Théophile Kouamouo « Les « spin doctors » de moins en moins bien inspirés du RDR essaient de convaincre l’opinion de ce que c’est Gbagbo qui a laissé prospérer Amadé Ouérémi dans sa « principauté » du mont Péko. En réalité, cette présence vieille de dix ans est plutôt la preuve de la complicité active entre l’armée française, l’ONUCI et la rébellion pro-Ouattara. Amadé Ouérémi a créé une milice de plusieurs milliers d’hommes dans la « zone de confiance » prétendument démilitarisée, prétendument garantie par les forces impartiales. Cette milice exploitait 340 hectares de forêt classée, ce qui n’émouvait guère les consciences écologiques. En produisant du cacao exporté via le Burkina Faso, cette milice alimentait l’effort de guerre des rebelles de la communauté internationale. »
« Alors qu’on parle d’Amadé Ouérémi et de ces « miliciens du cacao » qui pullulaient dans la zone de confiance et alimentaient le Burkina Faso en « fèves du sang », je partage avec vous ce lien vers un article de 2005, que j’avais écrit pour Le Courrier d’Abidjan. Nous avons à l’époque failli être tués par ces assassins protégés par la ligne de non-franchissement imposée par la France et l’ONU »
Comment nous avons échappé à la mort, dans la zone de défiance
Récit – La recherche d’Edith Zahédié, témoin numéro un de l’enlèvement de Firmin Mahé par la force Licorne, a conduit l’équipe de «Le Courrier d’Abidjan» à être elle-même séquestrée pendant plusieurs heures par une bande d’ex-rebelles belliqueux qui ont failli attenter à la vie de ses membres. A la découverte du chaos qui règne dans la «zone de confiance», où la haine pousse plus vite que la mauvaise herbe…
«Ils étaient partis à la recherche d’Edith. Ils ont trouvé la mort.» Ces deux phrases lapidaires auraient bien pu figurer en épitaphe sur nos tombes si la Providence Divine ne nous avait pas secourus au moment critique. Ces deux phrases auraient tout aussi bien pu ne jamais trouver de pierre tombale où se fixer. Partis le vendredi 28 novembre dans le département de Bangolo – dans la zone de confiance –, notre équipe de reportage a été prise en otage pendant cinq longues heures, dans un campement incertain anciennement appelé Bahableu, mais rebaptisé Michelkro par ceux qui en sont devenus les maîtres absolus à la faveur de la guerre déclenchée le 19 septembre 2002.
La décision d’aller en reportage dans le «Far West», sur les traces de Firmin Mahé, l’Ivoirien tué par Licorne et dont le décès est officiellement à l’origine de la disgrâce du général Poncet, est prise le jeudi dans l’après-midi. Jacques D., frère aîné de Mahé, et Basile B., son neveu, viennent à notre rédaction et acceptent d’aller avec nous à Dah, leur village. C’est dans ce village que Mahé a vécu. C’est en tant que citoyen de ce village qu’il est entré dans la résistance contre l’invasion rebelle, dès la fin de l’année 2002. C’est donc à Dah que nous pouvons avoir le maximum d’informations sur qui il était – au-delà des rumeurs lancées par une Force Licorne sur la défensive – et sur la manière dont il a été tué.
Dans la fièvre de «l’actu», nous remplissons toutes les formalités administratives et prenons toutes les mesures logistiques requises. Le lendemain matin, vers 7 heures, nous traversons le corridor de Yopougon. En route vers la vérité ! Aucune angoisse particulière ne nous étreint. Nos sources connaissant la zone ont été unanimes : le calme est revenu dans la région martyrisée de Bangolo, avec le déploiement des troupes onusiennes et la volonté des populations autochtones et «allogènes», de revivre en bonne intelligence comme par le passé.
Passé le corridor de Guitrozon, après Duékoué, qui marque la fin de la zone tenue par l’armée républicaine et le début de la «zone de confiance», tous les membres de notre équipe – composée d’Igor, le chauffeur, de Saint-Claver Oula, journaliste, d’Armand-Brice Tchikamen, journaliste reporter d’images, de Jacques D. et de Basile B. – ressentent tout de même un tressaillement. Malaise.
Très vite, nous ôtons l’affiche «Presse» collée sur le pare-brise de notre véhicule. Certes, elle nous protège en zone gouvernementale. Mais dans ce «no man’s land» où personne ne sait qui est qui, elle peut nous créer des ennuis. D’autant plus que la Force Licorne – dont nous traquons les dérives à travers cette enquête – peut nous réserver un accueil inamical.
Dès notre arrivée dans la zone, nous nous rendons compte que de puissants intérêts n’ont pas forcément envie de se faire «regarder». En ce mois d’octobre, c’est le début de la grande traite de cacao. Un immense trafic illicite draine les sacs pleins de fèves des campements les plus discrets jusqu’à Fengolo, port sec fleurant l’odeur bien caractéristique de l’or brun ivoirien. Pas très prudent de filmer les hangars et les camions qui ne se dirigent surtout pas en zone gouvernementale ! Nous poursuivons notre chemin…
Jusqu’à Guéhiébly, gros village où le marché a lieu tous les vendredis. Un marché où se rendent les paysans vivant dans les villages et campements alentour. C’est justement là que se rendait Firmin Mahé quand il a été capturé – à la manière de Kunta Kinté, l’esclave Noir de la série-culte Racines – par une patrouille de Licorne qui l’a achevé après l’avoir criblé de balles. Quelques prises d’images au marché et hop, nous allons à Béoué, le village maternel de Mahé, le village où vit son amie Edith Zahédié, qui était avec lui – et son frère Clément – le jour où l’armée française l’a assassiné.
