Côte d’Ivoire Alassane Ouattara – La fuite en avant perpétuelle

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Une contribution du Dr FOBAH Eblin Pascal, Délégué National aux questions sociétales de LIDER

Sur l’échiquier politique ivoirien, Alassane Ouattara est un président atypique, généreux en promesses, qui ne se décourage jamais de promettre des horizons toujours meilleurs, même quand ses premières promesses ne se sont pas réalisées et sont plutôt apparues comme des tromperies élaborées selon les règles de la démagogie. A toutes les sollicitations politiques, sociales, judiciaires, etc. qui se présentent à lui, le Président Alassane Ouattara les résout en faisant abondamment appel à la fuite en avant, employée de façon systématique comme mode de gouvernance. C’est l’analyse de cette gouvernance singulière, tellement elle tranche par sa systématisation avec ce qui a cours de par le monde, qui fait l’objet de cet article.

I. LE MENSONGE INSTITUTIONNEL

C’est le type de mensonge qui, par la magie de la rhétorique technocratique ou d’un autre genre, fait prendre le faux pour le vrai. Divers cas de cette rhétorique mensongère sont décelables aussi bien dans les propos du Président de la République, garant de l’éthique républicaine, que dans ceux tenus par certains membres du gouvernement, eux qui sont chargés d’amplifier et de répercuter auprès des populations les messages et desseins présidentiels. L’exemple le plus grossier que l’on peut citer est celui relatif à la politique de rattrapage, aussi laide dans sa conception que les justifications qui la nourrissent. Elle fait des populations du nord les otages d’une gouvernance ethniciste dont elles ne veulent pas en ce 21e siècle alors que l’apartheid a disparu et que les catégorisations ethniques discrimantes, avec un groupe, les Tutsi qui, en plus de leur suprématie économique, ont accès à tous les postes importants de l’administration et les Hutu, majoritairement pauvres qui étaient condamnés à ne rien avoir, ont produit les ravages désastreux que l’on sait au Rwanda. On se rappelle que sur le plateau de France 24 et dans le journal L’Express, le Chef de l’Etat, répondant aux questions des journalistes de ces médias français avait dit, relativement aux nominations ethno-tribales indexées, qu’« il s’agi[ssait] d’un simple rattrapage » et que « sous Gbagbo, les communautés du nord, soit 40% de la population, étaient exclues des postes de responsabilité ». Dans une interview accordée à la RTI, le vendredi 30 mars 2012, il est revenu sur ses propos, à la suite de l’interpellation faite par la journaliste Agnès Kraidy. « Je n’ai jamais dit cela. Je ne me reconnais pas dans ces propos » se défendit-il, ayant pris conscience de l’énormité et du caractère passéiste de ses propos. Il n’y a aucune grandeur à répandre, dans un pays qui sort d’une crise qualifiée d’identitaire, les odeurs nauséeuses de la division ethnique qui a créé tant de malheurs ailleurs dans l’Allemagne nazi, en Serbie, en Afrique du sud, au Rwanda. Cela, le Président de la République l’a compris et s’est réfugié dans le mensonge tout en continuant à faire appliquer, dans l’administration et les établissements publics, sa politique de rattrapage savamment pensée dans les laboratoires de la division. Ce n’est pas un ponte du RHDP comme Anaky Kobena qui nous contredira, lui qui récemment attirait l’attention sur les dangers de cette politique rétrograde.
Sur la question de la gratuité des soins initiée au sortir de la crise postélectorale par le Président de la République, tout le monde, en Côte d’Ivoire, sait que, depuis le 12 février 2012, suite à une déclaration du Professeur N’dri Yoman Thérèse, ministre de la santé et de la lutte contre le sida d’alors, la politique de gratuité des soins a été déclarée morte et enterrée. En lieu et place de la gratuité pour tous, il a été institué une gratuité ciblée, appliquée moyennant une contribution financière des patients concernés. Mais, en Côte d’Ivoire, seule une personne, en l’occurrence le Chef de l’Etat, celui-là même qui impulse l’action gouvernementale, ne sait pas que l’oraison funèbre de la politique de gratuité des soins a été prononcée au premier trimestre de l’an 2012 par une ministre placée sous son autorité directe. Parce qu’il ne le sait pas, il s’est permis de déclarer, au sortir d’une audience avec le Président français, François Hollande, le 4 décembre 2012, qu’en Côte d’Ivoire, les soins médicaux sont gratuits, généralisant ainsi à l’excès ce qui n’est qu’une chimère dans le quotidien des Ivoiriens. Autre élément qui pourrait être relevé dans l’énumération des faits de gouvernance par le mensonge institutionnel, c’est l’annonce faite par le Président Ouattara à propos de la cherté de la vie le 31 décembre 2012 contredite deux jours plus tard, le 2 janvier 2013, par la hausse inexpliquée des prix du gaz et du super sans plomb. Il disait que le gouvernement avait fait de l’atténuation significative des effets de la vie chère sa priorité et que « dès 2013, chaque ivoirien pourrait sentir les effets des mesures prises sur son quotidien ». Le même faux a été prêché au terme de sa visite dans le Tonkpi lors de ses échanges avec la presse :

