Interview réalisée par Hervé Coulibaly (Le Journal de Connection ljdc.info) et Guy TRESSIA (lebanco.net)
Après la présentation de son nouvel album, David Tayorault (Chanteur et Musicien, désormais appelé TED) :
« La crise ivoirienne ? C’est parce qu’on ne nous a pas écoutés. Voici ma recette pour réconcilier les Ivoiriens…. »
David Tayorault, artiste chanteur et musicien. On l’appelle désormais TED, des initiales de son nom à l’Eta civil, Tayoro Edson David. Il vient de sortir son 8e album solo. Et comme toujours, il chante l’amour et interpelle les Africains sur les dangers des crises armées, dans un rythme dansant, apaisant et langoureux. Dans cette interview, il parle non seulement de son nouvel album, mais également, il donne sa recette contre les crises armées et pour une réconciliation sincère, durable par des actes concrets. Interview.
Bonjour David, tu te fais appeler désormais TED. Pourquoi ?
Effectivement, je veux qu’on appelle désormais TED. Ce qui signifie Tayoro Edson David qui est mon nom à l’Etat civil. Précédemment, je me suis fait appeler David Tayorault pour les besoin du moment. Mais avec la nouvelle orientation que je veux donner à ma carrière, je me suis choisi les initiales de mon nom à l’Etat civil Tayoro Edson David qui devient TED.
Tu as récemment présenté ton nouvel album qui s’appelle « Good vibes » à la presse. Pourquoi ce nom en Anglais ?
« Good vibes » signifie « Bonnes vibrations ». Je n’ai pas voulu mettre ce titre en Français parce que cela allait faire un peu titre de livre et ne serait pas assez commercial. Cela ferait même un peu chantre. J’ai donc choisi « Good vibes » pour des questions marketing. « Good vibes » est mon huitième album personnel. Et c’est un album qui compte beaucoup pour moi, parce que j’ai mis 4 ans pour le réaliser. Je l’ai enregistré dans des conditions un peu spéciales parce que je n’avais vraiment pas le temps de m’asseoir en studio comme d’habitude. J’étais partagé entre mes propres tournées, les collaborations avec les autres artistes et l’enregistrement de cet album. C’était une belle expérience parce qu’on a même enregistré des parties dans des chambres d’hôtels et dans bien d’autres endroits. Pas seulement dans un studio. Puisque j’ai un studio mobile.
« Bonnes vibrations ». Est-ce à la suite de la crise qu’a vécu la Côte d’Ivoire que cette inspiration t’es venue ?
Non pas vraiment. Je parle de bonnes vibrations parce que c’est l’esprit dans lequel l’album a été réalisé. J’ai expliqué qu’il y a des parties qui ont été faites dans mes tournées et dans des hôtels. J’ai appelé des musiciens qui sont venus jouer dans la chambre puisque j’ai un studio mobile. Et puis, tous ceux à qui j’ai fait appel sont venus spontanément parce qu’ils aiment ce que je fais. Il y en a qui me connaissent quand d’autres on seulement entendu parler de moi. A côté de cela, et surtout, c’est que l’album parle d’Amour avec grand « A », l’amour dans tous ses aspects.
Pourquoi l’Amour ?
C’est parce que j’ai remarqué qu’à l’allure où va le monde, les rapports entres les êtres humains ne sont pas bons. Il y a un véritable manque d’amour. Parce que quand on voit comment l’être humain traite son prochain, on remarque vraiment qu’il n’y a pas d’amour et que sans amour le monde va mal. Et donc chaque morceau de mon nouvel album traite de différents thèmes d’amour. « Good vibes » est un album de 14 titres qui parlent d’amour dans tous ses aspects. Pour moi, c’est par l’amour que nous réussirons à créer les conditions d’un monde meilleur pour tous.
Après le groupe « Woya », tu entreprends une carrière solo. Peux-tu brièvement rappeler ce qui s’est passé ?
