Il prévaut sur l’axe Abidjan- San Pedro une véritable guerre de nerf entre les transporteurs et les forces de sécurité postées dans les différents corridors. Racket, et intimidations sont le lot quotidien des transporteurs, qui crient leurs misères sur la côtière. Nous avons entrepris le voyage pour toucher du doigt la réalité. Le constat crève les yeux.
Le 20 mai 2013, lundi de Pentecôte, les transporteurs du département de San Pedro ont immobilisé toute la journée leurs véhicules. Cela en guise de protestation contre le racket qu’ils disent ne plus supporter. Une protestation pacifique, cependant, dont l’information nous parvient à Abidjan. Nous décidons alors de nous rendre sur les lieux. Vendredi 25 mai, nous voilà en partance pour San Pedro pour vivre de nous-mêmes ce parcours tant décrié. A 10 heures, nous embarquons dans un mini car de type Massa, de 22 places. Notre stratagème pour mieux appréhender la situation est alors simple : nous mettre dans la peau d’un apprenti et toucher du doigt, notamment au niveau des corridors, les réalités du fléau.
Nous adaptons notre accoutrement à la circonstance, non sans avoir pris le soin de s’assurer que le véhicule a toutes ses pièces en règle. A savoir, la visite technique, la carte grise, la vignette, la patente, la carte de stationnement, l’assurance et le permis du conducteur. Et on ne peut pas dire que notre périple n’ait pas été riche en enseignements, informations et anecdotes. Car, ne se doutant de rien, les forces de sécurité n’ont fait que confirmer les dires des transporteurs.
Notre baptême de feu, nous l’avons passé au corridor du Km 17, au sortir de Yopougon, lorsque retentit le premier et strident coup de sifflet ordonnant notre véhicule de s’immobiliser, juste avant la herse. La casquette renversée, et avec la dextérité de l’apprenti dont nous campons le personnage, nous sautons alors de notre Massa pour nous diriger tout droit au poste. Là, nous tendons sereinement « nos pièces » au gendarme de service. Minutieusement, l’un après l’autre, il entreprend d’examiner nos papiers. Et à la moue qu’il affiche, nous comprenons que la « moisson » n’est pas bonne pour lui, aucun document ne manquant à l’appel. Et notre agent d’abattre la carte sécrète en ces termes : « où est ton droit de passage ?». Nous tentons de lui expliquer que nous sommes en règle et que nous ne comprenons pas cette question. Mais l’agent n’a que faire des papiers à jour. Il fait signe à l’un de ses collègues qui venait de terminer le contrôle des pièces d’identité à bord, de bien faire garer le «Massa rebelle» sur le trottoir.
«Vous ne bougerez pas d’ici», lance-t-il. Nous faisons alors mine de plaider, expliquant que nous n’avons pas reçu de frais de route et que le véhicule était au garage la veille. Mais rien n’y fait. La route est bien longue et les passagers commencent à s’impatienter. Il faut donc s’acquitter de 1500 FCFA pour gagner en temps. Mais à peine franchissons-nous ce corridor et entamons notre montée, qu’au niveau de la maison carrée, un autre coup de sifflet se fait entendre. Cette fois, c’est la brigade mobile d’Agban qui nous fait marquer un arrêt. Nous descendons à nouveau, tendons les pièces à l’un des deux gendarmes, puis 1000 FCFA disparaissent aussitôt de notre main pour atterrir dans la poche de l’agent, on aurait dit un reptile happant un insecte indélicat ! La « transaction » se passe si vite qu’il n’a même pas le temps de jeter un coup d’oeil sur nos papiers. Au bout de quelques minutes de route, nous sommes au carrefour de Jacqueville. Croyant pouvoir profiter de la levée de la herse dont bénéficiait un véhicule personnel pour se frayer un chemin, notre véhicule tente de forcer quelque peu le passage.
C’était sans compter sur la vigilance de l’agent FRCI, qui nous barrera promptement la route, avant de lancer au chauffeur : « Dis à ton apprenti de descendre ». Nous accourons aussitôt vers le poste où nous répétons le même rituel. 1.000 FCFA sont encore partis. « Franck, tu peux les laisser partir », peut alors ordonner celui qui venait de réceptionner le droit de passage. Au corridor de sortie de la ville de Dabou, à moins de 30 km d’Abidjan, nous en étions à six barrages, qui nous ont coûté 6.500 FCFA. « Il y a deux ans, pour arriver à ce niveau on traversait 9 barrages», se console tout de même, à titre comparatif, D.M, notre chauffeur. A moins d’un kilomètre du corridor de sortie de Dabou en direction de Cosrou, deux gendarmes de la brigade mobile d’Abgan sont aux aguets. Comme au niveau du carrefour de la «maison carrée», du côté d’Abidjan, il fallait faire un geste. Montant standard : 1.000 FCFA. Après cette étape, nous aurons à faire face au barrage de Toupah et de Irobo avant d’atteindre le corridor de Grand Lahou. A chacun de ses barrages, il fallait payer le droit de passage.
