par Moussa TOURE
blogguillaumesoro.com
Que trouve-t-on de pittoresque à Yamoussoukro, à part la monumentale Basilique Notre dame de la Paix, la Fondation Félix Houphouët-Boigny, les carcasses de Mi-24 désossés à la décharge de dioulabougou ?
Les caïmans pardi ! En fait, je ne sais pas trop si ce sont des crocodiles, des caïmans, des alligators, des gavials ou leurs cousins du même genre. Ce qui est sûr, ils ont deux caractéristiques : ce sont des sauriens et… des ingrats ! Oui, des ingrats ! Imaginez vous que ces animaux ont été importés d’Amérique du Sud (tous frais payés, ils n’ont même pas payé le transport !) par le défunt président Houphouët-Boigny pour peupler le lac entourant sa résidence. Ces animaux profitaient de la célébrité et de la fortune de leur protecteur. Nourris tous les jours à 17 heures avec de gros morceaux de poulets ou des quartiers entiers de viande rouge, ils ont également profité de leur statut privilégié (n’est pas caïman d’Houphouët qui veut, quand même !) pour avoir une reconnaissance internationale. Ainsi, un prix Nobel de Littératures, l’écrivain britannique Sir Vidiadhar Surajprasad Naipaul leur a consacré une nouvelle entière intitulée « Les Crocodiles de Yamoussoukro » dans le recueil « Sacrifices » (1984). Mieux, ces animaux réputés à sang froid ont même leur propre page Wikipedia pour soigner leurs relations publiques et entretenir leur image. Ils avaient tout : célébrité internationale, fans clubs, auteurs dévoués, cartes postales à leur effigie et ils figuraient même dans les livres de Géographie ou de SVT de nos enfants.
Qu’est-ce qui leur a pris donc cet après midi du 20 août 2012 pour qu’ils piquent un coup de sang et se jettent sur leur gardien, le vieux Dicko Toké, pour en faire leur casse-croûte ? Ils connaissaient pourtant le vieil homme qui les a nourris, blanchis, soignés pendant 36 ans ! Ils le connaissaient par sa silhouette et le reconnaissaient à son odeur. Pour quoi l’ont-ils tué alors qu’il n’avait adopté aucune posture qui mettait en péril leur vie ou leur sécurité ?
Une seule explication : c’est leur nature. Faites-leur faire tout le bien du monde, il est inscrit dans leurs gênes qu’ils chercheront à vous tuer dès qu’ils en auront l’occasion. Ils sont génétiquement programmés pour être ingrats. C’est plus fort qu’eux.
Ces animaux me font penser à quelqu’un qui, lui-même, se faisait appeler animal de brousse. Vous l’aurez reconnu : il s’agit de Laurent Gbagbo. Il le disait dans le temps pour railler Alassane Ouattara qu’il comparait à un animal de ville qui ne connaît pas les lois de la jungle. Laurent Gbagbo lui c’était l’animal de brousse qui, faisait-il croire, était ataviquement préparé pour la vie en brousse, la survie dans la jungle de la politique. Quand on est un animal et qu’on veut en finir (politiquement s’entend) avec quelqu’un comme Houphouët-Boigny qui aime les crocodiles, eh bien, il faut adopter une attitude de crocodile. C’est tout simple.
Quand Laurent Gbagbo a perdu la guerre, le premier réflexe des vainqueur a été de le mettre à l’abri, de le choyer, de ne pas en rajouter à l’humiliation de sa défaite en le traitant avec dignité et humanité.
Je vous raconte quelques faits anecdotiques aujourd’hui. Quand il est arrivé au Golf avec les 127 personnes qui étaient avec lui dans le bunker, dire qu’il était affamé est un euphémisme. Alassane Ouattara a ordonné que la seule ration alimentaire disponible ce jour-là soit entièrement distribuée à Gbagbo et à ses proches. Personne : Président de la République, Premier ministre, ministre, soldats, civils…, personne dis-je n’a mangé. Pour que Gbagbo et les siens puissent être rassasiés. Guillaume Soro a déménagé de la suite qu’il avait au Golf pour que Gbagbo et Simone s’y installent. Il s’est installé dans une chambre simple. Les autres personnalités ont été vidés de leur chambre pour que le clan Gbagbo puisse avoir des endroits où se reposer au frais. Pour éviter que l’ancien chef d’Etat ne soit obligé de porter qu’une seule chemise et un seul pantalon, Guillaume Soro a remis 2 millions de francs à un de ses collaborateurs pour qu’il aille rapidement acheter des vêtements pour Gbagbo et son épouse, à Treichville. Les témoins sont tous vivants. Tenez, une anecdote qui fera rire beaucoup d’entre vous. Nady Bamba qui avait fui la Côte d’Ivoire juste avant la chute de son époux, appelait chaque jour Guillaume Soro en pleurant pour pouvoir parler à son mari. L’ancien Premier ministre décide qu’il n’y a aucun mal à ce qu’elle parle à son époux. Il va vers Gbagbo, lui chuchote à l’oreille que Nady veut lui parler. Aussitôt ses yeux brillent, il se saisit du cellulaire, fonce dans la douche et s’enferme à double tour pour pouvoir murmurer des mots d’amour à sa dulcinée, pendant que Simone est dans la chambre, toute proche. Pour ne pas qu’elle surprenne la conversation entre les deux tourtereaux, on fait mettre un garde pour l’empêcher d’entrer dans la douche.
