Côte d’Ivoire Affaire Bolloré: Faut-il brûler Jean Louis Billon ?

billon2

L’interview de M. Jean-Louis BILLON (ministre du Commerce et des PME de Côte d’Ivoire) sur l’attribution du Terminal à conteneurs 2 (TC2) du Port Autonome d’Abidjan (PAA) accordée le 6 juin dernier à l’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur n’est pas passée inaperçue. Elle a suscité beaucoup de commentaires dans l’opinion nationale et internationale mais aussi au niveau du gouvernement de Côte d’Ivoire par l’entremise de son porte parole le ministre Bruno Nabagné KONE. Certains ont vu M. Jean-Louis BILLON comme un homme responsable et soucieux du bien-être de ses compatriotes alors que d’autres, au-delà de le taxer d’irresponsable et non solidaire du gouvernement, ont vu une personne défendant plutôt au détriment du consommateur les intérêts d’une fratrie et ceux d’une société dont il est actionnaire.

Regard critique

Loin d’apporter un soutien quelconque aux uns ou aux autres, il est important de jeter un regard critique, à la lumière des objectifs fixés par la direction du PAA en lançant l’appel d’offres du TC2, sur son attribution au consortium Bolloré Africa Logistics (BAL), APM Terminals et Bouygues Travaux publics et les conséquences de cette attribution sur les populations.

Les terminaux à conteneurs du PAA devraient accroître sa compétitivité, créer un véritable pôle de développement du pays en stimulant l’économie et en définitive en renforçant l’intégration des pays de la sous région ouest-africaine. Si tant est que l’un des objectifs du gouvernement est de réduire au minimum le coût de la vie des populations, les tarifs manutentionnaires pratiqués sur les marchandises qui transitent par le PAA devraient être les plus bas possible puisque les coûts élevés des produits de première nécessité tirent en grande partie leur origine dans l’accroissement des tarifs de manutention. Il est bon de noter ici que l’essentiel des marchandises de notre pays transitent par le PAA et que le terminal à conteneurs 1 (TC1) est parmi les plus chers de la sous région. On comprend donc aisément les raisons de la cherté de la vie en Côte d’Ivoire. Les coûts élevés de manutention se justifient par plusieurs raisons dont la principale tient au monopole exercé par BAL et APM Terminals sur le TC1. Ce monopole de fait affecte négativement le pouvoir d’achat des populations, une chose que la concurrence aurait pu freiner. C’est pourquoi dans le cas des deux terminaux à conteneurs du PAA, l’appel d’offres avait pour objectif d’accroître la compétitivité du PAA par le jeu de la concurrence puisque la même activité doit être exploitée sur les deux terminaux à conteneurs. Bolloré ayant dans des conditions obscures obtenu en 2004 sous le régime du président Laurent GBAGBO l’exploitation du TC1 de gré à gré ne devrait pas être en course pour l’attribution du TC2 quelques soient les offres techniques et financières qu’il proposerait. L’objectif principal étant de casser le monopole et éviter des pratiques anticoncurrentielles, le jeu de la concurrence devait prévaloir pour le bien-être du consommateur. On se rappelle encore les réactions acerbes des gouvernants actuels en 2004 quand Bolloré obtenait l’exploitation du TC1.

« Accroître la compétitivité du port par le jeu de la concurrence »

Il y a eu de graves omissions dans le communiqué (nous dirons plutôt dans «l’essai de justification ») de la direction du PAA sur l’attribution du TC2 au consortium BAL, APM Terminals et Bouygues Travaux Publics :

1) Dans le communiqué donné à la presse ivoirienne, les autorités portuaires écrivent : «Le Port Autonome d’Abidjan (PAA) a lancé, le 04 juin 2012, un appel d’offres ouvert, international avec présélection, pour la concession de la réalisation et de l’exploitation d’un deuxième terminal à conteneurs du port d’Abidjan (TC2), en vue :

– d’accroître la compétitivité du port d’Abidjan ;

Le communiqué est visiblement et vraisemblablement différent du premier objectif de l’appel d’offres remis aux soumissionnaires car il y est délibérément écrit «en vue d’accroître la compétitivité du port d’Abidjan» au lieu de « en vue d’accroître la compétitivité du port d’Abidjan par le jeu de la concurrence». Où est donc passé « par le jeu de la concurrence » ? Il est aussi clair que s’il y a la concurrence, le consortium BAL, APM Terminals et Bouygues Travaux Publics est éliminé de la course ne pouvant être concurrent à lui-même.

2) Au point (i) du dossier remis aux soumissionnaires, on lit : «L’exploitation du Terminal se fera dans un cadre concurrentiel, notamment avec le terminal à conteneurs actuellement exploité au Port d’Abidjan.» Mais pourquoi est ce que l’Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics (ANRMP) a laissé les autorités portuaires choisir le même opérateur que le TC1 alors que maintes fois ces mêmes autorités portuaires ont répété que l’objectif de l’appel d’offres était : « d’accroître la compétitivité du port par le jeu de la concurrence » ?

