Yamoussoukro (Xinhua) – Le président de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) en Côte d’Ivoire, Charles Konan Banny, appelle le président Alassane Ouattara à faire « un saut qualitatif » pour favoriser la réconciliation nationale et « sauver le pays » après la meurtrière crise post-électorale de 2010-2011.
« Le président de la République est la clé de voûte de nos institutions, lui seul décide en dernier ressort, c’est pourquoi les Ivoiriens attendent de lui le saut qualitatif qui sauvera leur pays », a déclaré Charles Konan Banny vendredi à la cérémonie de clôture d’un colloque organisé à Yamoussoukro (centre, 230 km d’Abidjan) par sa structure sur les « causes profondes » de la crise en Côte d’Ivoire.
« Nous exhortons le président de la République comme les acteurs politiques dans leur ensemble à emprunter la voie du compromis et du consensus afin d’éviter à notre pays la réapparition des problèmes de gouvernance qui ont provoqué la crise », a poursuivi M. Konan Banny soulignant qu' »il est temps de faire de la politique autrement ».
Pour le président de la CDVR, « dans ce qui est arrivé à la Côte d’Ivoire, les torts sont partagés et il importe que tous ceux qui ont commis des violations des droits humains le reconnaissent et fassent acte de repentance ».
« Le pardon des victimes est à ce prix », soutient-il.
Le colloque de Yamoussoukro a fait des recommandations précises sur les questions qui sont à la base de la désunion des Ivoiriens, dans l’espoir de favoriser la détermination d’un nouveau mode de » vivre ensemble » en Côte d’Ivoire.
« Grâce aux travaux de ce colloque, nous avons mieux compris les causes profondes de la crise. La solution ne sera pas simple, elle nécessitera des révisions déchirantes, des compromis difficiles et beaucoup d’imagination mais au bout de cet effort, nous aurons gagné une paix durable et une véritable réconciliation », assure Charles Konan Banny.
Au moins 120 personnes issues de la société civile et politique ont pris part au colloque et planché sur le foncier, la citoyenneté et la démocratie, la sécurité et la justice, le genre, la formation et la jeunesse, et la pauvreté.
La CDVR a été créée en juillet 2011 par le président Ouattara pour recoller le tissu social déchiré par la crise post-électorale qui a fait 3.000 morts en Côte d’Ivoire.
COLLOQUE DE LA COMMISSION HEURISTIQUE DE LA CDVR
ALLOCUTION DE CLOTURE DU PREMIER MINISTRE CHARLES KONAN BANNY, PRESIDENT DE LA CDVR
Vendredi 12 juillet 2013
Monsieur le Préfet de la Région du Bélier, Préfet du département de Yamoussoukro,
Monsieur le Gouverneur du District autonome de Yamoussoukro,
Mesdames et Messieurs les Préfets,
Mesdames et Messieurs les Sous-Préfets,
Mesdames et Messieurs les Élus,
Monsieur le Président de la Commission heuristique,
Mesdames et Messieurs les Commissaires de la CDVR,
Honorables Chefs religieux et traditionnels,
Mesdames et Messieurs les Membres de la Commission scientifique du colloque,
Mesdames et Messieurs les Experts,
Mesdames et Messieurs,
Après trois jours d’intenses travaux, nous voici au terme des activités de la Commission heuristique. Nous lui avons assigné la tâche de rechercher objectivement toutes les causes profondes de la crise qui affecte la Côte d’Ivoire depuis de nombreuses années. Avec les délibérations de cette Commission et le présent colloque, nous sommes de plain-pied dans le cœur du métier de la réconciliation. Les résultats des investigations de la Commission heuristique, qui ont fait l’objet de débats entre les experts, seront rapprochés des attentes de la population, telles qu’elles ont été exprimées lors des consultations nationales que nous avons organisées. Dans les jours à venir, le point de vue des citoyens sera largement diffusé afin que tous les Ivoiriens en soient informés.
Mesdames et Messieurs,
Lors de la cérémonie solennelle d’installation de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation, j’ai indiqué que le but ultime de notre mission, au-delà de la recherche de la vérité, est la réponse aux trois questions suivantes qui sont vitales pour notre pays : « qu’est-ce que la Côte d’Ivoire ? » ; « qu’est-ce qu’être ivoirien ? » ; « que voulons-nous être ? »
La réponse à ces questions requiert de notre part courage et discernement, car de la pertinence des choix que feront les Ivoiriens dépendra l’avenir de la Côte d’Ivoire. Il importait donc de scruter avec l’attention la plus soutenue notre propre histoire pour y déceler les sources des crises répétées que nous avons vécues. C’est en jetant une lumière franche sur notre histoire que nous parviendrons à mettre à nu les raisons qui nous ont conduits à la toute dernière crise. Car une catastrophe humaine ne découle jamais d’une action instantanée, elle résulte d’erreurs accumulées et non corrigées.
