Les Ivoiriens ont-ils trahi la Côte d’Ivoire ?

Candidats en tete par region au 1er tour

Texte proposé par Séraphin PRAO, économiste et analyste politique

Il y a cinquante-trois ans , s’ouvraient, toutes neuves comme celles d’un cahier d’écolier plein de ferveur et d’espoir au moment de la rentrée, les pages de l’Histoire de la Côte d’Ivoire Indépendante, encore mal assurée de son avenir mais fermement décidée à assumer, à conquérir, à préserver son indépendance, son unité et son identité conquises après bien des luttes, des sacrifices et des souffrances. Mais aujourd’hui, pour ce qui concerne l’unité nationale, le rêve ivoirien est devenu un cauchemar.

L’IDENTITE DE LA CÔTE D’IVOIRE

Malgré sa proximité avec la France, le Président Felix Houphouët Boigny n’a pas empêché la constitution d’une identité nationale en Côte d’Ivoire. On est baoulé, sénoufo, malinké ou bété, mais avant tout ivoirien. Pas besoin de grands discours nationalistes : la réussite économique du pays, son rôle de locomotive régionale et son influence sur tout le continent en font une puissance africaine, et les Ivoiriens en sont fiers. D’ailleurs juste après la période des indépendances, tous les Présidents africains avaient un seul objectif : construire l’unité nationale. La question même de l’identité n’est pas simple à comprendre. Le Petit Robert lui donne la définition suivante : «Identité : caractère de ce qui demeure identique à soi-même».

Mais le terme d’identité reste flou, et souvent utilisé à mauvais escient. La «carte d’identité» par exemple, est une somme d’informations factuelles, mais qui ne résument en rien ce que nous sommes. Cette confusion est ancrée dans notre inconscient. Si un inconnu vous demande qui vous êtes, vous répondrez le plus souvent par « ce que vous faites » : boulanger, infirmier, professeur etc. On voit donc que l’identité est immatérielle, elle ne peut être quantifiée. Elle se modèle indéfiniment en fonction de vos expériences, de vos rencontres.

La question identitaire ne deviendra toutefois une problématique nationale en Côte d’Ivoire qu’après la mort du « Vieux », en 1993. Au lendemain de l’accession au pouvoir d’Henri Konan Bédié, des intellectuels s’interrogent sur ce que signifie « être ivoirien ». Benoît Sacanoud et Saliou Touré, tous deux universitaires, Jean-Noël Loucou, directeur de cabinet de Bédié, et quelques autres personnalités influentes réunies au sein de la Curdiphe, la Cellule universitaire de recherche et de diffusion des idées du président Henri Konan Bédié (sic), tenteront de donner un contenu à un nouveau concept : « l’ivoirité. ». Dans ce texte, pour nous, l’identité de la Côte d’Ivoire est la caractéristique du pays. De ce point de vue, on peut trouver dans l’Hymne National du pays, son identité. Composée par l’Abbé Pierre Michel PANGO, l’Abidjanaise est un chant solennel en l’honneur de notre Patrie. Il se présente sous forme d’un poème lyrique d’inspiration très élevée, qui laisse libre cours à l’expression de sentiments patriotiques sous forme d’images évocatrices. L’Hymne National exalte la grandeur de la Côte d’Ivoire, « Terre d’espérance, pays de l’hospitalité. Tes légions remplies de vaillance ont relevé ta dignité. Tes fils, chère Côte d’Ivoire, Fiers artisans de ta grandeur, Tous rassemblés pour ta gloire, Te bâtiront dans le bonheur. Fiers Ivoiriens, le pays nous appelle Si nous avons, dans la paix, ramené la liberté, Notre devoir sera d’être un modèle de l’espérance promise à l’humanité. En forgeant unis dans la foi nouvelle, la patrie de la vraie fraternité ». La Devise Nationale, composée de trois (3) mots UNION – DISCIPLINE – TRAVAIL, résume notre idéal commun et notre volonté d’œuvrer ensemble à la construction de la Côte d’Ivoire.