« L’amélioration des conditions de vie, c’est mettre un peu plus à l’aise les fonctionnaires. C’est ce que nous avons tenté de faire en payant les indemnités qui étaient dues à l’éducation et, pour la santé, les choses sont en cours. L’amélioration des conditions de vie veut dire non seulement augmenter le pouvoir d’achat mais veiller à ce que les prix ne dérapent pas. Nous avons la chance d’être arrimés à l’Euro, ce qui fait que le taux d’inflation chez nous est à peu près équivalent au taux d’inflation en Europe ».

Pourtant, les prix dérapent chaque jour. On ne compte plus le nombre de hausses qu’il y a au niveau des produits de grande consommation. Pourtant, des ponctions inexpliquées et disproportionnées sont appliquées sur les maigres salaires des fonctionnaires qui ont osé réclamer du gouvernement qu’il tienne ses promesses au nom du principe de la continuité de l’Etat. Cela concerne particulièrement les enseignants qui se plaignent de ce que les engagements pris ne sont pas respectés.
Alors que le gouvernement, par la bouche du ministre Albert Mabri Toikeuse, ministre d’Etat, ministre du Plan et du Développement, à la faveur de la séance d’informations parlementaires du jeudi 19 juillet 2012, déclarait vouloir « s’attaquer à la vie chère et faire en sorte que les ivoiriens vivent mieux et qu’il n’y ait pas de mesure qui compromettent les efforts qui sont faits pour faire reculer la pauvreté », on se demande, aujourd’hui, avec les multiples flambées de prix constatées par tous sur le marché, si le gouvernement ne se paie pas la tête des ivoiriens parce qu’il sait que, même étranglés, ils resteront sans réaction, préférant s’étriper pour ce qui n’a pas d’impact direct et immédiat sur leur quotidien.

Il serait fastidieux d’énumérer les mensonges savamment habillés en vérité par le pouvoir actuel. Les cas sont légions comme le fait de dire qu’il n’y a pas de prisonnier politique en Côte d’Ivoire alors que des politiciens croupissent depuis des années en prison sans aucune charge parfois et du fait de leur casquette politique à laquelle s’ajoutent des délits patronymiques, comme le chiffre de un million quarante-trois mille deux cents quatre-vingt treize (1043293) emplois créés de mai 2011 à octobre 2012 annoncé le 1er mai 2013 par le Premier Ministre alors que des voix sérieuses annoncent une rétraction de l’emploi en Côte d’Ivoire, comme la réduction du taux de chômage en 2012 annoncée le 31 décembre 2012 par le Président et contredite, quelques jours plus tôt, par les chiffres de l’Institut National de la Statistique, dans un rapport rendu public qui faisait état de ce qu’en 2012, le chômage s’était aggravé. Expertes en manipulation des chiffres, nos autorités gavent les ivoiriens de statistiques flatteuses comparables à ceux en vigueur dans certains pays occidentaux alors que le quotidien des ivoiriens trahit une cohabitation avec la pauvreté. L’émergence à l’horizon 2020 sera une émergence arithmétique. Elle se construira avec des chiffres enviés par bien de pays européens, selon le mot du premier ministre. Mais, à la différence de ce qui se passe dans les pays émergents, manquera à l’appel le développement humain effectif, observable dans le quotidien des ivoiriens.