Guillaume Soro, après avoir réuni les enfants, petits enfants, belles-filles, beaux-fils, cousins, cousines, nièces et neveux de Gbagbo, va voir l’ancien chef d’Etat pour lui annoncer son intention de les remettre en liberté, parce qu’ils ne sont coupables de rien. Gbagbo rejette cette idée, en disant qu’il n’est pas sûr qu’ils soient en sécurité à l’extérieur. Et comme il n’est pas question de les garder en détention, on tombe d’accord qu’il faut les emmener hors d’Abidjan, dans un endroit que personne ne soupçonne et où ils seront protégés. C’est ainsi que la décision est prise de les conduire clandestinement à Grand-Bassam, au quartier Moossou dans la résidence que Simone Gbagbo se faisait bâtir. Ils y ont été conduits discrètement, un détachement armé a été mis à leur disposition pour leur protection. Et leur alimentation, leur habillement, leurs soins étaient entièrement pris en charge par Guillaume Soro qui agissait selon les instructions du Président de la République. Jusqu’à ce qu’ils expriment le désir de quitter la Côte d’Ivoire pour aller aux USA, en Grande Bretagne, au Canada, au Ghana ou tout simplement dans la région de Gagnoa.
Quand Gbagbo a quitté l’hôtel du Golf pour Korhogo, il a été logé dans la résidence réservée au Chef de l’Etat. Mais savez-vous qu’il a eu le culot de se plaindre que la climatisation n’y était pas assez forte ? Guillaume Soro a alors ordonné que l’on déménage l’ancien Chef d’Etat dans sa résidence personnelle de Korhogo ! Ainsi Gbagbo Laurent s’est couché dans le lit de Soro, sur ses draps, a puisé à satiété dans son réfrigérateur, a porté ses peignoirs… Le commandant Fofié Kouakou Martin, qui avait la responsabilité de la sécurité de l’ancien chef d’Etat, était pour ainsi dire, sur les braises.
Il a mis à sa disposition un cuisinier, un maître d’hôtel, un blanchisseur. Le « prisonnier » faisait son menu chaque matin et le pauvre Commandant Fofié était tenu de donner chaque jour l’argent de la popote, sur ses deniers propres, pour qu’il mange exactement ce qu’il avait commandé. Disons-le : Gbagbo en résidence surveillée, mangeait mieux et dormait mieux que ceux qui étaient chargés de le protéger. Il dormait au « fréon » tandis que les gardes dormaient dans le froid et les moustiques. Il avait des repas spéciaux préparés par un cuisinier dédié. Les gardes mangeaient du pain et de la sardine. A Korhogo, on a autorisé Fofié à lui passer Nady Bamba au téléphone, chaque fois qu’elle voulait lui parler. Et chaque fois, qu’elle pleurnichait, en répétant « mon frère, pardon, laisse-moi parler à mon mari, fais à cause de Dieu », on lui passait Gbagbo au téléphone pour qu’elle puisse lui remonter le moral.
Et tenez-vous bien, quand il s’est plaint du manque d’exercice, car on lui interdisait d’aller faire des promenades dans les rues de Korhogo comme il le souhaitait, Fofié Kouakou Martin a fait venir d’Abidjan, à ses frais, des appareils de musculation et de remise en forme. Ces appareils sont encore là, avec les factures d’achats.
Le Premier ministre Jeannot Ahoussou Kouadio, alors ministre de la Justice, lui emmenait tous les livres dont il avait fait la liste et qu’il voulait lire.
A Korhogo, Gbagbo a tout eu, sauf bien entendu, les femmes. Peut-être a-t-il considéré cela comme un casus belli…
Toujours est-il que quand il est arrivé à la Haye, en reconnaissance de tout le bien qu’on lui avait fait, il a déclaré aux Juges le mardi 6 décembre 2011 : «J’étais logé dans une maison : lit, moustiquaire, douche, deux repas par jour à ma demande parce qu’on m’avait proposé trois. Donc, le problème n’était pas là mais je ne voyais pas le soleil et je ne savais ce qui se passait dans le ciel que quand il pleuvait sur le toit. Je ne voyais pas le soleil. J’ai vu le soleil les quelques rares fois où mes avocats sont venus. »
Quand les gens ont entendus ça à Korhogo et à Abidjan, tout le monde a eu la même phrase à la bouche : « vraiment, l’homme-là est ingrat comme crocodile de Yamoussoukro ».
Moussa TOURE
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