Enquêtes et Interviews
Les bureaucrates onusiens chargés de « surveiller » l’embargo sur les armes visant la Côte d’Ivoire nous ont habitué à des rapports profondément « politiques ». Si depuis la fin de la crise post-électorale, ils servent surtout à criminaliser les cadres du FPI en exil, leur dernier rapport montre que Guillaume Soro et surtout les « comzones » sont désormais dans le collimateur d’un certain nombre d’intérêts haut placés.
Soro-FN
Comme le veut la « tradition », un seul aspect du dernier rapport du « groupe d’experts » onusiens chargé de surveiller l’embargo sur les armes et les diamants visant la Côte d’Ivoire et de vérifier l’application des « sanctions individuelles » a été commenté par la majorité des médias en fin de semaine dernière. Il s’agit des méfaits d’un « réseau politico-militaire » incrusté au coeur de l’Etat (en réalité les ex-comzones des « Forces nouvelles ») qui se livre à des crimes économiques très graves. Bon à savoir : les nombreux journalistes qui commentent les « copieux » textes produits par les Nations unies et les ONG internationales ne prennent souvent pas la peine de les lire en intégralité. Du coup, ils suivent « l’angle » mis en exergue par les agences de presse ou les journaux qui ont eu la « primeur » des documents en question. L’on se souvient qu’avant même la parution du rapport à mi-mandat du « groupe d’experts » de la mi-octobre 2012, des « fuites » savamment organisées avaient déjà fait état de ce qu’il prétendait que des liens existaient entre les cadres du FPI en exil et des djihadistes maliens d’Ançar Dine. Bien entendu, dans ce texte qui avait fait grand bruit avant d’être rendu public, comme dans celui qui vient de sortir, il y a plus à lire que ce qui est fortement médiatisé. Et qui l’est parce qu’un certain nombre de groupes de pression, au siège de la Maison de Verre à New York mais aussi à Paris, ont intérêt à ce que certaines informations, vraies, fausses ou insuffisamment vérifiées, soient rendues publiques.
Derrière le mince vernis scientifique…
Avec le temps, les observateurs les plus avisés ont appris à lire et à décrypter les rapports d’un groupe d’experts auquel sont assignés des objectifs fondamentalement politiques, au-delà du mince vernis scientifique qui recouvre sa production textuelle. Ce Comité a été créé pour donner le plus de force possible à un embargo sur les armes qui, en réalité, ne devait avoir d’effet réel que sur le gouvernement Gbagbo, étant donné que les rébellions ne peuvent se fournir légalement en armes et s’appuient « naturellement » sur des Etats-parrains, qui se chargent de le leur en procurer. En l’occurrence, le Burkina Faso, fournisseur « officiel » des Forces nouvelles, n’a jamais été inquiété le moins du monde. Ce qui signifiait que l’embargo ne devait avoir aucun effet sur la rébellion d’alors. Les sanctions individuelles, aussi, avaient été « pensées » contre Gbagbo et ses proches. Ils ont été six à être touchés, au plus haut niveau de l’Etat et de l’appareil politique anciennement au pouvoir, tandis que seul Martin Fofié Kouakou, un chef de guerre de Korhogo n’ayant de toute façon aucune intention de voyager ou de placer des avoirs à l’étranger, était épinglé du côté des rebelles ouattaristes. Les analystes ont été particulièrement édifiés lorsqu’un rapport des « experts » devant paraître en septembre 2010, affirmant que la réunification du territoire était un leurre et pointant le rôle trouble du Burkina Faso ainsi que le réarmement des FDS et des Forces nouvelles, dont certaines unités étaient « mieux équipées » que celles de l’armée régulière, a été « bloqué » pendant plus de six mois. Avant de paraître le 27 avril 2011, une fois que le « travail » contre Gbagbo était terminé.
