Laurent Gbagbo, l’homme qui fâche ? (Marc Micael)

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Par Marc Micael Libre Opinion

Décidément, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, Laurent Gbagbo continue de déchainer les passions en Côte d’Ivoire, en Afrique et bien au-delà des frontières du continent noir.

Tout récemment encore, comme il fallait s’y attendre, la nouvelle s’est répandue comme une trainée de poudre et, il était – une fois de plus – à la une de la presse nationale et internationale. Tous les quotidiens nationaux – notamment – de quelque bord qu’ils soient, tous sans exception, se sont rués sur le sujet de «l’ajournement par la CPI (cour pénale internationale) d’un éventuel procès contre Laurent Gbagbo».

Ce qui souligne très clairement l’intérêt particulier accordé au sort du prisonnier le plus célèbre de Scheveningen par l’opinion publique, surtout par l’ensemble des ivoiriens.

L’on se souviendra, que Laurent Gbagbo a été déporté, par les soins d’Alassane Ouattara à la CPI, depuis bientôt près de deux ans. Depuis lors, la Côte d’Ivoire, défigurée par une crise sans précédent peine à trouver le chemin de la réconciliation nationale. Pire, la fracture sociale s’accentue, la méfiance est généralisée et nombreux sont les ivoiriens pro-Gbagbo et pro-Ouattara qui se regardent de plus en plus en chien de faïence.

Dans un tel contexte, alors que des proches de Ouattara, auteurs de crimes graves sont en liberté et continuent de bénéficier d’une espèce de « droit à l’impunité », l’on se demande si la détention de Laurent Gbagbo à la Haye – n’est pas – justement – un prétexte qui exacerbe la division en Côte d’Ivoire ? En d’autres termes – le sort de Laurent Gbagbo n’est-il pas le sujet qui fâche en Côte d’Ivoire, donc un facteur incontournable pour la réconciliation si indispensable pour l’avancée ce beau pays?
Peut-être, est-ce pour en avoir pris conscience que les juges de la CPI ont renvoyés la procureure Fatou Bensouda à revoir sa copie ? « Cours nous ramener des preuves supplémentaires et tâche de mener une enquête plus approfondie, avant que nous ne nous prononcions sur la confirmation ou non des charges présentées contre Laurent Gbagbo ». Voici en substance comment l’on pourrait résumer la recommandation des juges de la CPI à la procureure vis-à-vis du dossier Laurent Gbagbo.

Peut-être, la récente accusation contre la CPI de pratiquer « une sorte de chasse raciale », vertement lancée par le président en exercice de L’UA (Union Africaine), a-t-elle douchée l’ardeur de cette Cour dont le zèle n’est plus à prouver lorsqu’il s’agit des dossiers concernant des africains?

La décision de la CPI doit interpeller

Pratiquement deux ans pour en arriver à la conclusion qu’il faille à l’accusation « fournir des preuves supplémentaires » ou « mener une enquête plus approfondie ». En des termes plus clairs, disons: tout ce temps que fanfaronnait sur tous les toits dame Fatou ; tout ce temps perdu pour en arriver au triste constat que les preuves recueillies par l’accusation contre Laurent Gbagbo ne sont pas suffisantes et que l’enquête non plus a été – c’est le cas de le dire – bâclée.
Mais au-delà du manque d’éléments substantiels au dossier de l’accusation de la procureure de la CPI, n’est-ce pas le régime d’Abidjan dont Alassane Ouattara est le maitre absolu qui est ici interpellé ? Et pour cause…

L’on a encore en mémoire que dès leur arrivée au pouvoir, Alassane Ouattara et ses hommes de main, emportés par l’euphorie et la vengeance, se sont aussitôt lancés dans une sorte de chasse aux sorcières aveugle et tous azimuts contre les partisans présumés de Laurent Gbagbo. Plusieurs ONG des Droits de l’Homme sont alors montées au créneau pour dénoncer : « des arrestations arbitraires, des détentions illégales, des actes d’extorsion, des traitements inhumains et, dans certains cas, des actes de torture perpétrés par les Forces républicaines (FRCI) à l’encontre de partisans de l’ancien président Laurent Gbagbo ». Dans la même foulée, ces ONG ont aussi dénoncé ce qu’elles ont décrit comme: « L’impunité qui caractérise le camp pro-Ouattara qui ne tient pas ses promesses d’appliquer la même justice pour tous ». Aujourd’hui encore, les chiffres collectés sont alarmants. Ils font état de près de 703 prisonniers dans les geôles de la ouattarandie et plus de 80.000 refugiés hors de la Côte d’Ivoire…
Devant un tel constat, la question est – à l’image de ce qui se passe à la CPI – la suivante: a-t-on pensé un seul instant, avant d’engager cette croisade à relent meurtrière et à caractère épuratoire ? A-t-on eu suffisamment de preuves ou, a-t-on mené des enquêtes crédibles et approfondies pour en arriver à animaliser une partie de la population ivoirienne parce que celle-ci était supposée soutenir Laurent Gbagbo ?