C’est là qu’une longue recherche, à travers villages et campements, routes goudronnées et pistes impitoyables, commence. Edith n’est pas à Béoué. Sa maman nous assure qu’elle est à Guéhiébly, chez son amie Siophile, la fille du chef. Retour à Guéhiébly : pas d’Edith. Pendant trois longues heures, nous la cherchons. Nous parcourons, en compagnie de Siophile, quatre campements : le Bloc, où se trouve la sœur d’Edith et son mari ; Petit-Guiglo, où elle a des copines ; puis Bahé, où elle se rend parfois. Lorsque nous arrivons à Bahé – où vit une certaine «Mickie», copine d’Edith –, l’ambiance commence à s’alourdir. De nombreux villageois refusent catégoriquement de nous indiquer où se trouvent les deux jeunes filles. Un Guéré d’un certain âge, dont la cour se trouve à la sortie du village, nous rend tout de même ce service : il affirme qu’Edith est passée par là il y a deux jours, mais qu’elle a pris le chemin de Bahableu, un campement qui se trouve quelques kilomètres plus loin. Nous avançons, trop près de l’objectif pour faire machine arrière.
Arrivés à Bahableu, nous ne sommes pas plus inquiets. «Y a-t-il une famille Guéré qu’on peut voir ici ?», demandons-nous, persuadés qu’une telle famille nous donnerait des indications sur l’endroit où on peut trouver Edith. Visiblement, notre question froisse les habitants de ce campement. Après quelques questions, nous tombons sur Edith elle-même. Ouf ! Nous n’avons pas fait ce voyage pour rien…
Euphoriques, nous ne nous rendons pas compte que progressivement, des attroupements se font autour de nous. Des enfants, puis des adultes ne cessent de nous suivre. Quand nous entrons dans notre voiture pour repartir sur les lieux du crime avec Edith, l’attroupement prend une forme bien particulière. Nous sommes littéralement encerclés par une meute de plusieurs dizaines de jeunes mi-interrogatifs, mi-hostiles. Ils s’approchent de nous. «Nous voulons savoir ce que vous êtes venus faire ici», lance un des meneurs de l’attroupement. Nos explications se heurtent à un mur d’incompréhension. «Pourquoi vous n’êtes pas venus voir le chef ? Il faut voir le chef», continue-t-il. Des corps se mettent en travers du chemin de la voiture. Les yeux deviennent haineux. Nous allons chez le chef.
Pendant plus de trente minutes, nous nous expliquons. Le chef nous comprend et accepte notre départ. Entre-temps, nous nous rendons compte que nous ne sommes pas dans un campement comme les autres. Il n’y a quasiment pas de femme, ni d’enfants. La majeure partie des habitants sont des hommes jeunes, visiblement originaires du Burkina Faso voisin. Quelques «allogènes» ivoiriens, originaires du Nord ou du Centre, se confondent dans cette masse sans pouvoir réellement peser sur elle. En réalité, le chef du village, le vieux Sanogo, ne contrôle rien ici. Les esprits s’échauffent, la haine grossit, et l’on se rend compte d’un fait : une seule chose régit les rapports ici, c’est la «loi du plus fort».
Une bande de jeunes décide de défier le vieux Sanogo. Puisqu’il nous demande de partir, ils dressent des barrages devant notre voiture. L’un d’entre eux monte sur le véhicule, cognant nerveusement sur sa carrosserie. Nous ne bougerons pas ! Plusieurs centaines de jeunes, complètement hystériques, nous encerclent désormais. Les accusations, qui se veulent des sentences de mort, commencent à fuser, nous montrant l’ancrage politique et les mœurs quotidiennes de ces habitants de la «zone de confiance». «Ce sont des envoyés de Gbagbo. Ils sont venus pour filmer notre village et nous attaquer le 30 octobre», lance une personne dans la foule. «Ce sont les gens de Blé Goudé. Des mercenaires !», renchérit un quidam. «Et si on les braisait ?», suggère un troisième. Siophile subit les effets de la sauvagerie de nos «assaillants» : l’un d’entre eux choisit de la brutaliser, tirant rageusement ses cheveux… parce qu’elle «parle trop» !
