Par Brussi Kouano – Source: Lebanco.net
Les populations de Sakassou ont payé un lourd tribut dans la crise du 19 septembre 2002. Sur dix personnes enlevées ce 2 décembre 2002, par les rebelles, dans les villages d’Assandrè et Assafou (département de Sakassou), une seule a eu la vie sauve : Koffi N’goran, une dame originaire d’Assandrè (Agnibonou-Kanouan). Les rebelles reprochaient à leurs victimes d’avoir exécuté la danse « Adjanou » (danse d’exorcisme des femmes en pays Baoulé et Agni) à leur arrivée dans les villages précités. Une action qui, selon eux, visait à leur lancer des sorts qui entraîneraient leur mort. Retour sur les crimes crapuleux de rebelles dans le Walèbo. Lumière sur des crimes dont personne (ou presque) ne veut parler.
Assandrè. Sans doute, le plus important regroupement de villages dans la sous-préfecture de Sakassou. Au nombre de onze villages rassemblés sur le même site depuis 1971, ces populations cultivatrices vivaient, dit-on, dans une harmonie exemplaire jusqu’à l’éclatement de la crise militaro-politique dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002.
Le 2 décembre 2002, selon des témoignages concordants, recueillis sur place dans le village, tout va basculer. Des rebelles du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI de Guillaume Soro) venus de Bouaké entrent à Agnibonou, l’un des villages d’Assandrè et celui de feu Amani Goly François, ancien directeur général des Impôts, sous le régime d’ Houphouët Boigny.
Les rebelles, selon les témoignages du village étaient en train de piller la résidence de M. Amani quand l’une des femmes, membres de la danse « Adjanou » a commencé à faire tinter la cloche, instrument qui, d’après les pratiques de l' »Adjanou », invite du coup tous les autres membres à la danse. L’attitude n’est pas du goût des rebelles. Plusieurs coups de kalachnikov, aux dires des témoins sont tirés en l’air. C’est la débandade totale des populations dans le village. Les rebelles sont aux trousses des danseuses qui n’ont même pas eu le temps de se regrouper. Dame Koffi N’goran est capturée sous le prétexte que c’est elle qui aurait fait tinter la cloche. Une accusation qu’elle a rejetée lors de nos échanges avec elle. Aussi, pour les rebelles, cet acte précède-t-il des malédictions que ces danseuses d' »Adjanou » proliféreront à leur endroit. Aux mains des rebelles, sous les regards impuissants des siens, dame Koffi N’goran est battue à sang, humiliée et séquestrée.
Interdit de danser de l »Adjanou »
Comme si cette bastonnade ne suffisait pas, les rebelles, selon les témoignages, l’amènent avec eux, dans leur base de Sakassou. Dans la soirée de sa capture, les rebelles reviennent avec l’infortunée à Assandrè et lui exigent de désigner toutes celles qui sont membres de l' »Adjanou ». Toutes les danseuses ne sont plus dans le village. Chacune d’elles s’étant réfugiée dans la brousse. Pour les rebelles, c’est un refus d’exécuter leur ordre. Des nouvelles bastonnades s’ensuivent. Plusieurs balles de Kalachnikov sont tirées sur des toits, murs et sur d’autres biens dans des maisons.
À cette occasion, le vieux Kouadio Yao, plus connu sous le sobriquet de Sadjou, est arrêté. La raison ? Pour les rebelles, l’arrière de sa maison est contiguë au siège de l' »Adjanou ». Pour eux, il ne fait guère aucun doute : c’est Sadjou qui a permis aux femmes du village d’installer » l’Adjanou » qu’ils considèrent comme un dangereux fétiche.
Déterminés à montrer aux habitants du village que personne ne saurait les freiner dans leur élan (pillage de domiciles privés) encore moins les défier, ils arrêtent le vieux Sadjou, sa femme Kouassi Amenan, sa fille Moh Tanou et Kouamé Peubo, un vieillard, malentendant, cousin du vieux Sadjou. Tous sont amenés à Sakassou avec toujours dame Koffi N’goran.
A Assafou, village situé sur l’axe qui conduit à Assandrè, les rebelles marquent une halte, brutalisent des habitants, terrorisent la population et finissent par arrêter cinq danseuses d' »Adjanou » sans motif valable. Sans motif valable ? En effet, l’argument avancé par les rebelles est surréaliste : « notre voiture à l’entrée de votre village s’est renversé et a causé la mort d’un de nos compagnons. C’est clair que ce sont les danseuses d »’Adjanou » qui ont fait ce coup par leur danse diabolique qu’elles exécutaient à notre passage», martèle à qui veut l’entendre, un membre du commando.
