Une contribution de Dr PRAO YAO SERAPHIN analyste politique
« L’indépendance, ce n’est pas une récompense, c’est une responsabilité » disait Pierre Bourgault.
Pour certains observateurs, « l’acte de naissance » de la démocratie en Afrique date de 1990. En effet, c’est à la Baule, en 1990, à l’occasion du 20ème sommet France–Afrique, que François Mitterrand, associe pour la première fois, l’aide de la France aux pays africains à la démocratie : « La France liera tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté… ». Le Président français venait ainsi d’ouvrir une brèche dans la politique africaine, caractérisée depuis le général de Gaule, par un soutien dispendieux « à un développement sans démocratie » garantissant une mainmise de la France sur ses anciennes colonies. En tout cas, des faits historiques militaient en faveur d’un regard renouvelé sur l’Afrique : la libération de Mandela, la chute du mur de Berlin, la dislocation de l’URSS couplée de la fin de la guerre froide, la prestation du Cameroun à la coupe du monde de football.
Deux décennies après le discours de la Baule, rien n’a changé en Afrique. Hier, le monopartisme avait évolué vers l’ethnisme à cause de sa machine à exclure. Ceux qui furent exclus du parti cherchèrent à prendre leur revanche, tandis que ceux qui détenaient le pouvoir mobilisèrent les leur en leur expliquant que la perte du pouvoir signifiait pour eux la fin des privilèges. Aujourd’hui, le multipartisme signifie dans sa forme simpliste des multiples partis adossés aux ethnies. L’Afrique recense très peu d’expériences d’élections qui ne souffriraient d’aucune contestation. En général, l’opposition malmenée, poussée à boycotter parfois les élections, laisse donc libre champ aux présidents en exercice s’éterniser au pouvoir. Dans ce cas, le Président français, Jacques CHIRAC n’a-t-il pas raison de déclarer que la démocratie est réellement un luxe pour l’Afrique ? Le tollé qui a suivi cette déclaration dans le milieu intellectuel africain n’a pas suscité la prise de conscience de l’élite politique pour affermir la culture démocratique en Afrique. Les commissions électorales indépendantes mises en place pour la tenue d’élections libres et transparentes, n’ont pas encore montré tous les espoirs placés en elles.
Nous abordons dans ce texte, la question de la légitimité, de l’indépendance, et de la capacité de la Commission électorale indépendance (CEI) ivoirienne à instaurer une culture démocratique en Côte d’Ivoire.
La CEI est adepte du bricolage électoral
Depuis la proclamation des résultats provisoires des élections municipales et régionales couplées le vendredi 26 avril 2013, les contestations continuent. Au total, ce sont plus de 165 requêtes en annulation qui ont été déposées sur la table du président de la Commission électorale indépendante qui les a transférées à la chambre administrative de la Cour Suprême.
Il n’y a pas eu d’innovation au sein de la CEI. Nous n’avons pas tiré les leçons du passé. Le pays a organisé des élections en 2010 et, à cette date, nous avons eu le bénéfice de l’apprentissage de la démocratie. Mais quand on observe ce qui s’est passé en 2013, on remarque qu’il y a eu un déclin. A titre d’exemple, dans l’ensemble des bureaux de vote, de la circonscription électorale de Dimbokro commune, l’ordre des têtes de listes figurant sur le bulletin de vote n’était pas conforme à celui préalablement établi sur le spécimen. Cette attitude de la CEI est doublement anticonstitutionnelle car, une telle modification portant sur un élément substantiel du bulletin unique de vote relève nécessairement de la compétence exclusive du Conseil des ministres. Des FRCI ont soutenu des candidats dans plusieurs localités et la CEI n’a pas pu éviter les fraudes massives constatées lors de ces élections couplées. Il est quelque peu redondant et vain de faire remarquer la CEI a failli à sa mission. Non seulement elle fait du bricolage mais également elle exclut de millions d’ivoiriens du jeu démocratique.
La CEI interdit de millions d’ivoiriens de participer au jeu démocratique
A la fin de la signature de l’accord de Ouagadougou, Meleu Mathieu, ex-Dg de l’INS, avait indiqué que les estimations de sa structure prévoyaient au moins 9 millions d’électeurs. A la fin de l’histoire, l’on a obtenu 6,3 millions de personnes enrôlées. Les croisements et divers contentieux, dont la liste de la crise de février 2010, ont ramené le fichier électoral à 5,6 millions d’Ivoiriens électeurs, soit à peine 25 % de la population globale. Depuis 2009, des ivoiriens sont devenus majeurs et souhaitent participer à la vie de la nation. Mais la CEI refuse d’actualiser la liste pour tenir compte de cette aspiration légitime de ces ivoiriens. Aujourd’hui de millions d’ivoiriens sont sans papiers or hier, ils étaient nombreux ceux qui justifiaient la guerre par l’exclusion.