II. LA POLITIQUE DE L’AUTRUCHE ET UN DENI EFFARANT DE LA REALITE

C’est l’une des formes de techniques de fuite en avant utilisée par le pouvoir Ouattara pour ne pas résoudre les problèmes de fond qui lui sont posés. Elle consiste en silences très parlants qui, d’une part, traduisent l’embarras du gouvernement et, d’autre part, trahissent une absence totale de volonté politique dans la résolution du problème décrié. De nombreux rapports des ONG de défense des droits de l’homme ont laissé le gouvernement pantois et aphone. On aurait pu croire que cela relevait d’une stratégie communicationnelle visant à laisser passer la tempête médiatique pour s’attaquer en silence ensuite à la résolution du problème soulevé. Mais, en réalité, il s’agit pour le gouvernement, de ne pas se prononcer sur des vérités dérangeantes pour éviter d’être amené à y apporter des solutions. Parfois, il en parle mais pour botter en touche, pour utiliser une expression triviale. On pourrait citer à l’appui de ce développement les propos tenus par Monsieur Gnénéma Coulibaly, Garde des sceaux, ministre de la justice, des droits de l’homme et des libertés publiques lors d’une conférence prononcée le lundi 29 avril 2013. Aux accusations de fossoyeurs de l’économie ivoirienne portées par des experts indépendants de l’ONU à l’encontre de certains cadres de l’armée anciennement chefs rebelles, alors que la Côte d’Ivoire continue de tendre la sébile pour bénéficier de l’épargne d’autres nations, il répond que le gouvernement attend que des éléments de preuve lui soient donnés et que c’est en ce moment-là qu’il pourrait donner une suite au rapport des experts. Poursuivant son intervention, il se montrera plus cynique : « si l’ONU constate qu’il y a des preuves contre des personnes qui seraient impliquées dans des trafics, nous ne sommes que disposés à recevoir ces preuves et à mener des investigations. Si on nous dit : « celui-là a volé et voici les preuves », nous le poursuivrons ». Le pillage de l’économie ivoirienne par des bandes mafieuses peut continuer. Les réseaux criminels peuvent continuer de prospérer ; « circulez, il n’y a rien à voir » dirait-on.

Monsieur Gnénéma Coulibaly n’est pas à ses premières manœuvres du genre. Déjà en octobre 2012, lors d’échanges avec les journalistes, suite à la publication du rapport d’Amnesty Internationale sur les tortures et détentions arbitraires en Côte d’Ivoire, il invitait « les victimes présumées à saisir les autorités compétentes avec les éléments de preuves » qu’ils détiennent comme si ce pays était devenu subitement un pays dans lequel la justice fonctionne normalement sans orienter les jugements rendus dans le sens voulu par les vainqueurs de la crise postélectorale.

Tous ceux qui ont suivi de près la crise ivoirienne sont unanimes pour dire que les bourreaux et les victimes se retrouvent dans chacun des camps qui étaient en conflit. Mais malheureusement, jusque-là, les cris des supposés pro-Gbagbo tués, violés, mutilés, etc. ne parviennent pas aux oreilles de nos gouvernants qui ferment les yeux sur les atrocités commises par les FRCI lors de la crise postélectorale. On se demande même pourquoi ils le feraient si les FRCI sont considérées comme des sauveurs par un procureur de la république, voix de l’exécutif dans l’appareil judiciaire, sensé faire droit à toutes les victimes. On se demande pourquoi ils le feraient si le camp Gbagbo est considéré comme l’unique responsable des atrocités commises, même celles qui relèvent de la responsabilité des hommes du camp Ouattara, en vertu d’une brumeuse légitime défense, dangereuse jurisprudence tropicale d’une impunité de fait devant déboucher sur une amnésie collective. A la vérité, le camp Gbagbo sert de dérivatif pour dédouaner les pro-Ouattara des crimes qu’ils ont commis.

Parfois, le déni de la réalité s’accompagne d’un mensonge des plus dégoûtants. Les spécialistes en la matière se recrutent parmi les sécurocrates du régime. A ce niveau, le ministre de la défense Paul Koffi Koffi détient la palme d’or du plus expert en la matière, si une distinction honorifique devait être décernée pour cela. Il s’illustre de fort belle manière dans le déni des exactions commises par les FRCI. Alors que Human Rights Watch présente, de manière documentée, les représailles révoltantes exercés par les FRCI après les attaques du camp d’Akouédo et des différents commissariats aux mois d’août et de septembre de l’année dernière, le ministre de la défense refuse de voir la vérité en face. C’était au cours d’une conférence de presse tenue en son cabinet le 28 novembre 2012. Il nie d’abord les faits avant d’assimiler les cas de torture évoqués à des « mauvais traitement effectués sur des personnes pendant leur arrestation par les forces, pendant les combats ». Il ajoute, tout en récusant toute arrestation arbitraire, que « dans les situations de crise et de combat, les arrestations ne se font pas comme si on allait acheter du pain à une boulangerie! » et que « ce sont des gens en armes qui sont en combat, donc la réaction appropriée pour les arrêter nous amène, amène nos hommes à utiliser les mêmes moyens que l`ennemi ». Pourtant des photographies disponibles montrent que des personnes ont subi, en détention, des tortures diverses ; certaines avec le dos complètement brûlé par du plastique fondu. On a, dans le cas évoqué, un déni de la réalité doublé d’un mensonge et d’un travestissement des faits. Il n’y a que dans un Etat de non-droit où l’impunité est proclamée pour les tortionnaires et autres assassins que de pareilles choses sont possibles. Quelques mois après cette intervention du ministre de la défense, c’est-à-dire le 26 février 2013, un rapport d’Amnesty Internationale intitulé « La loi des vainqueurs » illustrait avec force détails différents cas de tortures, notamment des brûlures au plastique fondu et des tortures à l’électricité. C’est ainsi qu’il revient que le sergent-chef de police, Serge Hervé Kibrié, arrêté à San-Pédro le 20 août 2012, est mort des suites d’une torture à l’électricité. Pour mieux couvrir la forfaiture, celui-ci a été assimilé aux militaires et policiers tués lors d’attaques des positions des FRCI et décoré à titre posthume dans l’ordre national du mérite le 20 septembre 2012.

