Lettre ouverte au député Soro Alphonse
Monsieur le député,
Le lundi 17 juin 2013, s’est tenue devant le Palais de Justice, au Plateau, un sit-in des victimes ? de la crise post-électorale que vous avez organisé. Quelques dizaines de jeunes et de femmes, parmi lesquels se trouvent sans doute de vraies victimes, ont manifesté leur colère contre l’ajournement de l’audience de confirmation des charges contre l’ancien président, Laurent Gbagbo, par la Cour Pénale Internationale (CPI). On s’attendait à un déferlement humain sur le Plateau avec pour conséquence la paralysie de la ville d’Abidjan, comme vos services de communication l’ont fait croire. Mais hélas, mille fois hélas, ce ne fut pas le cas. On peut même le dire, la moisson n’a pas atteint la promesse des fleurs. Pourquoi un tel échec ? N’y a-t-il pas une volonté manifeste d’instrumentaliser la douleur des victimes à des fins politiques ? Pourquoi se précipiter maintenant pour organiser une manifestation alors qu’on aurait dû le faire pendant l’audience et même avant ?
Quelle est l’opportunité d’une telle manifestation, dans un contexte aussi fragile où les larmes des victimes continuent de couler en silence? Ne faut-il pas laisser les victimes elles-mêmes s’exprimer ? A toutes ces questions, nous tenterons de trouver des débuts de réponses, à la lumière de l’échec de cette manifestation qui n’a mobilisé tout au plus que 200 personnes alors que vous avez annoncé à grand renfort de publicité que vous aller paralyser Abidjan ce lundi 17 juin. Mais à la vérité des faits, vous n’avez pas pu faire le plein des ruelles qui passent devant le palais de justice. Nous avons appris qu’après votre manifestation, certaines de vos victimes ont réclamé leurs perdiems pour retourner chez elles. C’est un opprobre que vous venez de jeter sur les victimes, car Dieu seul sait qu’elles sont nombreuses dans nos différents quartiers. En effet, si les vraies victimes, celles qui portent encore les stigmates de cette grave crise n’ont pas répondu présent à cette manifestation, c’est parce qu’elles refusent d’être des instruments des hommes politiques. A la veille de l’audience, nous avons organisé plusieurs activités pour rappeler à l’opinion nationale et internationale que les victimes de la crise post-électorale sont toujours là et attendent réparation, aussi bien sur le plan matériel, moral que dans le domaine de la justice. A ces manifestations, on n’a pas vu un seul membre de votre staff. D’où vient-il qu’aujourd’hui vous vous proclamez porte-parole de ces victimes ? Votre manifestation apparaît comme un prétexte pour vous faire voir. Sinon, comment comprendre que dans un sit-in organisé par les organisations de victimes, on ne voit aucun porte-parole de victimes prendre la parole. C’est plutôt vous-même qui avez pris la parole avec à vos côtés, la député de Tengrela. Tout s’est passé comme s’il y avait une volonté d’exploiter la souffrance des vraies victimes pour se mettre soi-même en exergue. Vous êtes en train de tomber, si ce ne l’est déjà, dans une insidieuse récupération politique sous des airs de populisme que nous avons condamnés hier.
La nation ivoirienne n’a plus besoin des récupérations des souffrances des ivoiriens à des fins politiques ou mercantilistes. Le souvenir des victimes des déchets toxiques est encore frais dans nos esprits. En organisant une telle manifestation, mégaphone en main, entouré de jeunes et de femmes, sur le toit de votre véhicule avec pour projet de paralyser la ville d’Abidjan, vous rappelez à la conscience collective des comportements qu’on ne souhaite plus revoir dans ce pays. C’est sans doute l’une des raisons de l’échec de cette manifestation. Les Ivoiriens ne veulent plus revivre les jours agités connus dans un passé récent avec le blocage de rue, surtout que des populations sont interdites de manifestations de rue.
C’est pour éviter tout cela que nous, les vraies victimes, avons toujours organisé nos manifestations dans des lieux clos ou espaces fermés. Nous, en tant que victimes, voulons qu’à l’avenir, un tel projet soit bien réfléchi et inclusif avant d’être mis en œuvre.
Aussi, tout en vous remerciant pour vos efforts pour faire entendre la voix des victimes, nous souhaitons que vous laissiez aux victimes elles-mêmes l’initiative de leur propre combat. Ces victimes qui ont encore des éclats d’obus dans leur corps, qui ont perdu un être cher ou qui ont tout perdu dans cette crise attendent beaucoup de cette procédure. Nous pensons qu’il faut arrêter de politiser les souffrances des victimes.
Fraternellement
Fofana Bakary, dit ‘‘Bakus’’
Email : fofbakary@yahoo.fr
Président de AVAN (Association des Victimes d’Abidjan Nord)
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