21 jours dans un conteneur.
« (.) Il fait nuit, je ne sais pas. Il fait jour, je ne sais pas. (.) ». Ce bout de propos est de dame Koffi N’goran. En effet, enfermée pendant trois semaines dans un conteneur, elle n’a eu la vie sauve que grâce à une connaissance résidant à Bouaké.
« C’est grâce à une parente qui était venue vérifier sur le terrain, le fait que des personnes ont été enlevées dans le village d’Assandrè, que j’ai eu la vie sauve. En me voyant assise à même le sol, elle a poussé un grand cri d’étonnement en me posant ces questions : Eh ! N’goran es-tu ici aussi ? Depuis quand ? Sans attendre la réponse, elle accourut en ville pour appeler un frère. Celui-ci est venu sans tarder sur les lieux. C’était au carrefour de Béoumi-Sakassou, dans les environs du village de Tchêlêkro. Il a demandé avec instance de me libérer et sur place. Et au chef rebelle de répondre que cette dame sera exécutée dès ce soir comme les premiers avec qui elle est arrivée d’Assandrè et Assafou. À l’issue de tractations, mes parents acceptent de payer 50000 Francs CFA exigés par les rebelles. Ce sont sur les conseils du même chef rebelle qui ne voulait plus que je retourne à Assandrè que je suis allée à Yamoussoukro. Le corps couvert de blessures infectées et traumatisées, j’ai longtemps résidé et, continue de résider dans la capitale politique du pays auprès d’un frère », confie dame Koffi N’goran.
En effet, notre passage à Assandrè a coïncidé avec la période des obsèques du frère chez qui dame Koffi N’goran a trouvé refuge à Yamoussoukro.
Minakro, la terre des exécutions.
Minakro est un village à proximité de Bouaké. Notre interlocutrice le situe sur l’axe routier Bouaké-Katiola. Des renseignements pris avec dame Koffi N’goran et vérifiés à Bouaké confirment la position géographique de ce village. Ils sont cinq au village d’Assafou et quatre à Assandrè, qui ont été sommairement exécutés par les rebelles de Bouaké conduits par le commandant N’Toh Julien, alors chef de guerre de la zone de Sakassou.
Aussi, a-t-on apprit que ce dernier est mort en 2004. Son remplaçant, Bakary « Djan » (le grand) qui est resté à ce poste jusqu’à la fin de cette rébellion ivoirienne a perdu la raison. Il vit à Bouaké. Nos tentatives de le rencontrer se sont heurtées à des volontés contraires à nos besoins. Mieux, une source qui a requis l’anonymat nous a conseillé la méfiance. » Attention, cher frère. N’oubliez pas la réalité de la calebasse vide de la poudre de piment », a-t-il évoqué. Comme pour dire que bien que le conflit ait pris fin, les velléités de représailles, de la part des ex-rebelles, demeurent intactes.
Quelles actions pour les Walèbo ?
Vengeance, réparation, silence. ? Que doivent faire les parents de victimes ? Des hommes et des femmes sont morts. Tués par la rébellion dont Guillaume Soro Kigbafori, député de Ferkessédougou, actuel président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, en était le numéro un, le secrétaire général. Il est vrai que dans les réalités des peuples africains, le cadet du méfait suprême est le pardon. Ce que le temps moderne ne réfute point. Cependant, dans un pays organisé comme la Côte d’Ivoire, il y a un véritable problème du droit qui se pose. Les spécialistes du droit parleront de dédommagements. Aussi, faut-il engager des actions en justice pour y parvenir. Des ressortissants du village d’Assandrè, avec qui nous avions échangé avant notre départ dans ce village, confirment l’inexistence de la moindre action entreprise auprès de tribunaux ; par les parents de victimes. Pis, l’État de Côte d’Ivoire n’a jusque-là rien fait pour réaffirmer son rôle de protecteur de l’ensemble de tous ceux qui vivent dans son territoire. Cependant, dans nos investigations, nous avons découvert que le chef principal (le chef des onze chefs) d’Assandrè, Kouakou Kouamé et Yao Attoungbré Zéphirin, instituteur de son état et témoin des faits, ont été entendus par un juge de Première Instance au niveau du Tribunal d’Abidjan.
Ils ont été entendus et rien de plus. Sans en donner l’impression, les habitants d’Assandrè et d’Assafou, en ont encore gros sur le cour, onze ans après ces assassinats qui ont endeuillé leurs villages. Des crimes qui seront passés par pertes et profits ? il faut espérer que non.
Brussi Kouano
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