III. LE DILATOIRE, A LA PLACE DES ACTES ATTENDUS

Les manœuvres dilatoires du régime Ouattara sont diverses. Elles partent des déclarations de principe pour satisfaire les attentes exprimées aux doublons paralysants en passant par la stratégie de la vierge effarouchée et la recommandation de la patience.

Les déclarations de principe :

Elles sont principalement le fait du Président Ouattara qui, en tant que garant de l’éthique républicaine, se doit de donner de la Côte d’Ivoire et de lui-même la plus belle image qui soit d’un Etat moderne et d’un Chef d’Etat respectueux des valeurs qui fondent toute république digne de ce nom. Et, il ne s’en prive pas. Le Président Ouattara prend beaucoup d’engagement et fait beaucoup de promesses. Depuis avant son investiture le 21 mai 2011 jusqu’à aujourd’hui, deux ans après, les refrains de la réconciliation et de la lutte contre l’impunité sont une constante chez lui sans que des pas de danse accompagnent cet air musical. On comprend pourquoi Human Rights Watch intitule son dernier rapport : « Transformer le discours en réalité ». Quelques morceaux choisis, des plus anciens aux plus récents, qui montrent le statut de slogan conféré à la lutte contre l’impunité.

– « J’ai entendu dire qu’il y a une justice des vainqueurs. Ce n’est pas du tout mon approche. J’ai mis en place une Commission Nationale d’Enquête qui va terminer ses rapports d’ici la fin de l’année. Nous prendrons alors les mesures nécessaires. Ceux qui doivent être jugés le seront, de quelque bord qu’ils soient. Il n’y aura pas de volonté de punir les uns et de créer l’impunité pour les autres. Malheureusement, la Côte d’Ivoire a été un Etat de non-droit, de criminalité, d’assassinats et d’arrestations arbitraires. Je ferai en sorte qu’il soit mis fin à cette période d’impunité généralisée », interview accordée au journal français Le Figaro le 12 septembre 2011.
– « Le drame de ce pays a été l’impunité. Je veux y mettre fin. C’est par une justice équitable que nous y parviendrons », interview accordée au journal Le Monde le 25 janvier 2012 à la veille d’un déplacement en France.
– « J’ai mis en place une Commission Nationale d’Enquête qui rendra son rapport d’ici à la fin de février. Les individus incriminés seront jugés sur la base de ce document et non à partir d’études réalisées par des ONG des droits de l’homme dont les équipes ont passé une semaine ou dix jours en Côte d’Ivoire. Si certains chefs militaires ont failli, ils seront démis de leur fonction et arrêtés », interview accordée le même jour au journal français L’Express.
– « Tous les meurtriers seront punis, seront déférés devant la justice. Nul ne sera épargné », propos tenus le lundi 23 avril 2012 à l’occasion de sa première visite d’Etat à Duékoué, dans l’ouest.
– « L’impunité, c’est terminé ! Les crimes seront punis. Les tueurs de Robert Guéi doivent être connus et punis », propos tenus à l’occasion de la même visite à Man.
– « Nous voulons lutter contre l’impunité et réaffirmer que toutes les personnes qui ont posé des actes répressifs pendant la crise postélectorale répondront de leurs actes devant la justice. C’est à ce prix que la Côte d’Ivoire pourra tourner définitivement la page de cette crise et retrouver une paix durable et définitive. (…) Conformément à nos engagements, ce rapport sera rendu public afin que tous les Ivoiriens et tous ceux qui le souhaitent puissent en prendre connaissance », propos tenus à l’occasion de la cérémonie de remise du rapport de la Commission Nationale d’Enquête le 8 août 2012.
– « Ne parlez pas d’impunité, c’est terminé. Les enquêtes sur l’assassinat du général Guéi sont très avancées et nous allons en faire autant pour toutes les autres personnalités qui ont été tuées. Toutes les tentatives, toutes les tueries doivent être élucidées », propos tenus le 4 mai 2013 lors de la conférence de presse-bilan de la visite d’Etat dans le Tonkpi.