(Rire). Il n’y a pas eu de problème pour que j’entame une carrière solo. Tu sais, quand on a tout connu, la gloire et autre, à un moment, il y a une petite saturation. Dès lors, on a envie de passer à autre chose pour évacuer le trop plein de saturation et explorer d’autres domaines et expérimenter d’autres choses. On a donc voulu tenter chacun une nouvelle expérience. Et puis, quand on grandit, on a envie de faire autre chose que ce qu’on a l’habitude de faire, même si ça marche. C’est pour cela que nous avons, chacun à son niveau, entamé des carrières solo. Mais, nous nous retrouvons par moment pour se rappeler et sortir un album ensemble. Sinon, il y a rien d’autre qui nous a séparés. Bien sûr, quand un groupe marche et que chacun de ses éléments tentent des carrières solos, il y a toujours des rumeurs. Et c’est ceux qui ne savent réellement pas ce qui se passent qui font courir des rumeurs de problèmes d’argent, de femmes et bien d’autres éléments qui ont l’habitude de séparer les groupes. Les gens ont raconté tellement de choses. Mais ce n’est pas ça. Pour nous, il n’y a pas eu tout ce qu’on a raconté. Seulement la saturation nous a poussés à explorer d’autres horizons et expérimenter d’autres choses en dehors du groupe. Et je crois que ça marche bien pour chacun de nous, puisque nous nous sommes séparés avec de bonnes vibrations, en « Good vibes », (rire).
Aujourd’hui, en tant qu’artiste éveilleur des consciences, je pense que tu ne peux pas parler d’Amour sans parler de paix.
Bien sûr !
Alors, la Côte d’Ivoire vient de traverser la plus grave crise de son histoire. Qu’est-ce que tu en penses et qu’est-ce que tu suggères ?
Avec beaucoup de recul, j’ai réalisé qu’on ne s’écoute pas. Parce que, ce qui s’est passé, les artistes avaient prévenu dix ans avant. Dans nos chansons, nous demandions toujours aux gens de s’asseoir pour parler, discuter, dialoguer pour éviter une catastrophe au peuple. Mais, l’Africain n’aime pas la vérité. Nous, entre nous, nous n’aimons pas nous dire la vérité. On préfère protéger nos intérêts personnels au détriment des intérêts de ceux qui vous ont placé là où vous êtes pour travailler pour eux. Et comme c’est de coutume en Afrique, les intérêts personnels prennent le pas sur les intérêts du peuple et ceux de la Nation. Et pendant longtemps, dix ans avant, les artistes ont chanté ça pour ne pas que le peuple souffre parce que c’est ce peuple qui vous a mis là. Il y a eu, en termes de chansons, je ne sais plus combien de titres pour éveiller les consciences. Ils écoutent ces chansons, mais ils font fi de ce que disent ces chansons et qui sont d’une importance capitale pour nos peuples d’Afrique. Et comme, chacune de nos autorités militait pour ses ambitions personnelles, la crise est arrivée. Elle nous a éclaté à la figure.
OK ! C’est fait. La crise a fait ses dégâts. Que faut-il faire maintenant, selon toi qui chantes l’Amour, pour que cela ne se répète plus ?
Moi, je suis un artiste. Ce qu’il y a lieu de faire, c’est de vivre par l’Amour qui est un sentiment et un lien très forts entre les humains. Cependant, il faut savoir accepter nos différences d’opinions. Et, je disais comme ça, dans une de mes chansons que « ce sont nos différences qui nous enrichissent et nous permettent de nous compléter pour avoir un monde meilleur ». J’ai besoin de ce que tu as et mois toi tu as besoin de ce que moi j’ai, on se met ensemble et on devient plus fort dans la coexistence pacifique. J’ai sorti cette chanson en 2010 et elle a été imposée à Podium 2010, juste avant les élections présidentielles. Dans cette même chanson, je disais « on sait quand ça commence, mais on ne sait pas quand ça finit ». On ne m’a pas écouté bien qu’on ait aimé la chanson. Il n’y pas d’autres explications et d’autres conditions pour vivre dans un monde paisible avec des pays paisibles. J’ai donc été blessé dans ma chair parce que les autorités, nos dirigeants de tous les bords (pouvoir comme opposition) n’ont pas écouté les artistes qui prévenaient et attiraient leur attention sur une crise imminente. Et cela est arrivé. Maintenant, comment faire pour que les choses repartent sur le bon pied ? Ce sera très difficile. Ça va prendre des années et des années parce qu’il y a des gens qui sont profondément blessés dans leurs propres chairs. Il y a des gens qui ont tout perdu. Je dis bien tout, dans le sens propre du terme. Ce n’est donc pas du jour au lendemain que ces gens-là vont oublier et tout pardonner. Il leur faut du temps et des conditions propices pour cela. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Ils ont besoin de se refaire le moral avant d’aller à la réconciliation. Il faut le leur accorder. Parce que nous devons nous pardonner. Et le pardon, il est très difficile à obtenir d’une personne qui a vraiment tout perdu. On ne pardonne pas dans la bouche, mais dans les actes. Et les actes ne vont pas venir du jour au lendemain d’une cérémonie de réconciliation. Ce que nous constatons pour l’instant, c’est qu’on se donne la main droite et dans l’autre on tient une arme cachée derrière nous. Ce n’est pas cela la réconciliation vraie. On ne peut donc pas enclencher comme ça un processus de réconciliation pendant que des gens sont encore dans le feu de la douleur.