De nombreux noms de « pro-Gbagbo jetés en pâture dans une Côte d’Ivoire où la torture est reine…
Depuis la chute du régime contre lequel l’embargo et les sanctions individuelles avaient été mis en oeuvre, le Groupe d’experts semble avoir trouvé une nouvelle « vocation » politique. « Surveiller » et « criminaliser » au maximum les cadres du FPI en exil, pour « prévenir » une éventuelle rébellion contre Ouattara. Il s’est ainsi fait une spécialité de recycler pour les accréditer des « informations » et des relevés d’écoutes téléphoniques fournis par les services d’Hamed Bakayoko, ministre de l’Intérieur d’Alassane Ouattara dont les méthodes manipulatoires sont connues de tous en Côte d’Ivoire. Une chose est sûre : en dépit de ses méthodes discutables, le Comité d’experts parvient à justifier, par ses « révélations », le refus de la mise en liberté provisoire du président Gbagbo et la batterie de sanctions onusiennes et européennes contre les cadres du FPI en exil. Dans son dernier rapport, il continue de « valider » le travail accusatoire des services de renseignements dirigés par Hamed Bakayoko. Et à jeter en pâture les noms d’un certain nombre de responsables en exil. Il évoque, sans preuves matérielles, l’existence de cinq « factions » prétendument radicales ayant la ferme intention de renverser Ouattara par les armes et qui seraient dirigées respectivement par le colonel Alphonse Gouanou, Damana Pickass, Didier Goulia (alias « Roger Tikouaï), le commandant Jean-Noël Abéhi (aujourd’hui aux mains du régime) et Major Bamba. Les noms du porte-parole du président Gbagbo Justin Katinan Koné, de son avocate Lucie Bourthoumieux, de l’ancien ministre Touré Amara, du pasteur Moïse Koré sont jetés en pâture… comme pour accentuer la pression sur les autorités ghanéennes, à la fois caressées et considérées avec suspicion. Le jeune patriote Serge Koffi alias « Anaconda » est également cité. Il aurait été arrêté en février 2013. Un prétendu « commandement tactique » en Côte d’Ivoire est aussi évoqué – et les noms des lieutenants Péhé « alias Emmanuel », qui serait le fils du colonel Katé Gnatoa, et Fabrice Bawa, sont cités. Blé Hervé alias « Gédéon », cité par le régime Ouattara comme le « cerveau » de l’attaque d’Akouédo, a été « tué », si l’on en croit les « informations » fournies par Hamed Bakayoko au « Groupe d’experts », qui se garde bien de citer ses sources sur un certain nombre de sujets. Le colonel Dadi, le maréchal KB, un certain « commissaire Loba » (sans autre précision) sont cités. Alors que l’ONU et les grandes organisations de défense des droits de l’Homme ont établi qu’en Côte d’Ivoire la torture régnait en maîtresse, cette légèreté dans des mises en accusation à la fois nominales et floues et cette « confiance » placée dans le dispositif répressif d’un pouvoir qui fait parler les prisonniers en les électrocutant, laissent songeur…
De graves accusations contre Guillaume Soro
En son point 26, le Groupe des experts écrit une phrase qui fait l’effet d’une bombe : « Au moment de l’attaque du camp militaire d’Akouédo, le 6 août 2012, le Groupe d’experts a reçu des informations fiables sur les contacts établis entre le commandement militaire de l’aile radicale du mouvement pro-Gbagbo au Ghana et de hauts représentants des ex-Forces nouvelles, notamment leur ancien Secrétaire général, Guillaume Soro, actuellement Président de l »Assemblée nationale, et son proche conseiller et Directeur du protocole, Kamagaté Souleymane, alias « Soul to Soul ». Cette phrase est-elle le signal qui marque le début du « déboulonnage », ou de la tentative de « déboulonnage » de l’actuel président de l’Assemblée nationale, qui est visé de manière quasi-directe ? On attend les dénégations de Guillaume Soro. Niera-t-il tout en bloc ? « Livrera »-t-il « Soul II Soul » ? Une chose est sûre : le fait que ce rapport arrive quelques mois après des confidences de Damana Pickass selon lesquelles Soro fait une cour assidue aux pro-Gbagbo en exil la nuit, après avoir prôné le radicalisme parmi les pro-Ouattara le jour, accroîtra le malaise.
Les ex-rebelles ivoiriens ont-ils des relations avec Boko Haram ?