Les questions que la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation et les experts ont posées aux cours de ces assises ont déjà fait l’objet d’examens minutieux à l’occasion de précédents forums. Il existe donc une documentation significative qui a pu servir de point de départ à la grande œuvre de la commission heuristique. En choisissant les membres de celle-ci, la CDVR a du reste tenu compte de leurs antécédents professionnels, car il n’était ni utile ni judicieux de tout recommencer comme si nous nous engagions sur un terrain inconnu.
Mais si utiles qu’aient été les travaux antérieurs, il n’en demeure pas moins que l’histoire a poursuivi son déroulement implacable et que de nouveaux événements sont survenus qu’il a fallu intégrer. Nous avons dû revisiter les anciens travaux en tenant compte des derniers développements qui ont fourni de nouvelles grilles de lecture et permis d’affiner les résultats obtenus dans le passé.
Les thèmes de réflexion suggérés à la Commission heuristique ont été retenus en fonction de la connaissance positive que nous avions des événements survenus en Côte d’Ivoire et de leur incidence sur l’évolution politique et sociale de notre pays. Ce n’est plus un secret pour personne que nos problèmes actuels de société trouvent leurs sources dans la persistance des questions longtemps minimisées ou simplement éludées et que viennent de rappeler les experts, à savoir : le foncier, l’identité, la citoyenneté, la démocratie, la communication, la justice, la sécurité, l’éducation/formation et la jeunesse.
Le présent colloque, quel que soit son mérite, ne mettra pourtant pas un terme à nos réflexions. Le travail de mémoire auquel nous allons nous astreindre à l’issue du processus s’appuiera sur notre histoire pour explorer et définir les voies de notre avenir commun. Ici donc viennent d’être posées les fondations du grand édifice national que les Ivoiriens doivent bâtir pour eux-mêmes.
Mesdames et Messieurs les Experts, la fin de vos travaux intervient après la période de Deuil et de Purification qui a créé l’environnement psychologique dont nous avions besoin pour amorcer le processus de réconciliation. Elle suit de peu la disponibilité des conclusions des consultations nationales. Avec vos réflexions, nous avons obtenu confirmation de ce qui entrave la bonne marche de la cohésion sociale. Le diagnostic que vous avez posé est sans complaisance, car aucune thérapie ne peut produire d’effets si le médecin ruse avec la connaissance du mal qu’il veut soigner.
Le traitement conjoint des recommandations des consultations nationales et des résultats de la recherche heuristique nous montre que ce que vous avez découvert s’accorde avec la vision et le vécu des populations ivoiriennes. Du rapprochement entre ces deux démarches résultera une méthode consensuelle pour le processus de réconciliation.
Mesdames et Messieurs, le travail accompli par la Commission heuristique va raviver dans notre mémoire toutes les réalités que nous avons enfouies pour ne pas les voir. En le faisant, il va nous forcer à nous poser les questions dont les réponses sont nécessaires à la restauration de la concorde et de la cohésion sociale.
Mesdames et Messieurs, nous avons écouté avec une grande attention les arguments que vous avez développés pour bien faire saisir ce que vous avez découvert. Les rapports que vous avez soumis à notre appréciation sont remarquables, car ils ne laissent dans l’ombre aucune question importante. Par ailleurs, les recommandations que vous avez faites sont déjà l’amorce des solutions qu’attendent les populations qui, sans avoir comme vous ausculté attentivement la société, savent d’instinct ce qui est nécessaire à leur survie.
Je vous félicite pour avoir accompli un tel travail en un temps si bref et pourquoi ne pas le dire ? dans des conditions parfois difficiles. Nous en retirerons, j’en suis convaincu, un grand bien pour notre pays qui est sous l’emprise de l’angoisse et que préoccupent toutes les questions que vous avez traitées et portées à notre connaissance.
Je vous remercie pour votre engagement au service de la réconciliation et vous encourage à poursuivre avec le même esprit de service votre plongée objective dans les racines de la crise ivoirienne.
Vous avez accompli votre mission. Mais tout ne s’achève pas avec l’incursion que vous venez d’effectuer dans notre conscience ravagée. Vous nous avez montré que le mal est profond. Mais comment en venir à bout ?
C’est l’objectif fixé à la Commission Mémorial. Diagnostiquer le mal est bien et nécessaire. Mais notre devoir est de nous appuyer sur ce diagnostic pour proposer une thérapie susceptible de guérir le mal. En l’occurrence, nous devons nous entourer de la plus grande circonspection, car notre société en pleine mutation ne peut s’accommoder des solutions radicales.
