L’avocat de Laurent Gbagbo risque 30 000 euros d’amende

Dossier/ L’avocat de Laurent Gbagbo entendu par la CPI. Il risque 30 000 euros d’amende

Altit

Le Comité de discipline a tenu publiquement le vendredi 19 avril dernier à la CPI une audience dans le cadre d’un différend entre deux conseils exerçant devant la Cour : Maitre Nicholas Kaufman et Maitre Emmanuel Altit, en lien avec l’affaire à l’encontre de Callixte Mbarushimana.

M. Kaufman se référant à l’article 28 du Code de conduite professionnelle des conseils concernant les rapports avec des personnes déjà représentées par un conseil avait porté plainte contre l’avocat de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo pour démarchage.
Les faits :

Maitre Nicholas Kaufman et Maitre Emmanuel Altit sont deux conseils exerçant devant la Cour, donc qui ont prêté serment conformément à l’article 5 du code de conduite professionnel des avocats :
« Avant de prendre ses fonctions, le conseil prend devant la Cour l’engagement solennel suivant: «Je déclare solennellement que je remplirai mes devoirs et exercerai ma mission devant la Cour pénale internationale avec intégrité et diligence, honorablement, librement, indépendamment, promptement et consciencieusement, et que je respecterai scrupuleusement le secret professionnel ainsi que les autres devoirs imposés par le code de conduite professionnelle des conseils auprès de la Cour pénale internationale». »
Seulement, Me Emmanuel Altit un chevronné des barreaux occidentaux enfreindra à une des règles les plus élémentaires de la déontologie des métiers d’avocat : « Ne pas piquer le client de son confrère ».
En effet, C’est le 25 janvier 2011 que le prévenu M. Callixte Mbarushimana désigne Me Nicholas Kaufman (NICK) comme son conseil devant la CPI. A l’époque, Me Emmanuel Altit qui bien qu’inscrit à la Cour, n’avait encore rien sous la dent. Lorsque la guerre postélectorale éclate en Côte d’Ivoire et qu’il se murmure à la CPI d’un éventuel procès de l’ex président ivoirien arrêté le 11 avril 2011 puis déporté à Korhogo autour du 20 avril, l’avocat français prend attache avec des proches de la famille Gbagbo. Et comme un fruit mûr, il rencontre la seconde épouse de Gbagbo, Nady Bamba à qui il propose ses services. C’était courant mai 2011. Celle-ci lui donne son accord de principe. Avec cet accord tacite, Altit tente de rentrer en contact avec son prochain client depuis Korhogo mais en vain. Lorsque le procureur obtint l’autorisation d’ouvrir une enquête sur la situation en Côte d’Ivoire au mois d’octobre, Altit est presque sûr que son présumé client sera bientôt à la Haye. Et quand Laurent Gbagbo est transféré à la Haye le 29 novembre 2011, Emmanuel Altit aurait déjà indiqué avec l’accord a lui donné par Nady Bamba, à la Cour que c’est bien lui, le Conseil de Gbagbo. Officiellement, Me Altit devint l’avocat de Gbagbo le 29 novembre 2011 et sa première plaidoirie a eu lieu le 5 décembre 2011 lors de l’audience de comparution initiale de l’ex président ivoirien.

Le problème.

Alors que M. Callixte Mbarushimana détenu à la Haye pour crime contre l’humanité dans la situation congolaise attendait son audience de confirmation des charges, et alors que celui-ci avait déjà désigné Me Nicholas Kaufman comme son avocat, Emmanuel Altit qui était en attente du dossier Gbagbo va formuler une demande de visite qu’il obtiendra en octobre 2011 pour rencontrer le détenu Callixte Mbarushimana à la prison de Scheveningen. Dans sa demande, l’avocat se passe pour un ami très proche du détenu. Me Altit échangera longuement avec Callixte autour de sa défense.
Après cette première visite, une deuxième visite est programmée pour le 28 novembre 2011.
Entre temps, Me Nicholas Kaufman a eu le temps de revoir son client qui n’a pas manqué de lui parler des propositions a lui faites par son confrère Emmanuel Altit. Une information qui mettra NICK dans tous ses états. Celui-ci interpellera Altit conformément à l’article 28 du code de conduite professionnelle : « Rapports avec des personnes déjà représentées par un conseil : Le conseil ne peut pas s’adresser directement au client d’un autre conseil à moins de passer par l’intermédiaire dudit conseil ou d’avoir obtenu son consentement. »
Finalement, Altit renoncera à la deuxième visite après la plainte de son confrère qui n’a pas manqué de porter l’affaire devant la Cour via le comité de discipline. Début janvier 2012, le comité de discipline diligente une enquête et fixe une première confrontation entre les deux conseils dans le deuxième semestre de 2012. Seulement Me Emmanuel Altit qui avait désormais l’une des plus grosses affaires de l’histoire de la CPI « affaire Laurent Gbagbo » usera de son droit a lui conféré par la Cour pour interjeter sa rencontre avec NICK « Article 40. Alinéa 4. Droits du conseil faisant l’objet de la procédure disciplinaire… Le conseil mis en cause dispose du temps nécessaire pour préparer sa défense ».
Selon plusieurs sources proches de cette affaire, Altit aurait trouvé un arrangement avec Me Kaufman afin que cette affaire ne s’ébruite pas mais aussi soit traitée après l’audience de Gbagbo. D’autres sources avancent même que Altit aurait proposé assez d’argent pour acheter le silence de ce dernier. On comprendra aisément pourquoi la défense du président Laurent Gbagbo insistait tant sur l’aide judiciaire a lui accordée par la CPI dans le dossier Gbagbo.
Me Altit et la CPI

