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Dans l’ombre d’al-Qaida s’est développée depuis le 11 Septembre sur le territoire américain une mouvance libertarienne ultra-violente. Récit.
Par Michel Revol
En 13 secondes, les deux explosions qui ont frappé lundi le marathon de Boston ont fait renaître chez les Américains le traumatisme du 11 septembre 2001. D’ailleurs, la Maison-Blanche ne s’y est pas trompée en dénonçant immédiatement un « acte terroriste ». Mais si la piste islamiste est évoquée par la police, une autre hypothèse revient fréquemment : celle d’un « ennemi de l’intérieur », autrement dit des groupuscules américains d’extrême droite. Dans l’ombre de la menace liée à al-Qaida, ces mouvements se sont considérablement développés sur le territoire américain depuis le 11 septembre 2001.
D’après la New America Foundation, un think tank spécialisé dans les questions de sécurité nationale, les militants d’extrême droite auraient même fait plus de victimes que les islamistes : 29 Américains tués contre 17 abattus par des djihadistes, révèle le site de CNN. En 2012, 15 militants d’extrême droite ont été inculpés pour leur rôle dans des assassinats politiques ou des attaques idéologiquement motivées. En comparaison, six militants d’al-Qaida ont été inculpés pour terrorisme aux États-Unis la même année.
« Terroristes américains »
Qui sont ces « terroristes américains » ? « Il ne s’agit pas d’organisation ou de parti politique, mais d’une mouvance libertarienne et antifédérale composée de militants politiques, dont certains ont recours à la violence extrême », explique au Point.fr Vincent Michelot (1), directeur des relations internationales à Sciences Po Lyon. « Dans certains segments de l’électorat (républicain), cet activisme peut déboucher sur la formation de milices citoyennes », ajoute ce spécialiste de l’histoire politique des États-Unis.
Leur principal fait d’armes, l’attentat d’Oklahoma City. Le 19 avril 1995, un sympathisant du Mouvement des miliciens (mouvance d’extrême droite à tendance paramilitaire, NDLR) nommé Timothy McVeigh, détruit à l’explosif un bâtiment fédéral dans le centre-ville. 168 personnes périssent, plus de 680 sont blessées, soit l’attentat le plus destructeur aux États-Unis jusqu’au 11 septembre 2001. L’année suivante, le 27 juillet 1996, Eric Robert Rudolph, militant anti-avortement, fait exploser une bombe artisanale remplie de clous dans le parc olympique du Centenaire, en marge des Jeux olympiques d’Atlanta. Une femme est tuée, cent onze personnes blessées.
Attentats déjoués
Depuis, ces extrémistes s’étaient fait relativement discrets. « C’est que plusieurs dizaines d’attentats ont été déjoués par la police », souligne Vincent Michelot. En 2003, des agents fédéraux découvrent à Tyler, au Texas, une bombe contenant près d’un kilogramme de cyanure au domicile des suprématistes blancs Judith Bruey et son mari William Krar. Soit assez, selon la police, « pour effacer toute trace de vie humaine dans une grande librairie ». Huit ans plus tard, en janvier 2011, des agents de la ville de Spokane, dans l’État de Washington, découvrent un sac à dos suspect laissé à l’abandon sur le parcours de la parade Martin Luther King Jr. Le suprématiste blanc Kevin Harpham y a caché une bombe remplie de plombs de pêche recouverts de mort au rat.
« L’extrême droite américaine n’a jamais disparu », affirme au Point.fr Stéphane François (2), historien et politologue spécialiste de l’extrême droite. « Elle a évolué, mais elle reste fidèle à ses discours et à ses thèmes. Elle condamne toujours l’État centralisé, le melting-pot, l’homosexualité, la décadence des moeurs en général, l’invasion des immigrés. » L’élection en 2008 du premier président noir de l’histoire des États-Unis accentue le phénomène.
Séparatisme blanc
« En 2008, on dénombrait environ 250 mouvements aux États-Unis. En 2012, on en compte plus de 1 300, soit une augmentation de 750 % », souligne Stéphane François. Nombre de partisans récusent toute légitimité à Barack Obama, dont ils remettent en cause le certificat de naissance. Les plus radicaux évoluent même vers le séparatisme blanc. Ils n’hésitent plus à s’installer à l’écart des villes pour vivre « entre Blancs ». Leur philosophie : « survivre en milieu hostile ».
Naturellement, la radicalisation s’accompagne d’une hausse spectaculaire des faits de violence. Selon la New America Foundation, 53 militants d’extrême droite ont été inculpés entre 2008 et 2012, contre seulement 9 pour la période 2002-2007. Des attaques certainement favorisées par l’émergence sur la scène politique d’une nouvelle formation qui leur est idéologiquement proche : le Tea Party. Un parti radical libertarien mais pacifiste, créé au moment de la crise financière de 2008 et aujourd’hui retombé dans l’oubli.
La cuisante défaite du camp républicain à la dernière présidentielle pourrait profiter aux mouvances les plus radicales de droite. « Nous sortons d’une campagne électorale tendue avec une polarisation idéologique forte, qui a laissé une frange républicaine désespérée », rappelle ainsi Vincent Michelot.
Rien pour l’instant ne permet de désigner ces extrémistes comme les coupables de ce dernier carnage. Mais le marathon de Boston apparaît comme une cible idéale, car symbolique à plus d’un titre : c’est la plus multiculturelle des épreuves sportives des États-Unis, organisée un 15 avril, date limite du versement de l’impôt fédéral, à l’occasion du Patriot’s Day, journée commémorant le début de la guerre d’indépendance, et dédiée aux victimes de la tuerie de Newtown, une tragédie qui a poussé Barack Obama à vouloir restreindre la loi fédérale sur le port d’armes.
(1) Vincent Michelot, a publié en mars 2013 J.F. Kennedy (Gallimard poche).
(2) Stéphane François, enseignant à l’Ipag de Valenciennes, chercheur rattaché au GSRL (EPHE/CNRS) et à l’IDPSP (Rennes I).
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