Côte d’Ivoire – Morale émergente et maquilleurs d’état

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Shlomit Abel, 13 mai 2013

La semaine dernière, un contact ivoirien annonçait qu’il venait de retrouver le véhicule volé au professeur Gnamien Messou. À l’époque du vol, le syndicaliste avait communiqué l’immatriculation du véhicule dont on l’avait « soulagé ».

Ce véhicule avait été dérobé, comme la plupart de ceux qui constituent actuellement le parc automobile du nouveau « pouvoir ivoirien » ; ces nouveaux biens de l’état de Côte d’Ivoire ont été pris à des cadres du gouvernement, des chefs d’entreprises et de simples citoyens ivoiriens, au seul motif de leur nom, de leur ethnie, de leur fonction ; ils se sont trouvés dépouillés, trop heureux d’avoir eu la vie sauve lors de ce que la Communauté internationale a appelé pudiquement « crise post électorale ayant causé la mort de 3000 personnes ».

Ce véhicule tout terrain appartenait à un syndicaliste ivoirien, dont les biens ont été « confisqués » comme ce fut le cas pour la moitié de la population ivoirienne, laquelle, vivant en démocratie, -donc dans la légalité et la légitimité-, avait choisi le « mauvais président », comme on mise sur un mauvais cheval. Ces biens récupérés sont devenus primes, lots de consolation d’une opposition « brimée », qui n’a fait que prendre sa revanche ; ils sont devenus biens personnels des nouveaux dirigeants, ou mis à disposition gratuite des administrations et cadres rattrapés, et aussi propriété des voleurs, petites frappes, délinquants de droit commun, qui ont pris exemple sur leurs « nouveaux maîtres ».

Ici notre véhicule est devenu véhicule de l’armée avec une plaque militaire, transportant selon notre source d’illustres dozos surarmés qui assurent la sécurité des Ivoiriens pour le plus grand bonheur des populations civiles : celles-ci sont rassurées par ce déploiement d’une profusion d’armes et de kalaches à chaque coin de rue, confiées aux mains expertes de chasseurs professionnels qui remplacent à merveille une police et une armée républicaine désarmées …

Petite réflexion de bon sens : comment faire en sorte qu’un véhicule particulier volé devienne un véhicule propriété de l’armée ivoirienne ? Comment obtenir pour ce véhicule volé des papiers officiels en bonne et dûe forme, ainsi qu’une assurance pour le conducteur et ses passagers, et bien sûr une couverture financière pour des tiers pouvant être blessés en cas d’accident ?

Assurément cette question a été longuement mûrie dans le nouvel état de Côte d’Ivoire, et je n’ose même pas imaginer que ce véhicule puisse rouler sans que l’on ait indemnisé son précédent propriétaire en lui faisant comprendre que son véhicule est maintenant dans de très bonnes mains, et contribue au salut et à l’ordre public . Notre Nouvelle Côte d’Ivoire émergente possède maintenant des ministères, une administration et des tribunaux fiables, capables de juger en toute équité chaque délit et larcin des opposants monocolores accusés de génocide, de détournement de biens publics de l’état souverain, de déstabilisation, voire de tentative de coup d’état. Après des années de non-droit avec un président-dictateur qui en 10 ans a fait moins pour la Côte d’Ivoire que son successeur en quelques mois, nous sommes maintenant assis, spectateurs béats, dans ce train du progrès et d’une qualité de vie retrouvée qui file à toute allure, pour mieux accompagner l’argent qui circule à la même vitesse.

Trêve de plaisanterie :
l’explication nous est donnée par un fait divers presque anodin ; s’il n’y avait pas eu mort d’homme, je ne l’aurais peut-être même pas remarqué. La Côte d’Ivoire de Dramane Ouattara est au dessus des lois qui sont là pour protéger les citoyens et contribuer à leur vie et leur épanouissement. Dans un état de non-droit où la loi du plus fort est devenue la règle de base, où se taire et vivre dans la crainte d’une arrestation arbitraire est le quotidien de beaucoup d’Ivoiriens ; où l’on vit chaque jour dans l’angoisse constante de pas savoir ce que sont devenus tous les disparus, -ont-ils été tués, croupissent-ils dans des cachots ?- ; où l’on se bat pour élever des enfants à l’estomac vide, renvoyés des écoles parce que les frais de scolarité ne peuvent plus être payés par les parents… ; où tout nous parle d’un chomage désormais endémique, quoi de plus insupportable que d’apprendre par les bons apôtres du FMI et son ancien commis promu dictateur que l’argent circule, incognito, manne souterraine comparable à l’or du riche sous-sol, que la croissance exponentielle va percer le plafond, dépassant bientôt celle de la Chine ; oui, quoi de plus insupportable, dans un pays où les gens jeunes meurent faute de soins, de médicaments, d’argent, et où les plus âgés ont déjà tiré leur révérence dans l’indifférence totale des nouveaux seigneurs en place.