Des menaces à Toupah, Lozoua, et Guitry
Mais avant de prendre la route, les transporteurs nous avaient prévenus que les poste-contrôles de Toupah, Lozoua, Guitry et Moussadougou étaient les plus redoutés. Ce que nous ne mettons pas du temps à découvrir. Notamment à Lozoua où, faisant mine de refuser de payer le droit de passage, un élément des FRCI n’a pas hésité à nous menacer en ces termes : « Si vous ne payez pas, nous allons vous arracher tous vos biens de force». La tenue délavée, assis sous un hangar grossièrement dressé, et les nerfs en boule, ce dernier semblait à court d’argument. « Comment vas-tu nous arracher de force ce qui nous appartient », essayons-nous de l’amener à clarifier sa pensée. «Si nous partons d’ici, vous ne serez plus en sécurité sur cet axe. Vous avez vu ce qui est arrivé le mercredi dernier ?», nous interroge le FRCI. Pour ne pas le pousser à bout, nous lui remettons les 1000 FCFA. Une fois à bord du car, nous cherchons à comprendre ce qui s’est passé le mercredi en question. Et le chauffeur de nous apprendre que ce jour-là, un car a été braqué au niveau du pont Brimé, à moins de dix kilomètres de San Pédro. Une attaque intervenue à 48 heures seulement de la grève des transporteurs, laquelle visait à obtenir le démantèlement des barrages, pour cause de racket. Ces faits sont-ils liés ? Pourquoi nous oppose-t-on un tel exemple ? Sur la question, DM est formel : «Ce sont eux-mêmes qui coupent la route aux cars quand ils sentent qu’on veut les faire rentrer en caserne ». Tout compte fait, depuis cette attaque, des éléments de la gendarmerie sont postés au niveau de cette zone. Nous les avons aperçus sur une bonne distance en brousse, entre Sassandra et San-Pedro, kalachnikov à la main.
Mais au corridor de Fresco, nous essuyons notre première infraction. Ce qui nous met brusquement en face d’une autre réalité : le non-respect par certains chauffeurs, des règles élémentaires régissant le transport en commun. Notre conducteur était ainsi tombé sous le coup de la surcharge. Ce qui n’a pas manqué d’échapper à la vigilance de l’agent et qui impliquait du coup les risques d’accidents auxquels nous étions exposés, le conducteur ayant délibérément pris le malin plaisir d’embarquer en chemin un passager de trop. Le gendarme dont le nom se laisse lire aisément sur le matricule, retire les pièces, et nous explique l’infraction. «Vous êtes un véhicule de 22 places et vous transportez 23 personnes. C’est interdit. Je vais vous verbaliser et vous irez retirer les papiers à la tour C, au 22étage, à Abidjan». Evidemment, nous ne pouvons que nous confondre en nous excuse, promettant de ne plus commettre la même erreur. Au bout de dix minutes, le gendarme se décide à nous laisser partir sans prendre le moindre sous. « Je considère que cette fois je vous ai sensibilisé, mais gare à vous la prochaine fois », concède t-il. Un «gain» de 2000 CFA pour le chauffeur, mais aussi et peut-être surtout, la découverte pour nous d’une « brebis saine » dans le troupeau de celles galeuses auxquelles nous avions jusque-là eu affaire.
En tout cas, le reste de notre parcours est jalonné des mêmes scènes de racket : au carrefour 26, au carrefour de Sassandra, à polibrousse, à Moussadougou, à Monogaga, etc, nous sommes plumés comme de viles volailles. Parti d’Abidjan autour de 9 heures, ce sont 16.500 FCFA qui ont échu dans l’escarcelle des forces de sécurité (gendarme-policier-FRCI) dans les différents corridors et barrages avant notre arrivée à San Pédro, à 16 heures 15 mn. Les transporteurs n’ont pas tort, le racket est une triste réalité sur la côtière.
Un reportage d’Alexandre Lebel Ilboudo
LE PATRIOTE
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