire et légal en cours. Le fait que Messieurs Kenyatta et [son vice-président William] Ruto ont été élus président et vice-président ne mettra pas fin à la démarche entreprise.
Les autorités de Tripoli refusent l’extradition vers La Haye de Seïf al-Islam Kadhafi, fils et dauphin du défunt Guide, et de Abdallah al-Senoussi, ancien chef des renseignements de la Jamahiriya, qu’elles tiennent à juger l’un et l’autre sur le territoire libyen.
Pour Senoussi, nous attendons la décision de nos juges. S’agissant de Seif al-Islam, ceux-ci ont décidé qu’il devrait être transféré à la CPI. Je sais que les Libyens ont fait appel de cette décision. Mon Bureau persiste à coopérer avec eux. Récemment, nous avons d’ailleurs reçu ici la visite du nouveau procureur général de Tripoli.
La Cour a-t-elle selon vous joué un rôle dissuasif vis-à-vis des chefs d’Etat et autres chefs de guerre?
Nous sommes bien sûr toujours en chemin. Ne serait-ce que parce qu’il y aura toujours des conflits. Pour autant, je crois que la CPI est devenue un acteur pertinent des relations internationales. A titre d’exemple, elle a eu un impact positif sur la démobilisation d’enfants-soldats. Voyez en outre l’effet bénéfique de notre vigilance sur les récentes élections kényanes [mars 2013], alors même que tout le monde redoutait de nouveaux affrontements.
Source : lexpress.fr
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