Dans la Côte d’Ivoire de Dramane, le fait divers évoqué plus haut nous permet d’en comprendre un autre, rapporté il y a quelques jours, et faisant état d’une Mercedes du cortège officiel de Ouattara, roulant à très vive allure pour rattraper le président et son escorte déjà parvenus à Man, et qui a heurté une moto, tuant le conducteur, le pasteur Gnonsian Timothée, et blessant grièvement la passagère, madame Beonaho Elietta, tous deux de Bangolo.Le chauffeur de la Mercedes ne s’est pas arrêté pour constater l’accident avec le deux roues, porter secours aux motocyclistes, laisser ses coordonnées pour que les familles éplorées, en deuil, en souci de pouvoir soigner la blessée, puissent être un tant soit peu indemnisées… L’homme de Dieu est mort, sa passagère dans un coma profond, mais les occupants de la voiture, à l’image de leur maître et de ses intérêts, avaient mieux à faire que de s’arrêter…

Encore des gens habitués à se servir des biens d’autrui,volés sur le dos, la sueur et le labeur de ceux qui ont économisé pour les acquérir. Encore des irresponsables, soucieux uniquement d’être à l’heure pour continuer, obséquieux à souhait, à faire des courbettes, à adresser de faux sourires et de vains compliments à ceux qui les engraissent et qui sont déjà arrivés à l’ouest pour une campagne de promesses et de chèques tirés sur le prochain emprunt, engluant un peu plus le peuple ivoirien, d’ores et déjà endetté pour plusieurs générations.

Chaque jour la Côte d’Ivoire s’enfonce un peu plus profondément dans une jungle inhospitalière et guerrière, et ce ne sont pas les belles paroles du rebelle en chef devenu chef d’état, et de son épouse dame patronnesse qui multiplie les aumônes à l’ouest, sans jamais se soucier des pauvres exilés, qui calmerons notre dégoût pour cet état de non droit. S’affichant seulement à l’étranger et avec des auditoires bien ciblés, le représentant de cette démocratie-poubelle qui a fait son irruption sur la scène officielle le 11 avril 2011, après s’être illustré dans des actes terroristes depuis plus de 10 ans, ne fait qu’essayer de gagner du temps… Notre Magellan est encore hors des frontières, au Qatar puis en Belgique, pour glaner des sous, brader ce qui reste à brader, sourire à la communauté internationale…

Quand j’étais enfant, le summum de la perversion pour moi petite française à l’école des droits de l’homme, pendant le cours d’instruction civique, c’était d’apprendre qu’il n’y a pas de plus grand crime que d’imprimer des faux billets et de les mettre en circulation… Avec Ouattara qui payait ses milices étrangères et dozos avec des faux billets, nous avons vite compris à qui nous avions affaire… Le plus scandaleux, c’est que l’état français, qui nous a appris qu’imprimer des faux billets est plus grave que tuer, s’avère en fait être un délinquant et un voleur encore plus monstrueux que sa marionnette ivoiro-burkinabée, puisque c’est lui qui l’a imposée par la la brutalité et la force au peuple aimable et généreux de côte d’Ivoire.

En ce moment il semble que responsables français et ivoiriens, se couvrent mutuellement pour éviter que ne se dévoile le pot aux roses du putsch commandité par la France après les faux résultats des élections présidentielles… Pas un mot sur le Français Michel Gbagbo retenu dans les geôles ivoiriennes… Pas un mot sur le retour en prison de madame Gbagbo, littéralement enlevée à la faveur d’une anesthésie pour un examen de santé : une fibroscopie, probablement exigée ou au moins suggérée par le médecin qui avait pu la voir lors de la mission onusienne enfin déléguée sur place deux ans après son incarcération.

Personne pour relayer ces faits divers de la Côte d’Ivoire « réconciliée », « émergente », avec ses 4,7 millions de diplômés, chômeurs avant leur premier emploi, et ses 7 millions de chômeurs au total, jeunes pour la plupart… Les seuls nouveaux emplois créés sont labellisés « spécial rattrapage », ainsi cette nouvelle commission dont les objectifs se superposent à la CDVR : le PNCS (Programme national de la cohésion sociale), avec à sa tête une dame du Nord, non encore remerciée pour services rendus à la rébellion, madame Mariatou Koné. « Pour ceux qui ont perdu leur logement et des biens, nous allons leur fournir une aide. Ceci est du concret pouvant consolider la cohésion sociale». Dans le cadre de son budget colossal, 7 milliards de FCFA octroyés par le gouvernement et des financements étrangers, cette dame pourra, deux ans après les massacres de Douékoué et Nahibly, proposer une aide que Charles Konan Banny, faute de moyens, n’avait pu concrétiser, sa commission figée à l’image d’un mort-né. Si toutefois les milliards ne disparaissent pas dans les poches percées des rattrapés qui ont besoin d’asseoir leur train de vie par quelques bakchichs… Il est bien sur plus facile de prendre que de donner…

Remise, par le président ivoirien Ouattara, d’un tableau de l’artiste James Houra, au ministre de l’intérieur Claude Guéant, le 6 novembre 2011 à Abidjan.