Comme on peut le voir, l’empressement à neutraliser son adversaire le plus farouche et ses partisans, afin de diriger tranquillement, l’a emporté chez Alassane Ouattara. Conséquence: il se retrouve aujourd’hui dans la plus mauvaise des postures pour prétendre réconcilier les ivoiriens.
Et pour preuve, la réconciliation en Côte d’Ivoire n’a jamais décollé d’un seul iota sous Ouattara. Même si ce dernier s’en défend en prétextant – depuis sa visite à Tokyo – qu’: «il ne faut pas confondre la réconciliation entre les Ivoiriens et les relations entre partis politiques », tout en se dissimulant derrière le facteur temps : « Quand il y a eu des crises aussi fortes, comme en France et en Europe après la Seconde Guerre mondiale, ou aux Etats-Unis après la guerre de Sécession, combien d’années a-t-il fallu pour une vraie réconciliation? ». Faudrait avoir une parfaite ignorance du terrain ou de l’état d’esprit des ivoiriens pour affirmer de telles choses. De même, le temps n’est rien en lui-même s’il n’est pas mis à profit pour poser des actes concrets et salvateurs. Ce qui ne semble pas être actuellement le cas en Côte d’Ivoire depuis avril 2011.

La détention de Laurent Gbagbo: un facteur d’exacerbation de la fracture sociale

« Une justice impartiale doit être la base de la réconciliation », disait – visiblement désabusé – l’ex-patron de l’Onuci (organisation des nations unies en Côte d’Ivoire), certainement à l’endroit des dirigeants ivoiriens, avant ses adieux à la Côte d’Ivoire. Et, il n’a pas tort.

Faut-il encore se le cacher ? En Côte d’Ivoire, les conflits meurtriers qui ont précédés le changement de régime et les représailles qui l’ont succédés ont consacré – certes – une scission de fait entre ivoiriens pro-Gbagbo et pro-Ouattara. Mais le plus triste est que depuis son arrivée, Alassane Ouattara n’a fait qu’ « institutionnaliser » ce que de nombreux rapports d’ONG de Droits de l’Homme ont dépeint comme: « la loi des vainqueurs », tout en soulignant que : « Laurent Gbagbo est, pour l’heure, le seul acteur de la crise post-électorale ivoirienne à faire face à la justice internationale » et en déplorant qu’ « Aucun responsable militaire du camp Ouattara, connu pour avoir commis des crimes contre l’humanité ou des atrocités, n’a été poursuivi, arrêté ou ne fait l’objet d’enquête ». Ces ONG ne manquent surtout pas de rappeler qu’Alassane Ouattara avait pourtant affirmé au cours d’une conférence de presse donnée au siège de l’ONU, à New York en juillet 2011 : « Il n’y aura pas d’exception. Les Ivoiriens seront traités de façon égale, spécialement dans la partie ouest du pays où beaucoup de gens ont été tués. Ceux qui ont commis des crimes feront face aux juges. Pas d’exception, nous sommes très clairs là-dessus ».

Ainsi, le sort de Laurent Gbagbo, est-il perçu comme l’exemple frappant de la justice sélective orchestrée par Alassane Ouattara. Laurent Gbagbo est – pour ainsi dire – le porte-étendard de ses partisans, victimes de la politique ouattariste ; l’homme dont ils ont épousé le combat, celui à cause duquel ils sont massacrés, emprisonnés, torturés, marginalisés, contraints à l’exil…, bref, celui dont le sort est quasiment lié au leur.

En Côte d’Ivoire, « la question Laurent Gbagbo » fâche très souvent. On n’évoque pas ce nom sans – quelques fois – déchainer les passions diverses, sans les exacerber dans un camp comme dans l’autre. Preuve que Laurent Gbagbo est et demeure au cœur du processus de réconciliation nationale.

En tout état de cause, quelle conclusion peut-on tirer de ce fâcheux constat qui risque fort de conduire la Côte d’Ivoire – si l’on n’y prend garde – vers le scénario rwandais?

Sinon reconnaitre en toute objectivité que la fracture sociale, les divisions religieuses et ethniques, les haines, la méfiance, les rancœurs, les velléités de vengeance entre ivoiriens…, iront en s’aggravant d’avantage, tant que le régime en place continue de faire l’apologie d’une justice des vainqueurs, pilotée en sous-main par des puissances occultes, dont l’objectif inavoué est de mettre « hors d’état de nuire » tous ceux oseraient commettre le crime de lèse-majesté de contester leur hégémonie, c’est-à-dire l’ordre mondiale pré-établie par elles.

Dans cette dernière perspective, Laurent Gbagbo, ce digne fils africain, déporté à la CPI, n’apparait-il pas alors comme une victime de la machine meurtrière lancée contre toute velléité panafricaniste ? Sauf que cette fois et contrairement à ses prédécesseurs, au lieu d’une mort atroce dans une cuve d’acide, ou d’une balle plantée à bout touchant dans le crane, ces esclavagistes d’une nouvelle ère, ont préféré le jeter pour le restant de ses jours dans leurs geôles infectes afin qu’il se perde à jamais dans les méandres de l’oubli de l’humanité.

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