Côte d’Ivoire « La justice est loin d’être indépendante »

Christian Bouquet: «Les partisans de Laurent Gbagbo vont repartir à l’attaque en affirmant qu’il y a une justice des vainqueurs»

Par RFI

La chambre d’accusation du tribunal d’Abidjan a confirmé les charges retenues contre 84 proches de l’ancien président Laurent Gbagbo, dont Simone Gbagbo et son fils Michel Gbagbo, ainsi que le président du FPI, Pascal Affi N’guessan. Les prévenus sont accusés de «crimes de guerre, crimes de sang, crimes économiques, troubles à l’ordre public, atteinte à la sûreté de l’Etat et entretien de bandes armées». Huit d’entre eux sont même accusés de «génocide». Une décision qui ne surprend pas Christian Bouquet, vice-président des relations internationales à l’université Bordeaux III, spécialiste de la Côte d’Ivoire et auteur du Désespoir de Kourouma, aux éditions Armand Colin.

RFI : Est-ce que vous parleriez aujourd’hui d’une justice des vainqueurs ?

Christian Bouquet : C’est toujours difficile d’avoir un avis aussi tranché, mais il est clair qu’après cette décision prise par la justice ivoirienne, qui était prévisible et attendue, nul doute que les partisans de l’ancien président Laurent Gbagbo vont repartir à l’attaque en affirmant qu’il y a une justice des vainqueurs et une justice à deux vitesses.

Et non sans raison d’ailleurs, parce que si on fait le bilan, le seul « partisan » d’Alassane Ouattara, qui se trouve actuellement sous les verrous, c’est l’ancien seigneur de guerre du mont Péko, Amadé Ouérémi, qui a été arrêté il y a quelques semaines. Donc effectivement, la décision qui vient d’être prise ne va peut-être pas détendre l’atmosphère en Côte d’Ivoire.

Une décision de la justice ivoirienne qui ne vous surprend pas vraiment ?

La justice ivoirienne semble vouloir montrer qu’elle est peut-être capable de rendre une justice dans un état de droit, à un moment où effectivement, sur le plan africain on a vu l’exemple du Sénégal, certains pays pensent qu’ils pourront progressivement se substituer à la CPI. Donc, on est peut-être dans une dynamique de ce genre et notamment en ce qui concerne l’épouse de Laurent Gbagbo, Simone Gbabgo. Parce qu’elle faisait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale.

Donc là apparemment, la justice ivoirienne semble avoir tranché, elle sera jugée sur place. Cela dit, ça fait quand même 84 pro-Gbagbo qui vont être jugés devant une cour d’assises. Ça fait lourd. Et comme on le disait à l’instant, ça va renforcer l’opinion de ceux qui pensent qu’on est dans un contexte de justice des vainqueurs.

En début de semaine, le président ivoirien Alassane Ouattara évoquait le fait qu’il n’y avait pas dans son pays de prisonnier d’opinion, il se disait aussi favorable à la liberté provisoire. Est-ce que c’est aujourd’hui le signe d’une justice totalement indépendante en Côte d’Ivoire ?

On aimerait répondre par l’affirmative, parce que ce serait une grande nouveauté, aussi bien en Côte d’Ivoire qu’ailleurs. Mais peut-être qu’il faudrait revenir sur une chose, parce que derrière tout ça il y a la réconciliation, et chaque fois qu’une mesure prise en Côte d’Ivoire fait l’objet justement, de polémique, eh bien on pense à la réconciliation. Il faudrait peut-être lever le malentendu qui règne autour du concept de réconciliation. Parce que certains en font une lecture purement politique.

C’est le cas des cadres du FPI, qui pensent qu’il n’y aura de réconciliation que s’il y a amnistie et voir même libération de Laurent Gbagbo à La Haye. Alors là, c’est sûr que la décision que vient de prendre la justice ivoirienne ne va pas dans leur sens et ça va faire couler beaucoup d’encre, et peut-être échauffer les esprits. Il y a une autre lecture de la réconciliation qu’on a un peu oubliée et dont il faut parler.

