Par Demba Moussa Dembélé Economiste/Chercheur Président d’ARCADE Dakar
Perpétuation du pacte colonial
M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères à Bamako et M. Pierre Moscovici, ministre de l’Economie et des Finances à Dakar. Le but commun de ces deux visites saute aux yeux : réaffirmer la tutelle de la France sur ses anciennes colonies, près de 50 ans après les « indépendances » !
En effet, M. Fabius était à Bamako pour réitérer aux « autorités » du Mali le message de François Hollande : il sera « intraitable » sur l’organisation des élections en juillet, comme il l’a dit, lors de son intervention à France 2 ! Cette sortie de Hollande est un signal éloquent que le Mali est désormais sous tutelle et en voie de recolonisation !
Surtout si on ajoute que la France a décidé de garder sur le sol malien de « façon permanente » près d’un millier de soldats. Autrement dit, la France va installer une base militaire au Mali ! Modibo Keita doit se retourner dans sa tombe…
La crise malienne, après celle de la Côte d’Ivoire, a révélé aux peuples africains que les anciennes colonies françaises d’Afrique sont loin d’être « indépendantes ». La crise malienne a surtout révélé au grand jour la grande faiblesse des « dirigeants » de ces ex-colonies. Ils se comportent pour la plupart comme des subordonnés, qui appliquent des ordres venus de Paris, Washington, Bruxelles ou New York. Comme le disait feu le Pr. Joseph Ki-Zerbo, quand on ne fait « qu’imiter ou obéir, on ne peut pas diriger ».
Le Franc Cfa : instrument de contrôle et symbole d’humiliation
L’objet de la visite de M. Moscovici à Dakar – la réunion des pays membres de la zone franc- montre également que le Sénégal et les autres membres de cette zone sont loin d’être « indépendants » vis-à-vis de la France. Le Franc CFA est le symbole de la confiscation de la souveraineté des pays africains, car la monnaie, tout comme l’hymne national et le drapeau, est l’expression de la souveraineté d’un pays.
Cela explique que même le plus petit pays choisisse de créer sa propre monnaie dès son accession à l’indépendance. Les ex-colonies françaises sont les seules au monde à avoir aliéné cette souveraineté au profit de l’ancienne puissance coloniale. Comme le disait le regretté Joseph Tchundjang Pouémi, « la France est le seul pays au monde à avoir réussi l’extraordinaire exploit de faire circuler sa monnaie et rien que sa monnaie dans des pays politiquement libres ».
Et le franc CFA continue d’être non seulement un instrument de contrôle des économies africaines mais également un symbole d’humiliation des « dirigeants » africains. On se souvient de la dévaluation de 1994 à Dakar, imposée par la France et le FMI, dirigé à l’époque par M. Michel Camdessus, ancien Gouverneur de la Banque de France.
Des « Chefs d’Etat » et des « Premiers ministres » avaient été séquestrés pendant des heures à l’Hôtel Méridien Président (aujourd’hui King Fahd Palace) et obligés de signer pour recouvrer la liberté !
Et cette humiliation avait été illustrée par le manque de considération, pour ne pas dire le mépris, des autorités françaises de l’époque à l’égard de leurs « homologues » africaines. En effet, c’était le ministre français de la Coopération qui était venu enfermer les « dirigeants » africains pour leur annoncer la nouvelle. Et à l’époque, feu Nyassimbe Eyadema du Togo avait laissé éclater sa frustration en disant que le « point de vue » des « dirigeants » africains « n’avait pas compté ».
Et malgré cela, ces « dirigeants » continuent de s’accrocher au symbole de leur humiliation. Dans le quotidien Le Soleil du lundi 8 avril, on lit à la page 9 « les Etats membres satisfaits de l’arrimage du Franc Cfa à l’euro » ou encore « La France et 15 pays africains se choisissent un destin commun ». Alors, l’on se demande d’où viendrait cette « satisfaction » qu’ont exprimée le ministre sénégalais des Finances et un représentant de la Banque de France. Car l’arrimage du franc Cfa à l’euro a été imposé aux pays africains comme contrepartie de « la garantie de convertibilité » du Franc Cfa par la France.