Avec le Président Alassane Ouattara, les slogans font office d’actions quand des membres de son camp sont incriminés. Et, on voit qu’il dispose d’un important catalogue de refrains dilatoires présentés comme des gages de sa bonne foi à ne rien laisser d’impuni. Ceux-ci fonctionnent comme des performatifs : « dire, c’est faire » ; mieux, le dire remplace l’action chez lui. On attend toujours la fin prononcée de l’impunité. On attend toujours la publication promise du rapport de la Commission Nationale d’Enquête et les sanctions qui doivent en découler pour les personnes de son entourage impliquées dans les différentes tueries, surtout qu’une annexe confidentielle transmise au Procureur de la République et à la Cellule Spéciale d’Enquête les désigne nommément et précise les actes commis.

Ces paroles non suivies d’effets du Président de la République au moment où on attend de lui des actes concrets empreints d’impartialité agace certaines personnes au sein de la communauté internationale alors que le soutien qui lui a été accordé était assujetti à une feuille de route claire, notamment en ce qui concerne les questions de réconciliation et d’impunité avec lesquelles il louvoie. « Cette approche tronquée de la lutte contre l’impunité adoptée à ce jour étaye le sentiment largement répandu en Côte d’Ivoire que le gouvernement ne veut poursuivre que des membres du camp Gbagbo (…) La justice à sens unique exercée à ce jour en Côte d’Ivoire contraste radicalement avec les promesses fréquentes de justice impartiale formulées par le gouvernement du Président Ouattara » dit Human Rights Watch dans son dernier rapport « Transformer les discours en réalité » (p. 32). Certaines vont jusqu’à parler de « déni de procès publique équitable ». On aura reconnu-là un aspect du dernier rapport de l’ambassade des Etats-Unis en Côte d’Ivoire.

Sur bien d’autres questions, le Président de la République biaise également, au risque, parfois, de se contredire :

– « Je ne pense pas qu’il soit possible de redresser la Côte d’Ivoire comme je le voulais dans les trois ans à venir », propos tenus dans l’hebdomadaire Jeune Afrique du 28 avril au 11 mai 2013.

– « En 2014, nous aurons totalement effacé ces onze ans de chute libre de l’économie ivoirienne. Nous n’attendrons pas trois ans pour essayer d’améliorer le quotidien des défavorisés. L’année prochaine, ça va changer », propos tenus lors de sa dernière visite d’Etat dans le Tonkpi.
– « Il faut que les uns et les autres s’en rendent compte. Si quelqu’un a volé, non seulement, il devrait être démis de ses fonctions mais l’Etat doit le poursuivre pour qu’il aille en prison », propos tenus à la même occasion.
Et pourtant, les affaires sales ne se comptent plus dans bien de ministères :
– le système de prédation de l’économie ivoirienne mis en place par d’anciens chefs de guerre contre lequel le gouvernement ne veut pas lutter, se cachant derrière des réclamations de preuves à l’ONU.
– les spoliateurs des victimes des déchets toxiques qui n’ont pas été jugés jusque-là.
– les scandales dans les passations de marchés publics.
– Les détournements du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique dans les travaux de rénovation des universités, etc.

Comme entité, le gouvernement danse au rythme du tambour battu par le Chef de l’Etat. Il ne pouvait pas en être autrement comme on le constate dans sa réponse à Human Rights Watch en date du 8 mai 2013 : « le gouvernement ivoirien a le plus grand intérêt à ce que justice soit rendue à toutes les victimes des crimes perpétrés lors des violences postélectorales. Il y va de la réconciliation nationale et de la reconstruction du pays dont dépend en grande partie la réalisation de son programme. Mais la nécessité pour la justice d’être impartiale ne doit point l’amener à agir dans la précipitation et de manière aveugle. Plus de trois mille (3000) personnes ont été tuées pendant les violences postélectorales. Les procédures en cours concernent donc au moins trois mille (3000) assassinats ou meurtres ». Il ne fait là qu’emboîter le pas au Président pour se conformer à l’esprit de son intervention dans l’hebdomadaire Jeune Afrique : « il n’y a pas de justice des vainqueurs. Il y a une justice que je souhaite indépendante et qui travaille à son rythme. Les victimes sont au cœur de notre politique de réconciliation. Faut-il rappeler que ce sont plus de trois mille personnes qui ont trouvé la mort lors de cette crise postélectorale ? »

La recommandation de la patience

C’est une autre des manœuvres dilatoires auxquelles recourent les gouvernants. Cette recommandation s’oriente principalement dans deux directions : envers les consommateurs qui grognent face à la cherté de la vie et envers la communauté internationale qui s’impatiente devant le peu d’empressement du Président Ouattara à tenir ses promesses. Il s’agit de les convaincre de manifester un peu plus de patience dans leur volonté de voir les attentes satisfaites. Aux consommateurs, il est dispensé une leçon d’économie assortie du dérivatif du bouc émissaire pour les encourager à accepter momentanément les effets désastreux de la vie chère sur le pouvoir d’achat et l’équilibre financier des ménages.