Me Altit lui-même le sait, il n’est pas toujours le bienvenu à la CPI. Selon une source proche de la CPI, la Cour lui reprocherait sa roublardise et son manque d’honnêteté.
Aussi, la Cour, soucieuse de son intégrité et son impartialité aurait attendu que Altit épuise toutes ses cartes en matière de recours et juste après l’audience de Gbagbo pour épingler enfin le bouillant avocat de l’ex président ivoirien au terme de l’article 31. « Faute professionnelle. Un conseil commet une faute professionnelle lorsqu’il: a) enfreint ou tente d’enfreindre l’une des dispositions du présent code, du Statut, du Règlement de procédure et de preuve et du Règlement de la Cour ou du Greffe en vigueur lui imposant une importante obligation éthique ou professionnelle ».
Mais si cette audience devrait avoir lieu tôt ou tard, Me Emmanuel Altit sera surpris par sa communication au grand public.
Ce que risque Me Emmanuel Altit

A) Décisions du Comité de discipline

Joint au téléphone le porte parole de la CPI nous informera que le Comité de discipline rendra sa décision de façon publique en temps voulu. « Article 41.Décisions du Comité de discipline :
1. Le Comité de discipline peut mettre fin à la procédure sans conclure à l’existence d’une faute professionnelle au regard des preuves qui lui auront été soumises, ou peut conclure que le conseil mis en cause a effectivement commis la faute professionnelle qui lui est reprochée.
2. La décision est rendue publique. Elle est motivée et publiée par écrit.
3. La décision est notifiée au conseil mis en cause et au Greffier.
4. Lorsque la décision est définitive, elle est publiée au Journal officiel de la Cour et transmise à l’autorité nationale. »

B) Sanctions.
« Article 42. Sanctions.
1. Lorsque la faute professionnelle est avérée, le Comité de discipline peut prononcer les sanctions suivantes:
a) avertissement;
b) blâme public avec inscription au dossier;
c) paiement d’une amende pouvant s’élever à 30 000 euros;
d) suspension du droit d’exercer devant la Cour pendant une période n’excédant pas deux ans;
e) interdiction définitive d’exercer devant la Cour avec radiation de la liste des conseils.
2. L’avertissement peut être assorti de recommandations du Comité de discipline.
3. Les dépens sont à la discrétion du Comité de discipline.

C) Appel
« Article 43. Appel
1. Le conseil sanctionné et le Commissaire ont le droit d’interjeter appel de la décision rendue par le Comité de discipline en invoquant des points de fait ou de droit.
2. L’appel est notifié au secrétariat du Comité de discipline dans un délai d´un mois à compter du prononcé de la décision.
3. Le secrétariat du Comité de discipline communique le dossier d’appel au secrétariat du Comité disciplinaire d’appel.
4. Le Comité disciplinaire d’appel se prononce sur l’appel selon la procédure suivie devant le Comité de discipline. »
Enfin notons que le Code de conduite professionnelle des conseils issu de la Résolution ICC-ASP/4/Res.1 a été adopté par consensus à la troisième séance plénière, le 2 décembre 2005 par L’Assemblée des États Parties.
« Considérant la règle 8 du Règlement de procédure et de preuve,
Considérant la disposition 3 de la règle 20,
Considérant les consultations qu’a eues le Greffier avec les organisations indépendantes représentatives d’associations d’avocats ou de conseillers juridiques,
Reconnaissant les principes généraux régissant la pratique et la déontologie de la profession juridique,
Rappelant la résolution ICC-ASP/3/Res.3, du 10 septembre 2004, dans laquelle l’Assemblée des États Parties a demandé à son Bureau d’établir une version modifiée du projet de code pour adoption par l’Assemblée à sa quatrième session,
Considérant le rapport du Bureau sur le projet de code de conduite professionnelle des conseils soumis conformément à la résolution susmentionnée,
Décide d’adopter le texte du code de conduite professionnelle des conseils figurant en annexe à la présente résolution.
Le présent code s’applique aux conseils de la défense, aux conseils représentant les États, aux amici curiae, ainsi qu’aux conseils ou mandataires en justice des victimes et des témoins exerçant leurs fonctions à la Cour pénale internationale, dénommés ci-dessus «les conseils». »

De Philippe KOUHON/ pkouhon@gmail.com

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