En outre, cet arrimage est un handicap pour les exportations de produits finis et semi-finis par les entreprises de la zone Cfa. Mais surtout, cet arrimage oblige la BCEAO à calquer sa politique monétaire sur celle de la Banque centrale européenne (BCE) en donnant la priorité à la « lutte contre l’inflation » au détriment de l’investissement et de l’emploi. Une politique absurde qui pénalise gravement les économies des pays membres, classés parmi les plus « pauvres » du monde.
Les « avantages » illusoires du Franc Cfa Pour ses inconditionnels partisans, le Franc Cfa était supposé apporter plusieurs « avantages » aux pays africains. Le Franc Cfa devait favoriser l’intégration des pays membres. Cela ne s’est pas produit. Ces derniers échangent à hauteur de 60% avec l’Union européenne, comme l’a indiqué le représentant de la Banque de France à la réunion de Dakar.
Les statistiques de l’UEMOA montrent que le commerce entre les pays membres ne dépasse pas 15% de leurs échanges totaux, donc à peine un quart de leurs échanges avec l’Union européenne. Le Franc Cfa était censé favoriser les investissements privés grâce à la « stabilité macroéconomique » qu’il apporterait aux pays africains. Les statistiques de l’Annuaire de la Banque africaine de développement (BAD) montrent que des pays comme le Ghana, le Nigeria, l’Angola, le Mozambique, entre autres, attirent plus de capitaux étrangers que les pays de la zone franc.
D’ailleurs, au Sénégal, les statistiques de l’APIX révèlent que le secteur privé national est le premier investisseur dans les grands projets en cours au Sénégal. En fait, certains mécanismes de la zone franc, notamment la libre transférabilité des capitaux, favorisent plutôt la fuite des capitaux, y compris l’épargne des pays africains, vers la France et le reste du monde.
Au vu de tout ce qui précède, ce n’est pas étonnant que les pays africains de la zone franc, à l’exception du Gabon, soient classés comme « pays moins avancés » (PMA) ou « pays pauvres très endettés » (PPTE).
Certes, le Franc Cfa n’est pas seul responsable de cette situation mais à l’évidence il n’a jamais constitué un « atout » pour le développement des pays membres, comme veulent le faire croire ses inconditionnels partisans en Afrique et en France.
Le Franc Cfa constitue donc une véritable hypothèque sur le développement des pays africains. Sans la levée de cette hypothèque, il n’y aura aucune possibilité de décollage Les prétendues « performances » en termes de taux de croissance ne doivent pas faire illusion. Ces « performances » sont dues à la bonne tenue des prix des produits de base qui sont les principales exportations des pays membres. Et ces « performances » s’observent un peu partout en Afrique. Donc, ce n’est pas une « exclusivité » des pays africains de la zone franc.
Les partisans du maintien du Franc Cfa tentent souvent de faire peur non seulement aux simples citoyens mais également à certaines « élites » africaines dont la mentalité reste encore fortement dominée par l’idéologie coloniale. On brandit l’épouvantail du « chaos » avec des spirales inflationnistes si jamais on abandonnait le Franc Cfa ! Comme si la servitude –que constitue cette monnaie- était préférable à un hypothétique « chaos ». Une telle mise en garde est une insulte à l’intelligence des Africains. La réalité est que nombre de pays ayant leurs monnaies souveraines sont mieux lotis que les pays membres de la zone franc.
Si on veut mettre en avant l’épouvantail inflationniste, il faut garder à l’esprit que les sources d’inflation dans les pays de la zone franc ne sont nullement d’origine monétaire. D’ailleurs, on le constate bien au Sénégal où malgré les faibles taux d’inflation publiés par la DPEE, la cherté du coût de la vie continue de hanter le quotidien des populations. Par ailleurs, des études ont montré qu’une inflation à deux chiffres peut être compatible avec une croissance saine, contrairement aux prescriptions dogmatiques de l’école monétariste.
La question de l’abolition du Franc Cfa est moins un problème technique qu’un problème fondamentalement politique. C’est la nécessité d’un leadership ayant la vision et le courage de sortir nos pays du cercle infernal d’une décolonisation ratée pour les engager dans une voie nouvelle menant vers une véritable émancipation. Une voie difficile certes, mais incontournable.
En somme, les pays africains de la zone franc ont besoin de vrais dirigeants, de nouveaux Thomas Sankara, pour entreprendre les ruptures nécessaires afin de parachever l’indépendance et le processus de décolonisation.
Demba Moussa Dembélé Economiste/Chercheur Président d’ARCADE Dakar
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