Est-ce à dire que la mise en place de la CDVR est une sorte de charrue avant les bœufs ?
Je n’ai pas cela. Je dis même que c’est une bonne initiative qui peut préparer les cœurs à la réconciliation, mais il faut du temps à la CDVR pour réussir sa mission. Sinon, on ne peut pas donner 2 ans à cette Commission pour régler les problèmes des personnes qui se sont entretuées. Ce n’est pas possible. Il y en a qui peuvent digérer leurs blessures pendant 10 ans, pendant 15 ans. On ne peut pas les forcer pour une réconciliation sincère et durable, pendant que celui qui a tué ses parents est là et que la douleur est encore vive. Il faut du temps aux gens pour digérer et oublier pour se réconcilier sincèrement par les actes réciproques. Entre temps, on peut passer à autre chose. On ne peut pas bloquer l’évolution du pays. Il faut qu’on avance, qu’on travaille et que le temps fasse son travail de pansement des plaies. Ça prendra le temps que ça prendra, mais quand ça va arriver, la réconciliation sera sincère et les actes qui en découleront seront vrais et durables.
Revenons sur ton nouvel album. Peut-on avoir les explications des titres phares ?
C’est un album de 14 titres. Cependant, je peux citer « My Baby » (ma chérie) qui est le premier titre sur l’album. Dans cette chanson, je parle de la relation entre un homme et une femme qui se rencontrent pour la première fois et dont on ne connait pas l’issue de la relation tant qu’ils ne sont pas passés aux choses sérieuses. Dès qu’ils franchissent ce pas, ça peut s’arrêter ou continuer. Il y a donc des fortunes diverses quand on rencontre quelqu’un dans la vie avec qui on veut faire sa vie. Il y a aussi « An Boè » qui signifie aussi ma chérie (en Gouro) et qui parle aussi d’amour. Je l’ai reprise de Tchino Rems qui l’a sortie dans les années 80. J’ai beaucoup aimé dont je l’ai reprise. En troisième position, il y a la chanson « Aime ton prochain » qui parle des relations entre les êtres humains. Dans cette chanson, je dis : « Ne blesse pas, même si tu sais soigner, ne maudis pas, même si tu sais bénir, ne détruis pas même si tu sais construire ». Ça explique un peu ce qui se passe dans le monde. Il y a un grand manque d’amour dans le monde. Et c’est ce manque qui crée ces conflits dans le monde entier. Après ce titre, il y a « Afrika Hey », pour dire attention Afrique !
Maintenant que tous ces maux sont là. Que préconises-tu pour les enrayer ?
Il faut se parler pour se comprendre. Quand on dialogue, chacun dit ce qu’il a sur le cœur, se libère et on trouve ensemble comment vivre ensemble dans nos différences. Je dis dans la chanson « Afrika Hey » que pendant que les Européens se mettent ensemble, pendant que les Asiatiques se mettent ensemble pour aller de l’avant, c’est là que nous, Africains, nous trouvons le moment de nous battre, de faire des guerres fratricides. Cela nous met en retard par rapport au reste du monde. Par exemple, il y a des dizaines d’années en arrières, des pays qui étaient derrière la Côte d’Ivoire en matière de développement. Mais, aujourd’hui, avec nos palabres interminables, ces pays sont passés loin devant nous. Pour réussir à les rattraper, voire, les dépasser, il n’y a que par la voie de l’AMOUR entre les hommes avec grand « H ».
Interview réalisée par Hervé d’Anvers (ljdc.info) et Guy TRESSIA (lebanco.net)
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