Les experts de l’ONU évoquent des « armes saisies à la frontière entre le Niger et le Nigeria », où le groupe terroriste Boko Haram est particulièrement actif. « Le Groupe d’experts a été informé que, le 12 mai 2012, la frontière entre le Niger et le Nigeria, les autorités nigériennes avaient saisi un lot d’armes et de munitions comprenant un lance-roquettes RPG-7, deux mitrailleuses légères, 19 fusils díassaut, un fusil à culasse mobile, un fusil de chasse de calibre 12 et 1 500 cartouches de munitions (de 7,62 x 39 mm et 7,62 x 54 mm principalement). Deux nationaux nigérians et un Ivoirien de Bouaké, qui transportaient les armes et les munitions, ont été arrêtés. Il apparaît, après analyse, que les armes et munitions saisies s’apparentent à celles qui sont le plus répandues en Côte d’Ivoire. En effet, la présence de 14 des 16 types de munitions de 7,62 x 39 mm saisis a déjà été signalée en Côte d’Ivoire. De plus, les deux fusils d’assaut AK-47 et le lance-roquettes RPG-7 avaient des caractéristiques communes avec les armes qu’utilisaient les Forces nouvelles. Les numéros de série avaient été effacés mécaniquement, comme c’est le cas de nombreuses armes trouvées dans le nord de la Côte d’Ivoire. Pour le Groupe d’experts, cette saisie, ajoutée à celles qui ont été effectuées aux frontières entre la Côte d’Ivoire et le Mali, indique qu’il existe probablement des réseaux de trafic d’armes et de munitions en provenance de la Côte d’Ivoire. Bien qu’il s’agisse de petites quantités, c’est un fait inquiétant eu égard à la crise qui se poursuit dans le Sahel et aux répercussions qu’elle pourrait avoir dans le nord de la Côte d’Ivoire », peut-on lire dans le rapport. Autrement dit, les activités délictueuses des comzones de Guillaume Soro relèvent de ce que l’on appelle en anglais les « global concerns », qui peuvent avoir des répercussions sur d’autres pays. A surveiller de très près, donc ! L’on remarquera également que dans ce dernier rapport, les liens entre l’ex-rébellion et Moustapha Chafi, un ressortissant mauritanien ayant l’oreille de Blaise Compaoré et accusé par la justice de son pays de liens avec Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI), sont mis en avant. « D’après les informations dont dispose le Groupe, au cours de la crise post-électorale, les Forces nouvelles auraient reçu des quantités importantes d’armes et de munitions en violation du régime des sanctions. L’opération aurait été le résultat des activités de courtage menées par Moustapha Chafi, ressortissant mauritanien, avec l’appui d’un ressortissant soudanais identifié par le Groupe. Le matériel aurait été transporté par avion du Soudan au Burkina Faso », est-il écrit. On remarquera par ailleurs que l’hypocrisie est à son comble dans la mesure où l’ONU a soutenu à fond les rebelles lors de la crise post-électorale…
Qui veut la peau des comzones ?
Dans son rapport, le « Groupe des Experts » demande subtilement « la peau » d’un certain nombre d’ex-Comzones. Les noms de Fofié Kouakou, de Koné Zakaria, d’Issiaka Ouattara dit « Wattao », de Hervé Ouattara dit « Vétcho » sont nommément cités comme ayant violé le droit international humanitaire. Leur « immunité » est critiquée. La « lenteur » des procédures judiciaires contre eux est dénoncée. L’emprise de leur « réseau », décrit comme une véritable mafia prédatrice qui ne cesse d’étendre ses tentacules, est présentée comme un vrai sujet de préoccupation. Alassane Ouattara est couvert d’éloges, ils sont agonis d’anathèmes.
Dans la mesure où les rapports du « Groupe des Experts » sont assez largement contrôlés par le Conseil de sécurité de l’ONU, et surtout par la « Nation tutrice » de la Côte d’Ivoire (la France), quel signal ce texte, et « l’angle » retenu par les grandes agences de presse, donnent-ils ? Les caisses de l’Etat ivoirien s’assèchent, en partie parce que les régies financières n’arrivent pas à réaliser leurs objectifs, notamment en raison des prédations du « réseau politico-militaire » qui « détourne » des centaines de milliards de FCFA. Si l’Etat ivoirien n’arrive pas à collecter les sommes qui doivent être « recyclées » dans le cadre du Contrat désendettement développement (C2D), ce sont les entreprises françaises, qui comptent sur le Trésor public ivoirien pour réinvestir « la place », qui sont pénalisées. C’est tout le projet de « reconquête » de la Côte d’Ivoire qui est mis en danger. Le rapport des « experts » est le signe d’une volonté de mettre « de côté » un certain nombre de figures des Forces nouvelles. Dont l’utilité est devenue marginale et qui peuvent toujours se retourner contre l’homme qu’elles ont mis au pouvoir, si on leur enlève le pain de la bouche !
Théophile Kouamouo
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