Une «affairette» dans l’affaire ? – Pourquoi le tableau offert à Guéant par Ouattara pose problème
Par Théophile Kouamouo in Le Nouveau Courrier
L’ancien ministre de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy a « privatisé » la toile de James Houra qu’Alassane Ouattara lui a offerte en novembre 2011. Ce faisant, il a manifestement violé une circulaire gouvernementale qui régit l’utilisation des « cadeaux offerts aux membres du Gouvernement ». C’est un signe de l’incroyable confusion qui règne, entre la France et l’Afrique, sur ce qui relève des intérêts privés et des relations d’Etat à Etat.
Les bons connaisseurs de l’art ivoirien l’avaient constaté dès qu’ils avaient vu les images d’illustration de l’affaire Guéant sur les chaînes d’information en continu. Des images qui montraient notamment l’ancien ministre de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy devant une toile africaine, dans son tout nouveau – et déjà sulfureux ! – cabinet d’avocats. C’était un tableau de l’Ivoirien James Houra!
Puis, le 7 mai dernier, un article du Monde donnait plus de précisions sur l’histoire de cette peinture. « Au mur blanc, un tableau. Pas l’une de ces deux toiles d’Andries Van Eertvelt vendues 500 000 euros, comme il l’a expliqué pour justifier la trace de cette somme virée sur son compte par un « avocat malaisien ». Non, un couple africain naïf et coloré offert par le président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, à celui qui reste son ami et son complice, y compris au sein de « Guéant avocats ». Au pluriel », écrivait Ariane Chemin.
Une recherche rapide sur Internet permet d’avoir une idée des conditions dans lesquelles ce cadeau a été fait à Claude Guéant. C’était au cours d’une visite officielle en début novembre 2011. A cette occasion, celui qui était alors le premier flic de France, avait été fait commandeur de l’ordre du mérite ivoirien. Il avait offert 34 voitures de police à l’Etat ivoirien. C’est donc à un ministre français en fonction, au cours d’une visite officielle, que ce cadeau avait été fait.
Une circulaire signée des mains de François Fillon…
doc fillon
Or les dispositions hexagonales en la matière sont claires, comme le stipule une circulaire signée par François Fillon le 18 mai 2007, juste après l’élection de Nicolas Sarkozy, donc. « Les cadeaux offerts aux membres du Gouvernement ou à leur conjoint, dans le cadre de l’exercice des fonctions gouvernementales, notamment à l’occasion des visites effectuées à l’étranger ou de la réception en France de personnalités étrangères, sont, pour leurs auteurs, la manifestation de la volonté d’honorer la France. C’est donc à l’Etat qu’ils s’adressent, au-delà de la personne du récipiendaire (…) Il est par conséquent normal qu’ils n’entrent pas dans le patrimoine personnel du ministre ou de sa famille », peut-on lire. La circulaire de Fillon organise de manière minutieuse le mode de gestion de ce type de cadeaux. Le ministre doit faire enregistrer, par le service du mobilier national, le cadeau offert à lui-même ou à son conjoint. Un cadeau qui peut être laissé à la disposition du ministre tant qu’il reste en fonction, mais doit absolument être rendu au service du mobilier national dès qu’il quitte ses fonctions. Comment se fait-il donc que le tableau remis par Ouattara à Guéant se trouve dans son cabinet d’avocats, qui relève, bien entendu, de ses affaires privées ? Il y a là les apparences d’un abus de biens sociaux…
Mépris pour les dispositions légales
Au-delà de l’oeuvre de James Houra « privatisée » par Guéant, le procédé pourrait bien alimenter la polémique sur le mépris que manifeste l’ex homme-lige de la Sarkozie pour les dispositions légales et réglementaires, y compris lorsqu’elles sont rédigées par lui-même. C’est ainsi qu’après avoir écrit, en 1998, alors qu’il était directeur général de la police nationale (DGPN) une note selon laquelle les frais de police ne devaient pas être transformées en primes, il s’est lui-même payé quelques années plus tard – selon ses déclarations, de toute façon sujettes à caution – en puisant dans ces fonds particuliers.
Plus globalement, le destin du tableau de James Houra est une illustration du « confusionnisme » caractéristique de l’impérialisme français en Afrique. Est-ce à titre d’ami ou de ministre que Guéant a reçu ce cadeau ? Est-ce en tant qu’ami ou chef de l’Etat que Nicolas Sarkozy a engagé la communauté internationale dans la guerre post-électorale qui a installé son obligé au pouvoir, là où un simple recomptage des voix aurait permis de départager Gbagbo et Ouattara ? Si Guéant a reçu le tableau de Houra en tant qu’ami, est-ce à dire qu’il a offert les 32 voitures de police en tant qu’ami, mais tout de même aux frais de l’Etat français ? Est-ce en raison de leurs intérêts croisés que les graves violations des droits de l’Homme du régime d’Abidjan ont été couvertes par Paris pendant trop longtemps, et que Ouattara a été soutenu auprès des institutions de Bretton Woods malgré les signes de mauvaise gouvernance ? Dans un contexte où la presse et l’opinion publique, endoctrinée, ne manifestent en général qu’un sens critique très limité pour ce qui est des engagements de la France en Afrique, qui peut vraiment dire, à Paris, que ce n’est pas au nom des intérêts « amicaux » et non de l’intérêt supérieur de l’Etat, que certaines batailles sont menées au-delà des frontières de l’Hexagone, en Côte d’Ivoire ou en Libye ?
Par Théophile Kouamouo
Le Nouveau Courrier
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