Notre Hymne national et notre devise nous appellent à l’Union, à la tolérance, à la Fraternité et pourtant, la Côte d’Ivoire d’aujourd’hui a tourné le dos à ces valeurs.

LES IVOIRIENS ONT TRAHI LA CÔTE D’IVOIRE

Les ivoiriens ont tourné le dos à la paix. “La paix n’est pas un mot, mais un comportement”. Autrement dit, la paix ne se limite pas à de simples et vaines déclarations d’intention, mais elle doit se concrétiser dans le comportement quotidien de l’individu. L’auteur de ces paroles qui sonnent aujourd’hui comme un avertissement, sinon une leçon de morale dans l’esprit des Ivoiriens, n’est autre que le Père de l’Indépendance de la Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire est devenue le terreau de désordres politiques qui endeuillent souvent les Ivoiriens. Au lieu de prôner le dialogue et la paix, les langues vénéneuses des politiciens sèment la mort et la guerre.
Les Ivoiriens ne vivent plus ensemble, ils vivent côte à côte. Hier, les ivoiriens avaient le sens du vivre ensemble. Les notions de sudiste et de nordiste étaient simplement utilisées à l’école primaire pour illustrer peut-être les quatre points cardinaux. Mais aujourd’hui, c’est l’ère géographique qui identifie chaque ivoirien. Le jeudi 19 juillet 2012, le Réseau Ouest Africain pour l’Edification de la Paix (WANEP-CI) a présenté les résultats d’un sondage d’opinion sur la réconciliation nationale et sur la pratique de la gouvernance dans l’administration publique ivoirienne. Selon le rapport des recherches de cette structure statistique, dans l’ensemble de la population, 66,8% est d’avis que les Ivoiriens sont divisés. La division est parfois ethnique, religieuse, politique et sociale.
Les Ivoiriens sont complices de la souffrance d’autres Ivoiriens. En Côte d’Ivoire aujourd’hui, les enlèvements, les gardes à vue au secret à durée indéterminée, les emprisonnements au secret sans procès, les tortures les plus inimaginables, les rafles sauvages accompagnées de vols des victimes et les exécutions extra judiciaires ne se comptent plus. C’est le lot quotidien des Ivoiriens. Une fois le président Laurent Gbagbo renversé, tous ses parents, sa mère, son épouse, ses enfants, ses anciens collaborateurs et tous ceux qui sont supposés être proches de lui, ainsi que ses sympathisants subissent la haine de ceux à qui la France de Sarkozy a cédé le «trône». Les prisons ivoiriennes sont remplies de prisonniers sans jugement. Leurs jugements dépendent du calendrier politique du Président Ouattara. Pendant que les pontes du pouvoir se promènent dans les capitales du monde, nos parents croupissent dans les prisons traditionnelles de la Côte d’Ivoire.
Les Ivoiriens ont écouté les sirènes de la division. La fracture brutale et violente qu’a connue la formation sociale ivoirienne pose de nouveau la question des identités collectives qui dévoile en même temps les enjeux liés au caractère inachevé de la construction des « États-nations » en Afrique. Mais les ivoiriens y sont pour quelque chose. Pourquoi ont-ils écouté ceux qui ont dit qu’ils sont exclus parce qu’ils étaient d’une telle région ou d’une telle religion ? Pourquoi ont-ils écouté ceux qui ont dit qu’ils sont exclus parce qu’ils étaient gros, grands, pauvres ? A force d’écouter les sirènes de la division, on finit par se rassembler autour de ce qui divise. Tel a été le comportement des ivoiriens et rien ne nous dédouanera.

CONCLUSION

En définitive, c’est une erreur, en effet, de penser que la crise ivoirienne s’est spontanément déclarée dans les instances supérieures partisanes et de négliger le fait que derrière les déclarations ostentatoires à propos de l’Unité Nationale, les regroupements précoloniaux ne se sont pas complètement dissouts dans la « Nation » moderne. Il faut construire la Nation et cela passe par l’union, la fraternité, l’inclusion et la paix.

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