« Vous savez qu’en économie, les réformes portent leurs fruits plusieurs années après. (…) Donc il faut trois à quatre ans pour avoir les effets. Nous sommes arrivés et nous avons trouvé un pays totalement effondré. (…) On ne peut pas nous demander des résultats après un an. Nulle part cela n’est possible ».
La communauté internationale, elle, est enfarinée par des propos qui ne tiennent pas la route. Et sur ce point, le ministre Gnénéma Coulibaly est imbattable. Ses propos sur le cas Simone Gbagbo l’illustrent éloquemment :

« Quand on aura fini de réfléchir, on dira à la CPI ce qu’on entend faire. Plus on prend de temps, plus la réflexion se bonifie. C’est pour cela qu’il ne faut pas se précipiter. La réflexion, ce n’est pas facile parce que ce sont des enjeux importants. Le gouvernement actuel n’a vraiment aucune animosité particulière contre qui que ce soit. Les jours à venir vous le démontreront ».

Dans ce propos est formulée de manière implicite une demande à patienter encore quelques temps. On se rappelle pourtant la célérité avec laquelle le transfèrement de Laurent Gbagbo a été effectué par ce même pouvoir qui, cinq mois après la levée des scellés sur le mandat d’arrêt qui la concerne, n’a toujours pas fini de mener la réflexion sur le transfèrement de Simone Gbagbo réclamé par la CPI. A la vérité, le transfèrement de Simone Gbagbo ouvrira la boîte de pandore pour ce pouvoir qui se trouve pris à son propre piège du jeu de cache-cache avec les ivoiriens et avec la communauté internationale. Pour sûr, il est dans l’embarras avec cette affaire et veut gagner le plus de temps possible tant que cela lui permet d’éviter de toucher à toutes les personnes qui, dans l’appareil sécuritaire et dans le paysage politique, font partie des auteurs de violations des droits de l’homme et du droit humanitaire international lors de la crise postélectorale. Sur ce point, la résolution 2062, adoptée le 26 juillet 2012, est des plus claires :

« [Le Conseil de Sécurité] prie instamment le gouvernement ivoirien de veiller le plus rapidement possible à ce que, quels que soient leur statut ou leur appartenance politique, tous les auteurs de violations graves des droits de l’Homme ou d’atteintes au droit international humanitaire, en particulier celles commises pendant la crise postélectorale en Côte d’Ivoire, soient traduits en justice, comme le lui imposent ses obligations nationales ».

Mais cela, le gouvernement du Président Ouattara veut l’éviter. Et, les dénégations du genre « il n’y aura pas d’exception. Les ivoiriens seront traités de façon égale. (…) Ceux qui ont commis des crimes feront face aux juges. Pas d’exception, nous sommes très clairs là-dessus » ne parviennent pas à changer l’impression générale suspicieuse que les uns et les autres ont vis-à-vis de lui. Mais on salue déjà l’arrestation d’Amadé Ourémi, le réparateur de vélos devenu milicien qui écumait le mont Péko et terrorisait les populations, et on demande au Président d’agir de façon à mettre fin aux suspicions, légitimes du reste, sur son peu d’empressement à mettre fin à l’impunité. Ce serait, cependant, une grande déception, et une preuve supplémentaire des manœuvres dilatoires du gouvernement pour protéger des criminels endurcis depuis des années, si Amadé Ourémi n’est pas jugé pour ses crimes mais pour occupation illégale d’un patrimoine de l’Etat comme l’a laissé entendre le porte-parole du gouvernement dans sa communication du 22 mai 2013.

La technique de la vierge effarouchée

Quand les gouvernants sont acculés et qu’ils n’ont pas d’autres voies de recours pour convaincre, ils se montrent frileux. Ils poussent des accès de colère. Cela intervient généralement à la suite de rapports qui viennent remettre en cause toute la belle image d’Etat moderne qu’ils se sont construite de leur action gouvernementale. Le gouvernement et par-delà le Chef de l’Etat, tient tellement à son image que ces rapports qui l’enlaidissent le mettent très mal à l’aise et hors de lui. Les propos deviennent alors virulents nourris du souhait qu’ils pourraient inhiber les auteurs de ces rapports. C’est à la fois une manœuvre dilatoire pour ne pas avoir à répondre aux questions qui fâchent et une façon subtile d’orienter l’angle d’approche des rapports ultérieurs. C’est une stratégie aussi puérile qu’inefficace parce qu’elle n’empêche pas les rapports accablants de se succéder. Elle reste éphémère même si elle peut servir à construire du gouvernement une image plus glorieuse, moins aboulique d’une équipe qui ne fait que subir les coups de cognée. En effet, montrer à ses partisans qu’on conserve la dignité de ne pas se laisser dicter des ordres par des organisations internationales n’est pas la solution à apporter aux problèmes évoqués qui restent pendants tant qu’on refuse de voir la réalité en face et de s’attaquer à leur résolution. Cela se révèle d’ailleurs improductif d’autant plus qu’après avoir dit aux organisations de défense des droits de l’homme « qu’il n’y a pas lieu de faire des pressions » ou après avoir exigé d’être le destinataire principal des rapports afin d’en clarifier certains aspects avant qu’ils ne soient rendus publics (en réalité, de négocier par des manœuvres souterraines le retrait des séquences jugées trop compromettantes), on finit par tenir compte des recommandations qui découlent des observations qu’on donne l’impression de balayer du revers de la main par une scène de bravade.

