MAN, Côte d’Ivoire, 9 juil (IPS) – Alors que le gouvernement ivoirien débarrasse ses forêts protégées des occupants illégaux, en particulier dans la région des Dix-Huit Montagnes (ouest de la Côte d’Ivoire), les écologistes estiment que cette décision cruciale pourrait entraîner des conflits dans une région déjà sous tension.
Par Marc-André Boisvert (IPS), Man
En juin, environ 25 000 habitants ont été violemment expulsés de la forêt Niegre dans la région des Dix-Huit Montagnes, dans l’ouest du pays. Leurs habitations ont été détruites par des bulldozers.
« Je suis favorable aux expulsions, mais elles ne devraient pas être brutales. Ce sont des populations fragiles », a déclaré à IPS Mathieu Egnankou Wadja, professeur au département de botanique de l’Université Félix Houphouët-Boigny et directeur de l’ONG SOS Forêt.
Une telle opération agressive n’était pas possible dans le Parc national de Mont Peko, qui se trouve à 200 kilomètres au nord de Niegre. Mont Peko formait habituellement une chaîne de montagnes couvertes de forêts vertes luxuriantes. Cependant, au cours des 20 dernières années, des occupants illégaux – dont la grande majorité vient d’Afrique de l’ouest mais ne sont pas des citoyens ivoiriens – ont abattu des arbres pour cultiver le cacao, détruisant près de 70 pour cent des 34 000 hectares de forêt protégée.
Les producteurs illégaux de cacao sont restés longtemps sans inquiétude, la zone se trouvant soit dans une réserve isolée avec des sentiers étroits qui ne permettent pas aux machines lourdes ou aux bulldozers de passer.
« Nous étions obligés de partir. Nous n’avons pas la force de nous battre »
Pourtant, une opération lancée le 18 mai a choqué certains habitants de Mont Peko. Quand Emmanuel Ouédraogo a vu les forces de sécurité ivoiriennes s’approcher, il s’est enfui. « Nous étions obligés de partir. Nous n’avons pas la force de nous battre ». Ce Burkinabé s’inquiète pour son avenir ; il a déjà perdu une partie des cultures dans son champ. « Je perdrai tout. Je ne sais pas où aller après », a-t-il dit à IPS, la voix tremblante.
Ouédraogo Boureila, qui vit à Mont Peko depuis 2006, s’est enfui à Guézon-Tahouaké, un village voisin. « Il n’y avait pas de violence quand ils ont lancé les opérations. J’ai quitté Mont Peko volontairement », a-t-il indiqué à IPS, ajoutant qu’il ne reviendra pas tout de suite.
Un certain nombre de forêts naturelles ont été dégradées au fil des ans dans ce pays d’Afrique de l’ouest. Selon l’Union européenne (UE), plus de 75 pour cent de toutes les forêts ivoiriennes ont aujourd’hui disparu.
Plus de 75 pour cent de toutes les forêts ivoiriennes ont aujourd’hui disparu
« Toutes les forêts classées seront débarrassées des (occupants) illégaux. Nous devons stopper le désert sous le désert », a affirmé Mathieu Babaud Darret, ministre des Eaux et Forêts, lors d’une conférence de presse le 13 juin, pour lancer l’accord de partenariat volontaire entre l’UE et la Côte d’Ivoire en vue d’arrêter l’exploitation forestière illégale.
« La déforestation a un grand impact. Les forêts créent un microclimat qui permet au cacao de se développer. Si nous défrichons les forêts, la production du cacao chutera. Et cela affectera aussi la faune, la flore et le changement climatique », a expliqué Darret. Le Cacao contribue à hauteur de 10 pour cent au produit intérieur brut du pays et pour 40 pour cent à ses recettes en devises.
Mathieu Babaud Darret a affirmé que tout le monde, depuis les gardes forestiers jusqu’aux communautés locales, était responsable de la dégradation des forêts du pays.
Oueremi a utilisé la région comme base pendant plus de 20 ans
Mais la situation à Mont Peko est complexe. Les forces de sécurité étaient notamment dans le parc national pour arrêter le chef de milice, Amade Oueremi, pour son rôle dans les violences postélectorales de 2010-2011 dans le pays. Plus de 3 000 personnes sont mortes en Côte d’Ivoire après que l’ancien président, Laurent Gbagbo, a refusé de concéder la victoire à Alassane Ouattara et de quitter le pouvoir après un scrutin disputé en novembre 2010.
On a dit qu’Oueremi a utilisé la région comme base pendant plus de 20 ans et que ses lieutenants lourdement armés sont encore dans la forêt. Beaucoup croient que leur expulsion pourrait entraîner plus de violence.
L’Autorité pour le désarmement, la démobilisation et la réintégration (ADDR), une agence gouvernementale, enregistre maintenant tous les habitants de Mont Peko et désarme les miliciens parmi eux. Le gouvernement a indiqué aux habitants illégaux de la forêt qu’ils peuvent y rester jusqu’à la fin de cette opération d’enregistrement de trois mois, qui aboutira finalement à leur réinstallation.
Travailler en coopération avec les populations pour trouver une solution durable
« La situation est sous contrôle. La majorité des occupants sont retournés à Mont Peko », a déclaré à IPS, Gbane Mahama, le préfet de Bangolo, qui est considéré comme la plus haute autorité de la région. « Nous devons travailler en coopération avec les populations pour trouver une solution durable ».
Patrice Kouassi, un colonel-major à la retraite, qui a supervisé l’opération ADDR, a indiqué que les expulsions devaient être planifiées avec soin pour éviter une crise. « La réinstallation de ces personnes est un problème sérieux. Il sera difficile d’évacuer des gens qui vivent là depuis plus de 10 ans et y ont des intérêts économiques ».
Il n’y a pas de recensement pour savoir combien de gens provenant de Mont Peko devront être réinstallés, mais les autorités locales estiment qu’il y a environ 20 000 personnes vivant dans le parc national, qui est une zone protégée depuis 1968.
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