Le Monde.fr Propos recueillis par Hélène Sallon
L’armée nigériane a commencé, jeudi 16 mai, son assaut contre des camps du groupe islamiste Boko Haram, avec l’objectif de reconquérir des zones tenues par les insurgés. Le président nigérian Goodluck Jonathan avait décrété l’état d’urgence dans trois Etats du nord-est du pays (Borno, Yobe et Adamawa), mardi, en assurant que des « mesures extraordinaires » étaient nécessaires pour répondre à la violence croissante. Le président a présenté comme « une déclaration de guerre » les dernières violences revendiquées par le groupe et il a pour la première fois reconnu que Boko Haram avait pris le contrôle de certaines parties de l’Etat de Borno. Depuis 2009, Boko Haram mène une insurrection sanglante dans le nord du Nigeria, qui a fait quelque 3 600 morts.
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Gilles Yabi, directeur du projet Afrique de l’ouest à l’International Crisis Group (ICG), à Dakar (Sénégal), analyse la situation.
Pourquoi les autorités nigérianes ont-elles décidé de lancer maintenant une offensive contre Boko Haram ?
Cette offensive est une réponse aux dernières attaques menées par Boko Haram et à la détérioration de la situation dans le nord-est du pays. Dans sa déclaration, le président Jonathan ne parle plus d’un groupe criminel mais d’une rébellion et il indique que certaines parties de l’Etat de Borno, fief de Boko Haram, ne sont plus sous le contrôle des autorités. C’est une présentation sombre où transparaît une menace à l’intégrité territoriale et à la souveraineté du pays. Cela l’a amené à décréter l’état d’urgence. Ce n’est pas la première fois, il l’avait fait en décembre 2010 dans quatre Etats. Mais on a très clairement, cette fois, un déploiement de forces et de moyens très important pour mener une bataille directe et sans précédent.
Le discours des autorités évoquant la perte de contrôle d’une partie du territoire correspond-il à une réalité sur le terrain ?
Il n’y a pas eu de changement radical dans la situation. Le problème est que l’Etat fédéral ne semble réaliser qu’aujourd’hui la gravité de la situation. Mais on a bien le sentiment que l’Etat n’est plus présent que sur un plan sécuritaire dans de vastes espaces concentrés dans les zones rurales et les zones frontalières avec le Tchad et le Niger.
Il aurait fallu agir avant que Boko Haram soit aussi forte et quand elle était moins menaçante d’un point de vue sécuritaire. N’ayant pas su trouver de solution avant, l’Etat nigérian va apporter à court terme une réponse militaire qui va poser des problèmes en termes de protection des populations civiles.
Après le bain de sang de Baga, où 187 personnes avaient trouvé la mort mi-avril, le président nigérian a dit étudier la possibilité d’un accord d’amnistie avec Boko Haram, pour mettre fin à l’insurrection. A-t-il abandonné cette option du dialogue ?
Une commission avait été nommée pour discuter des conditions d’une amnistie avec Boko Haram. L’organisation avait toutefois rejeté un tel accord, estimant ne pas commettre de crimes. Par ailleurs, la stratégie du gouvernement fédéral est illisible depuis longtemps. Le président a insisté dans ses discours sur la nécessité du dialogue tout en déclarant que Boko Haram était un groupe dont les chefs sont invisibles. Une fois encore, tout en décrétant l’état d’urgence et en lançant une offensive sur le front sécuritaire, Goodluck Jonathan a estimé qu’il fallait poursuivre les efforts pour trouver une solution politique.
L’Etat fédéral nigérian a-t-il les moyens et les capacités d’éradiquer Boko Haram dans le nord-est du pays ?
L’état d’urgence accroît la puissance des forces de sécurité fédérales dans ces zones mais elles étaient déjà présentes auparavant sans que l’on ait le sentiment d’un impact marquant dans la lutte contre Boko Hara
m. Peut-être que l’augmentation des moyens sécuritaires et de la collaboration avec les Etats frontaliers va permettre de réduire la force de Boko Haram. Cette campagne devrait durer pendant des mois et il n’y aura pas à court terme de stabilisation et de normalisation. Il sera difficile pour les forces de sécurité d’identifier les camps de Boko Haram, dont les forces ne sont pas concentrées, et qui a toujours la possibilité de se disperser au sein de la population, voire au-delà des frontières.
Le problème est que tout cela ne s’accompagne pas de messages clairs et audibles pour la population civile. La lutte contre Boko Haram va certainement se faire au prix de nombreuses victimes civiles. A moyen terme, il y a un risque de radicalisation de la population, si celle-ci estime que la menace vient autant de Boko Haram que des forces fédérales. Les membres de Boko Haram sont majoritairement de jeunes Nigérians de ces régions. Ils ont un certain ancrage dans la société, même s’ils ne sont ni populaires ni majoritaires. La conduite de l’Etat peut avoir des conséquences sur le basculement d’une partie de la population vers Boko Haram, mais le risque le plus grand est que la population se refuse à collaborer avec l’Etat et les forces de sécurité.
Comment les autorités fédérales justifient-elles les nombreuses victimes au sein de la population civile ?
Les autorités nigérianes ne reconnaissent pas les faits. Elles nient que les forces de sécurité soient responsables de dizaines de morts au sein de la population, rejetant la responsabilité du carnage sur Boko Haram. Or, il n’y a pas de preuves convaincantes pour attester de cela. Lors des opérations, l’Etat ne distingue pas populations civiles et combattants de Boko Haram. Les forces fédérales répondent souvent de façon disproportionnée quand Boko Haram tue des membres des forces de sécurité. L’Etat ne donne pas le sentiment de protéger la vie de la population.
Hélène Sallon
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