« Comprenez que nous sommes dans un pays organisé avec des règles et que nous ne pouvons pas nous laisser émouvoir par des rapports d’organisations internationales qu’ils soient élogieux ou qu’ils soient défavorables », interview accordée à Soir Info le 29 mars 2012 par le ministre Gnénéma Coulibaly.

« Sans remettre en cause la crédibilité de l’institution qui l’emploi, il faut remarquer que Monsieur Nindorera a habitué les ivoiriens souventes fois à des déclarations sensationnelles avec pour retombées un effet d’annonce », réaction du ministre Gnénéma Coulibaly à la suite de la publication, le 26 octobre 2012, du rapport de la division des droits de l’homme de l’ONUCI.

Les doublons paralysants

Le Président Alassane Ouattara a promis de réconcilier les ivoiriens. Pour cela, il a mis en place la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation dirigée par l’ancien premier ministre Charles Konan Banny. Un texte a été pris pour baliser son champ d’action. Mais depuis la mise en place de cette structure, le Président Ouattara ne fait que le siphonner de sa substance même si son président lui-même, par son immobilisme improductif, sa méthodologie hésitante et ses perspectives folkloriques d’approche de la réconciliation, n’est pas sans reproche. La CDVR ne pouvait qu’être inefficace parce qu’elle portait congénitalement la tare d’être placée sous l’autorité du Chef de l’Etat qui a lui-même un contentieux à régler avec une bonne partie des ivoiriens et doit faire l’effort de se réconcilier avec eux en n’appliquant pas une justice vindicative. De fait, la CDVR avait deux présidents : un qui avait le pouvoir de proposition et d’exécution et l’autre, le pouvoir de décision finale. La CDVR a également manqué, dans son fonctionnement, du soutien franc du pouvoir. Les ressources financières nécessaires à la réalisation des missions qui sont les siennes n’étaient pas mises à temps à sa disposition. On se rappelle qu’à l’issue d’une visite au comité exécutif de la CDVR, le président de LIDER a dû informer la communauté nationale et internationale du manque cruel de moyen auquel devaient faire face Monsieur Banny et son équipe dans l’accomplissement de leurs missions. Pour justifier son inertie, il fallait habilement assécher ses trésoreries et ne délier la bourse que lorsqu’à bout de souffle, son président en faisait la demande par voie administrative normale renforcée par celle détournée de personnalités interposées. La CDVR ne pouvait qu’être inefficace parce qu’un pan entier de ses attributions relatif à la réconciliation de la classe politique autour de termes de référence et de voies de résolution consensuelles des problèmes lui a été arraché par le Cadre Permanent de Dialogue et le Dialogue direct Gouvernement-FPI.

Après avoir suscité l’espoir de voir la classe politique enfin réconciliée, cette classe politique dont les antagonismes nourrissent et amplifient les conflits latents au sein des populations, le CPD et le Dialogue direct Gouvernement-FPI se sont révélés comme une supercherie. Le CPD et le Dialogue direct connaissent la même stagnation que la CDVR parce que la mise en application des décisions consensuelles arrêtées dépend, pour beaucoup, des desiderata du Président de la République. Pour certains cercles proches du pouvoir, ces initiatives avaient, pour seule mission, de servir d’effet cosmétique de polissage de l’image du gouvernement vis-à-vis de la communauté internationale alors que l’opposition y avait cru de bonne foi. Résultat des courses : il n’y a pas d’avancée notable dans la réconciliation nationale ni avec la CDVR ni avec le CPD ni avec le Dialogue direct Gouvernement-FPI. Tout semble bloqué parce que la mauvaise foi a guidé la mise en place de ces initiatives. La dernière trouvaille en date alors que tout est au point mort a été la création, le 10 mai 2013, du Programme national de cohésion sociale (Pncs), autre démembrement-désarticulation de la CDVR. Avec ce nouveau doublon sorti du chapeau magique, la CDVR verra son retrait de la scène anticipée. Alors qu’elle était dotée d’un budget de 2 milliards que l’Etat avait parfois du mal à décaisser, le Pncs est doté d’un gros budget de sept milliards. La différence est notable et montre que le Président Ouattara accorde plus de crédit à la structure dirigée par madame Mariatou Koné qu’à celle dirigée par Monsieur Banny.