D’après le décret n°2009-260 du 06 août 2009 portant organisation et fonctionnement de l’ANRMP, l’ANRMP est un Organe Spécial Indépendant (OSI). Il est rattaché au ministère en charge des marchés publics. L’Autorité de régulation a pour missions entre autres de :

• veiller à l’application des principes de bonne gouvernance, notamment par la mise en œuvre des moyens préventifs permettant de lutter contre la fraude et la corruption dans les marchés publics et les délégations de service public ;
• régler les litiges et différends nés à l’occasion de la passation et de l’exécution des marchés publics et des délégations de service public faisant l’objet de recours portés devant elle par les participants à la procédure des marchés publics.
Certaines lois desquels les Marchés Publics tirent leurs fondements juridiques sont les suivantes :

• Loi N°91-999 du 27 décembre 1991 relative à la concurrence et ses décrets d’application ;
• Loi N°97 du 06 janvier 1997 portant modification de la loi N° 91-999 du 27 décembre 1991 relative à la concurrence ;

Vu ce décret, vu ces lois, ne peut-on pas affirmer que l’ANRMP les a outrepassés ? M. Yacouba COULIBALY, le directeur des marchés publics au ministère de l’Economie et des Finances a adressé un courrier de non objection sur le résultat des travaux de la commission d’ouverture des plis et de jugement des offres présidée par M. Seydou BAMBA. Cette commission ayant jugée que le TC2 doit être attribué au consortium BAL, APM Terminals et Bouygues Travaux Publics.

Au cours de ces voyages à l’extérieur du pays, le président Alassane OUATTARA ne cesse et à juste titre de demander aux ivoiriens de rentrer pour reconstruire la Côte d’Ivoire puisque personne d’autre mieux que l’ivoirien ne saurait conduire le pays à l’émergence à l’horizon 2020. Dans cette foulée, à quelques niveaux que cela soit, on devrait promouvoir et protéger en Côte d’Ivoire les entreprises ivoiriennes et celles où il y a des capitaux ivoiriens. Les compétences locales existent. Les pays anglo-saxons en Afrique de l’Ouest notamment le Ghana et le Nigéria le font si bien. L’indépendance d’un Etat est aussi tributaire de son indépendance économique c’est pourquoi il aurait été préférable de tenir compte des sociétés ivoiriennes dans cet appel d’offres. Une concurrence saine au PAA entrainerait inéluctablement des tarifs de manutention au plus bas niveau possible ce qui induirait une augmentation du pouvoir d’achat des populations. La vraie lutte contre la cherté de la vie en Côte d’Ivoire part du PAA. C’est pourquoi il est préférable et très réaliste de voir l’interview de M. Jean-Louis BILLON sous son vrai angle du souci qu’il se fait pour le consommateur ivoirien et non sous le faux angle de la défense d’intérêts familiaux qui plus est ne sont pas préjudiciables, contrairement au monopole, dans le cas d’espèce à l’ivoirien.

Solidarité gouvernementale, parlons-en !

La solidarité d’un gouvernement ne surpasse pas la justice sociale surtout lorsque la décision prise est dommageable aux populations. Pour une vraie solidarité gouvernementale, il faut des décisions éclairées, justes et équitables ne souffrant d’aucune zone d’ombre. D’ailleurs la recevabilité de la plainte d’un consortium soumissionnaire à l’appel d’offres du TC2 par l’UEMOA indique que l’argument sombre de « pots de vin et de tricherie » dans cette attribution est pertinent. Nous ne croyons pas que de telles pratiques monopolistiques puissent se faire et prospérer dans un espace économique tel que l’Union Européenne de nos jours.

Plusieurs questions sur l’attribution du TC2 au consortium BAL, APM Terminals et Bouygues Travaux publics demeurent sans réponses justes. Nous restons convaincus qu’au nom de la justice et des chartes d’éthique et de déontologie qui sont rédigées et signées dans l’administration ivoirienne, le président de la république Alassane OUATTARA ne tolèrera jamais des comportements vicieux et corrompus dans la conduite et la gestion des affaires. La bonne gouvernance c’est aussi la concurrence saine, c’est la prise de décisions justes et bénéfiques au plus grand nombre.

BRAVO MONSIEUR LE MINISTRE JEAN-LOUIS BILLON CAR CET APPEL D’OFFRES SUR LE TC2 ET SON ATTRIBUTION QUI N’A PAS ENCORE FINI DE FAIRE COULER L’ENCRE, DOIT ETRE A JUSTE TITRE RELANCÉ…

Innocent GNELBIN
Penseur libre

[Facebook_Comments_Widget title= » » appId= »144902495576630″ href= » » numPosts= »5″ width= »470″ color= »light » code= »html5″]

Commentaires Facebook