Il me plaît ici de rappeler que la Côte d’Ivoire se distingue par une culture du dialogue qui nous a évité dans le passé bien des commotions. Dialoguer, toujours dialoguer, écouter la raison de l’autre, s’armer de pédagogie et toujours rechercher l’adhésion et le consensus. Tel est le remède que nous a enseigné notre feu président.
La philosophie du président Félix Houphouët-Boigny étant devenue notre plus grande référence commune en Côte d’Ivoire, il est tout à fait souhaitable que les Ivoiriens s’inspirent de la démarche qu’il a constamment mise en œuvre. Face aux tensions et aux incompréhensions, il a toujours eu recours au dialogue, à la concertation, à la persuasion et à la réparation des préjudices. Deux exemples parmi des milliers ! Le cas du village atchan d’Anoumabo, bien connu aujourd’hui en raison du festival de musique qui s’y déroule, mérite d’être conté. Je voudrais m’effacer devant le témoignage rendu par le porte-parole de cette communauté en 1988 :
« Nous avons été délogés du Plateau lors de la construction de la tête de ligne du chemin de fer Abidjan-Niger en 1904 et relogés de l’autre côté de la lagune, à Treichville… En 1964, quand la décision fut prise de réaliser le pont général de Gaulle, le gouvernement ivoirien nous dit : « voilà, nous voulions vous laisser où vous êtes, mais c’est le bon Dieu qui ne veut pas … alors trouvez un autre terrain pour votre village. » Devant nos protestations, le chef de l’État nous a reçus et, après nous avoir expliqué le bien-fondé de la décision de déguerpissement, nous a promis de nous attribuer un territoire vingt fois plus important que celui que nous perdions. Dans son discours d’apaisement, le président de la République a évoqué le cas de l’Égypte qui, pour édifier le barrage d’Assouan, a été contrainte de déplacer une population bien plus importante que la nôtre. Les habitants d’Anoumabo se sont montrés conciliants et ont accepté de déménager sur les terres où vous nous voyez aujourd’hui. » Fin de citation !
Chacun de nous se souvient que, dans les années 1960, le président Houphouët-Boigny essuya un refus de la part de ses concitoyens quand il voulut introduire la double nationalité au sein des États des États Membres du Conseil de l’Entente. Plutôt que de tenter un passage en force, il entreprit avec patience de convaincre les personnes réticentes. Ayant constaté le désaccord de ses compatriotes, il en prit acte et renonça à ce projet auquel il tenait.
Mesdames et Messieurs,
C’est parce que nous avons été tous nourris à la sève de l’houphouétisme, qu’il nous a paru naturel de placer l’action de la Commission sous le sceau du dialogue. Nous ne devons pas avoir de cesse de nous inspirer de la méthode houphouétienne. Nous sortons d’une crise grave et le moment est certes propice aux changements. Mais nous devons nous garder d’avancer toutes voiles dehors.
La commission Mémorial de la CDVR, prenant le relais de la Commission heuristique, fera des recommandations précises sur les questions qui sont à la base de notre désunion, dans l’espoir de favoriser la détermination d’un nouveau mode de “vivre ensemble“ des Ivoiriens. La solution ne sera pas simple. Elle nécessitera des révisions déchirantes, des compromis difficiles et beaucoup d’imagination. Mais au bout de cet effort, nous aurons gagné une paix durable et une véritable réconciliation.
Nous exhortons le Président de la République comme les acteurs politiques dans leur ensemble à emprunter la voie du compromis et du consensus, afin d’éviter à notre pays la réapparition des problèmes de gouvernance qui ont provoqué la crise. Il est temps de faire de la politique autrement !
Le Président de la République est la clef de voûte de nos institutions. Lui seul décide en dernier ressort. C’est pourquoi les Ivoiriens attendent de lui le saut qualitatif qui sauvera leur pays.
Dans ce qui est arrivé à la Côte d’Ivoire, les torts sont partagés ! Dès lors, il importe que tous ceux qui ont commis des violations des droits humains le reconnaissent et fassent acte de repentance. Le pardon des victimes est à ce prix. Bientôt commenceront les prises de déposition et les enquêtes. Les audiences publiques tant attendues suivront. Nous voulons qu’elles soient la grande catharsis nationale qui permettra de panser les blessures et de briser les haines trop longtemps entretenues.
Grâce aux travaux de ce colloque, nous avons mieux compris les causes profondes de la crise. Dès lors, nous disons aux Ivoiriens : faites-nous confiance pour conduire à bonne fin la mission de réconciliation nationale.
Charles Konan Banny
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