Si la cohésion nationale se résume, pour l’économiste-banquier qu’est le Président Alassane Ouattara, à de l’argent à distribuer ou à des postes à pourvoir pour les militants auxquels on n’a pas trouvé de point de chute, pour LIDER, elle reste le ciment de la société et la question centrale lorsqu’on veut emprunter le train du développement et les voies de la paix. Toute autre voie qui consiste à penser qu’il suffit de développer les infrastructures avec de grands travaux dans le BTP, améliorer les conditions de vie, restaurer les pistes, bâtir des centres de santé ou des écoles et le tour est joué est une perdition ; les grands ouvrages, même s’ils facilitent la vie des individus, ne réconcilient ni n’apaisent les cœurs meurtris qui attendent, malgré les belles réalisations, que justice soit faite. Toute autre voie qui consiste à penser que « la réconciliation ne devient réalité que lorsque les uns et les autres se sentent en paix et en sécurité » comme le souligne le Chef de l’Etat dans son interview à l’hebdomadaire français L’Express du 25 janvier 2012 s’inscrit dans la même voie d’erreur. Le fait de penser ainsi cache, malgré toutes les contorsions qu’on prend, une absence de volonté politique de résoudre le problème de l’impunité devenue chronique en Côte d’Ivoire. Et, le gouvernement est appelé à donner forme à cette vision des choses avec tous les artifices qu’il faut.

Les ingrédients de la ruse sont réunis pour le gouvernement qui, tout en soignant habilement son image, n’a aucune volonté d’aller à la réconciliation. Des efforts sont déployés pour tenter d’abaisser la vigilance intellectuelle et politique des ivoiriens, pour empêcher que se constitue une opposition républicaine dotée d’un statut clair (on donne l’impression de composer avec elle tant en l’ignorant royalement), que se résolve tout ce qui détruit la cohésion sociale et que se mette en place tout ce qui pourrait permettre d’éviter de sombrer dans une crise encore plus grave. Les calculs politiciens, malheureusement, prennent le pas sur la réconciliation véritable des fils et filles de ce pays. Ce sont là les divers visages de la sophistique de la ruse (définie comme les efforts pour tromper l’autre) utilisée par le régime Ouattara dans son rapport avec les ivoiriens, l’opposition et la communauté internationale.

Un certain Gbagbo Laurent qui agissait de la sorte a été traité de boulanger. Comment traitera-t-on son filleul ouattariste ? Le peuple est roulé dans la poussière. Les partis politiques qui ont accepté de bonne foi de participer au CPD et aux différentes rencontres de concertation sont roulés dans la poussière. L’ONU est roulée dans la poussière, la résolution 2062 piétinée, ses recommandations ignorées. Les organisations de défense des droits de l’homme nationales comme internationales sont roulées dans la poussière. Le consommateur est roulé dans la poussière. Tout le monde est roulé dans la poussière. Mais tout le monde semble impuissant et se montre fataliste face à la situation. Voilà le Président que les ivoiriens, avec l’aide de la communauté internationale, se sont offert. La fuite en avant perpétuelle est le trait caractéristique de sa gouvernance. Au royaume de la manipulation des intelligences, la démagogie est reine.

La démagogie fait partie du jeu politique. Mais quand elle est systématique comme en Côte d’Ivoire, elle prend la forme d’une stratégie d’évitement phobique, c’est-à-dire un mécanisme de défense nourri par l’angoisse de perdre quelque chose. Mettre fin à l’impunité fragiliserait-il le pouvoir Ouattara ? Pour cela, doit-on faire la promotion d’un Etat de non-droit avec le règne endémique d’une impunité de fait au détriment de l’Etat de droit ?

La systématisation de la démagogie dans la gouvernance d’un dirigeant obéit à trois logiques. Elle est le fait soit d’un déficit de formation politique soit de politiciens qui, bien qu’ils n’aient pas de solution au diagnostic dressé mais restent des adeptes de la mégalomanie, préfèrent donner l’impression d’en avoir en vendant de l’illusion à leurs partisans. Le recours systématique à la démagogie peut être aussi l’expression d’une mauvaise foi alors que celui qui l’utilise a les moyens de résoudre ce à quoi il est confronté mais n’ose pas le faire par pur calcul politicien. Il revient à chacun de construire son jugement à la lumières de ces trois options.

Dr FOBAH Eblin Pascal,
Délégué National aux questions sociétales de LIDER

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