Je conclurai cette chronique en revenant sur le cadeau de Ouattara à Claude Guéant qui a terminé dans son cabinet d’avocat d’affaires, alors qu’il aurait dû enrichir le patrimoine français ! Claude Guéant, à l’école ivoirienne émergente où « ce qui est à toi est à moi », à moins que ce ne soit Ouattara à la nouvelle école française des scandales financiers et petites corruptions généralisées… Aucun journaliste ne s’est posé la question de la provenance de ce tableau de James Houra. Cadeau de Ouattara, cadeau de la république payé sur les deniers de l’état qui n’a pas d’argent pour ses chômeurs, mais peintre préféré de Laurent Gbagbo… Alors, pour revenir sur ces biens d’autrui qui ont trouvé amateur chez les amis, parents, collaborateurs, imitateurs de Ouattara, pourquoi ne pas imaginer que ce tableau était un bien personnel du « dictateur » déchu, cadeau n’ayant pas coûté un centime, et généreusement offert par Ouattara à Guéant… Après tout, Ouattara a bien payé ses mercenaires avec de la monnaie de singe…

Mais comme les français ne sont pas des imbéciles, à défaut d’avoir des matières premières, ils ont des idées ; Et Guéant est peut-être plus honnête qu’on ne le croit. Si ce tableau fait partie des biens volés, il n’était pas possible de le montrer au public. Imaginons que cette toile ait été découverte dans une galerie de peinture, reconnue par un ami, un parent du Président Laurent Gbgabo, quelle honte, quel déshonneur ! Il avait peu de chances d’être reconnu dans un cabinet d’avocats d’affaires glauques, style françafrique, dont les clients sont davantage spécialisés en mauvais coups, affaires discrètes à mener, qu’en connaissance de l’art africain…. Ceci, bien sûr, n’est qu’une supposition, je ne comprends même pas qu’elle ait pu germer dans ma tête. C’est l’histoire de la voiture volée devenue véhicule officiel de l’armée qui m’a entraînée sur cette voie du soupçon !

« Ma réputation a toujours été basée sur la véracité des faits et la crédibilité » a dit Ouattara il y a quelques jours, la main sur le cœur… Quant à son épouse, c’est l’intégrité même, elle tient à rappeler qu’elle ne se consacre qu’à la cause des enfants et des femmes défavorisés. Contrairement à son époux, elle ne se déplace jamais à l’étranger pour ses bonnes œuvres, jamais un tour au Ghana, au Togo, pour visiter les enfants ivoiriens en exil. Au Bénin, quand son mari a reçu son doctorat honoris causa, elle a pleuré avec les petits orphelins béninois, mais pas un mot, pas un geste pour les petits exilés ivoiriens…

Aujourd’hui le gouvernement a voulu honorer la Grande Chancelière qui a décoré tant de monde, à commencer par Mr le Préfet lors de son investiture, mais là encore les mensonges et les dissimulations n’ont pu être étouffés, et les étudiants asphyxiés financièrement demandent aujourd’hui des comptes à leurs dirigeants qui vivent dans l’opulence : que sont devenus les 110 milliards de la réhabilitation de l’Université ? Pourquoi y a-t-il des jardins avec jets d’eau mais pas de chasses d’eau et de toilettes ? Où sont passés les crédits pour équiper les amphithéâtres d’une sonorisation et d’un mobilier décent… Seule trace des coups de peinture de la réhabilitation : la reconversion des pots de peinture vides en sièges écologiques pour étudiants chanceux…

Côte d’ivoire émergeante, Côte d’ivoire tellement chérie et choyée par notre docteur en économie, qu’il se propose déjà de continuer la distribution des cadeaux lors d’un second mandat. Grâce à la baguette magique du rattrapage, à chaque retour de voyage, il la comble des cadeaux rapportés : promesses, paroles, assurances, certitudes… autant de mots se conjuguant avec des verbes au futur.

Une certitude : le présent est difficile, trop dur pour tous ces Ivoiriens spoliés, emprisonnés, dépouillés, exilés, sans travail ; et le « vivre ensemble » proposé, à l’image de la scène peinte sur le tableau offert à Claude Guéant, se réduit à une belle affiche de propagande pour avenir de plus en plus lointain, de plus en plus inaccessible avec ces apprentis politiciens, nazillons dont la morale ne pourrait même pas s’enseigner à l’école, tellement elle est loin de toute moralité.Combien de temps la Côte d’Ivoire pourra-t-elle encore émerger, garder la tête hors de l’eau avant de se rebeller pour de bon ?

Shlomit Abel, 13 mai 2013

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