C’est à ce moment que la décision est prise : même si nous sommes persuadés qu’ils veulent voler, sinon détruire notre véhicule, nous décidons d’aller nous réfugier chez le chef de village, pour avoir la vie sauve. Le vieux Sanogo est un homme de bien. A l’entrée de sa maison, un diplôme de participation à un séminaire de réconciliation, organisé par le ministre Sébastien Danon Djédjé, et qui a, semble-t-il, donné ses fruits. Il ne veut pas rallumer le feu de la guerre. Il ne veut pas que le chef de Guéhiébly, chez qui il se rend souvent, et dont Siophile est la fille, retienne de lui qu’il dirige un village de brigands. Mais il ne peut pas exercer son autorité au-delà de sa maison. Trois années de conflit, l’émergence de la mentalité des «seigneurs de la guerre», le renversement des valeurs, l’absence d’histoire commune entre immigrés récents, venus en conquistadors après le début de la crise, et vieux allogènes respectueux de l’étiquette présidant à la coexistence intercommunautaire… Tout est mélangé à Bahableu… pardon, à Michelkro !
Au milieu de leurs objurgations belliqueuses, quelques-uns de la masse des jeunes qui, désormais, campent autour de la maison du chef, qu’ils soupçonnent de vouloir nous épargner, laissent échapper des mots qui les trahissent. «Nous sommes des soldats ! Nous avons combattu les Guéré». Dans notre délégation, plus personne ne veut rigoler…
Nos ravisseurs nous demandent de leur remettre la cassette sur laquelle on aurait filmé leur village. Nous nous exécutons, ce qui les irrite. Ils édictent une nouvelle loi : nous ne bougerons pas tant que l’ONUCI ne viendra pas pour nous arrêter. A les entendre, il y a des Libériens parmi nous ; des «coco-taillés» de Gbagbo.
La nuit tombe, la chaleur devient étouffante au fur et à mesure que nos ravisseurs, qui désormais nous dévisagent de leurs torches, multipliant les commentaires et les affirmations gratuites sur notre statut d’espions, se multiplient. Le nouveau challenge, désormais, c’est de nous arracher notre voiture. «Cela ne se passera pas comme cela. Vous partirez peut-être, mais votre véhicule restera. Ce sera notre preuve», lance un «vieux rebelle». Des jeunes se mettent à rôder autour de notre chauffeur, qui a les clés du véhicule. Des idées de meurtre se précisent. Le danger aussi. Notre seule arme désormais ? Nos prières. Il n’y a pas de réseau à Michelkro. Nous ne pouvons appeler personne à l’aide. Les Casques bleus ? Certains d’entre nous sont persuadés qu’aucun de ces villageois, qui veulent en finir avec nous sans témoin, n’est allé les appeler.
Ce n’est pas tout à fait juste. Le Béninois – marié à une femme Guéré – chez qui Edith vivait, a pris son vélo et est allé à toute allure à Bahé ameuter les Casques bleus – Béninois – qui y sont positionnés. Le chef de village a également envoyé un de ses «petits», et transmis ce message aux troupes béninoises : «Si vous ne venez pas, le pire sera inévitable, parce que je suis complètement débordé !». Le camion de commandement des troupes onusiennes n’était malheureusement pas disponible : il était allé à Guéhiébly pour des achats.
Ainsi, pendant que nous attendions le moment fatidique où le chef, épuisé, finirait par nous livrer, les Casques bleus attendaient avec nervosité le retour d’un camion se frayant difficilement un chemin sur des pistes rongées par la pluie et affaissées sous le poids des antiques «Massa» pleins à craquer ayant le monopole des transports en commun…
Il est plus de 22 heures lorsque nous entendons le vrombissement du moteur de «nos sauveurs». Ils se frayent un chemin dans la muraille humaine qui nous encercle. Menaçants, ils nous demandent les pièces et les clés de notre voiture. «Nous avons reçu l’ordre de les ramener au poste», disent-ils. Nous ravisseurs sont contents : «les espions de Gbagbo» iront en prison. Par des coups de fouet, les Casques bleus arrivent à nous dégager un couloir. Nous entrons illico presto dans leur camion, tandis qu’eux démarrent avec notre voiture. Quelques-uns assurent notre protection à l’arrière, la kalachnikov en bandoulière.
Car les jeunes de Michelkro ne veulent pas se satisfaire d’un séjour en prison pour leurs «ennemis» venus d’Abidjan les provoquer avec leur belle voiture, leurs beaux vêtements, leurs manières énervantes ! Pendant plusieurs centaines de mètres, ils courent derrière le camion des forces onusiennes, nous lapidant sans arrêt, leurs torches pointées sur nous, leurs injures et leur rage perçant nos tympans. Pendant quelques secondes, j’ai l’impression de vivre des scènes sorties tout droit du film «Hôtel Rwanda», où l’on voyait des Interhamwés ivres de haine poursuivre des «cancrelats» Tutsi sauvés de leurs griffes par les hommes de Roméo Dallaire, «le Juste» de la force onusienne. Gavée de mensonges, fanatisée par des leaders irresponsables, déréglés par trois années de laissez-faire dans une zone de défiance accouchant elle-même du refus de l’ordre et de toute forme de gouvernement, la jeunesse «en-rebellisée» a soif de sang. Qui la délivrera ? Pauvre Côte d’Ivoire ! Gloire à Dieu qui nous a sauvés de la faucille du Méchant !
Théophile Kouamouo
Le Courrier d’Abidjan (ancien) Novembre 2005
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