C’est celle qui concerne les familles des victimes. Cette réconciliation-là passe par la justice. Donc là, la chambre d’accusation d’Abidjan vient de confirmer les charges et là ça irait plutôt dans le bon sens. Pour autant évidemment, il y a toujours cette question récurrente du sort des partisans d’Alassane Ouattara.

La méthode, la stratégie, du président Ouattara dans ce processus de réconciliation sont-elles les bonnes ?

Je ne porte pas de jugement. Je suis les choses au jour le jour. J’ai aussi entendu parler de pardon. Depuis deux ou trois jours, je crois, Alassane Ouattara a demandé au FPI de demander pardon aux familles des victimes. Ça c’est une stratégie qui mérite qu’on s’y penche et qui est extrêmement risquée. Je ne donne pas de blanc-seing à Alassane Ouattara sur ce sujet.

M. James Stewart (Canada)

Côte d’Ivoire « La justice est loin d’être indépendante »

Par Cheikh Dieng Source Afrik.com

La justice ivoirienne a décidé, ce mercredi 10 juillet, de renvoyer devant la Cour d’assises, 84 partisans de Laurent Gbagbo, ancien Président de la Côte d’Ivoire, actuellement détenu à la Cour pénale internationale (CPI). Une décision de la justice ivoirienne qui est loin de faire l’unanimité. Jointe par Afrik.com, Habiba Touré, avocate de Simone Gbagbo, ex-Première dame ivoirienne, et une des 84 personnes poursuivies par la justice ivoirienne, donne son avis sur cette affaire

La justice ivoirienne a décidé, ce mercredi 10 juillet, de renvoyer devant la Cour d’assises 84 pro-Gbagbo. Ces derniers sont accusés de crimes de guerre, crimes de sang, troubles à l’ordre public, crimes économiques, entretien de bandes armées et atteinte à la Sûreté de l’Etat.

Cette décision prise par le tribunal d’Abidjan-Plateau est loin de faire l’unanimité. Au moment où le Président Alassane Ouattara joue la carte de la réconciliation nationale, les rivalités entre pouvoir en place et pro-Gbagbo, se disant victimes d’un mauvais procès, semblent gagner du terrain.

Que reproche-t-on à ces personnes ? Les pro-Gbagbo font-ils réellement face à un acharnement de la part du pouvoir actuel ? Cette décision ne risque-t-elle pas de mettre en péril le processus de réconciliation nationale ? Habiba Touré s’est confiée à Afrik.com.

« Du n’importe quoi »

Sur les accusations qui pèsent contre ces 84 personnes, l’avocate de Simone Gbagbo répond : « ils sont accusés d’atteinte à la Sûreté de l’Etat, xénophobie…enfin les mêmes chefs d’inculpations depuis un mois. Nous voulons juste que le pouvoir nous présente des faits réels. Pour les 84 personnes renvoyées devant la Cour d’assises, il n’y a aucun élément. Excusez-moi, mais c’est du n’importe quoi. S’il y a procès, on invitera tous les journalistes à y assister. C’est aberrant. Nous contestons formellement ce renvoi ».

« La réconciliation est devenue un spot de campagne »

L’avocate de l’ex-Première dame ivoirienne ne mâche pas ses mots. Elle confirme qu’il y a bien un acharnement du pouvoir ivoirien en place sur les partisans de Laurent Gbagbo. « C’est bien un acharnement. Les responsables du massacre de Duékué n’ont jamais été poursuivis. Qui peut croire aujourd’hui que Simone Gbagbo ait pris une arme ? Il n’y a qu’en Côte d’Ivoire où des gens sont inculpés par leurs convictions personnelles ».

Sur l’éventualité que ce renvoi compromette les chances d’une véritable réconciliation nationale, Habiba Touré rétorque : « la réconciliation nationale n’est qu’un mot. Il n’y a aucun sens concret. Je ne suis pas dans une logique d’impunité. Je veux juste qu’on nous montre des faits réels. La réconciliation est devenue un spot de campagne pour séduire les partenaires occidentaux. Ce n’est pas une réalité ».

Habiba Touré ne remet pas en cause la compétence des magistrats ivoiriens, mais déplore l’absence d’autonomie de la justice ivoirienne qui « repose sur les mains d’Alassane Ouattara » et qui , selon elle, est soumise à la pression du pouvoir en place.

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