La CEI n’est pas indépendante
Définissons l’indépendance comme la situation d’un organe ou d’une collectivité qui n’est pas soumis à l’autorité d’un organe ou d’une collectivité. C’est donc une absence de subordination à qui ou quoi que ce soit sur le plan matériel, moral, social. Cette indépendance est nécessaire pour la sincérité des résultats des élections. Pour le démontrer il suffit de se fier à deux faits : les propos du Président de la CEI et la proclamation hésitante des résultats des dernières élections couplées.
Dans le film documentaire sur Choi, le président de la Commission électorale indépendante (CEI) a fait des révélations sur la période électorale. Youssouf Bakayoko a par exemple déclaré que le camp Gbagbo n’était pas d’accord avec les résultats du premier tour qui le donnaient en tête avec 38,04 %. Pour lui, La mouvance présidentielle (Lmp) pensait pouvoir gagner l’élection dès le premier tour. Mais finalement, Laurent Gbagbo et ses hommes ont accepté les résultats. Et si « Laurent Gbagbo et ses hommes » n’avaient pas accepté les résultats ? C’est la première preuve que cette CEI est aux ordres.
Le retard dans la proclamation des résultats au plan national par la CEI et les manœuvres d’intimidation et de diversion montrent que la CEI n’est pas indépendante. Le périodique La Lettre du Continent, dans sa parution du 1er mai 2013, lève un coin du voile sur les tractations et pressions qui ont précédé la proclamation des résultats desdites élections dans certaines localités. On y apprend notamment que le président Burkinabé Blaise Compaoré a joué un rôle important dans la proclamation des résultats dans certaines communes. C’est la deuxième preuve que la CEI est colonisée.
La colonisation de la CEI par le Président Compaoré
La colonisation peut désigner le processus par lequel un pays ou un groupe de personnes établit une ou plusieurs colonies sur un territoire étranger (déjà occupé ou non par une population). La colonisation peut avoir différents buts : exploitation de matières premières, de main d’œuvre, position stratégique, espace vital. L’article intitulé «Au Palais/ Abidjan/ ADO cède à Konan Bédié» de la Lettre du Continent, révèle que «sur les recommandations du président burkinabé Blaise Compaoré, Alassane Ouattara a été particulièrement soucieux de préserver la cohésion du RHDP au lendemain des municipales du 14 avril (21 avril 2013, Ndlr)». «Du coup, le chef de l’Etat ivoirien a été contraint de céder à la demande d’Henri Konan Bédié d’autoriser le président de la Commission électorale indépendante (CEI) à proclamer, le 26 avril, les derniers résultats de ce scrutin favorable au PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire) concernant les agglomérations de Treichville et Guiglo, mais en l’absence de procès-verbaux contradictoires».
Il ressort ici que non seulement la CEI n’est pas indépendante mais un Président étranger peut décider pour le peuple de Côte d’Ivoire. On voit également que les élections en Afrique sont des moyens de partage de pouvoir et de postes. En arrière-plan de la question de la CEI, se pose en réalité la question de la souveraineté de la Côte d’Ivoire. Amandé Ouremi exploite les forêts de l’Ouest du pays et le Président Compaoré dirige politiquement la Côte d’Ivoire.
D’ailleurs si le Président du Faso peut « commander » notre CEI, c’est parce qu’il a des accointances avec des membres de cette CEI. Au sein de cette institution, se trouvent des membres du MPCI, du MPIGO et du MJP, des mouvements fédérés par Guillaume SORO au sein des Forces nouvelles. Or, selon Banegas richard et Otayek réné (2003) , Soro Guillaume et Ibrahim coulibaly sont connus comme proche de François Compaoré, le frère du Président du Faso. Pour ces deux auteurs, le MPCI bénéficiait du soutien politique et logistique du Burkina Faso de Blaise Compaoré.
Conclusion
« Un jour viendra où, dans ce pays, il y aura deux camps. D’un côté celui dont le territoire et la nation se confondent pour la défense de ce que nous sommes et de l’autre, celui pour lequel, ni la nation, ni le territoire, encore moins la République que nous tentons de bâtir n’a de sens, encore moins de valeur … « . Cette phrase de Laurent Gbagbo est actuelle. Le moment est venu pour le grand rassemblement pour la Côte d’Ivoire. Et l’une bataille à gagner est celle de dissolution de cette CEI illégale pour une nouvelle CEI démocratique. Il ne faut toutefois pas s’illusionner sur ce que l’on peut attendre d’une telle commission, elle n’est indépendante que de nom, il faut se battre pour une véritable commission sans Bakayoko. Le temps presse car le calme politique actuel n’est que relatif.
[Facebook_Comments_Widget title= » » appId= »144902495576630″ href= » » numPosts= »5″ width= »470″ color= »light » code= »html5″]
Commentaires Facebook