Côte d’Ivoire – Déjà deux ans de démocratie à l’arme lourde…

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Déclaration de l’AIRD à l’occasion du 2ème anniversaire du 11 Avril 2011

11 avril 2011 – 11 avril 2013. Déjà deux ans déjà. Deux ans que la démocratie à l’arme lourde a disloqué des familles, a contraint des centaines de milliers de personnes à emprunter le chemin rocailleux de l’exil extérieur mais aussi intérieur, a endeuillé des régions entières, a mis un coup de frein à l’avenir d’une bonne frange de la jeunesse ivoirienne, a mutilé des hommes et des femmes. Deux ans où peu de discours officiels paraissent crédibles ou audibles, éclaboussés par le passé de leurs auteurs. Deux ans déjà que plus de la moitié de la population ivoirienne a perdu le sourire sur cette «terre d’espérance». Deux ans que la «patrie de la vraie fraternité» que nous rêvions de «forger, unis dans la foi nouvelle» n’est qu’un lointain souvenir.

Deux ans d’emprisonnements sans jugement, ni faute avérée pour la plupart si ce n’est celle d’avoir choisi la Constitution, deux ans d’une justice des vainqueurs qui laissera de grosses plaies sur le visage de la nation. Deux ans durant lesquels la pauvreté s’est accrue pendant que les passations de marchés continuent en dehors des règles existantes, pénalisant ainsi des PME nationales dont de surcroît les dettes envers l’Etat ne sont toujours pas payées, l’insécurité s’est généralisée avec le soutien de l’état aux « dozos », les préoccupations sociales des syndicats sont traitées avec mépris. Deux ans d’une politique d’exacerbation de la cohésion sociale, d’expropriations des paysans et des cadres par un régime pourtant ultra libéral par ailleurs. Deux ans que les organisations de défense des droits de l’homme prêchent dans le désert et questionnent à présent de nombreux soutiens internationaux, etc.

Deux ans! Aucune voix dans le camp des vainqueurs n’a pu dire «assez, nous sommes frères et sœurs». Même pas celle de celle qui se reconnaîtra ici.
En ce jour du souvenir, l’Alliance Ivoirienne pour la République et la Démocratie (AIRD), membre fondateur du Congrès National de la Résistance pour la Démocratie (CNRD) salue le courage militant et la constante posture d’homme d’état du président Laurent Gbagbo, son candidat à la dernière élection présidentielle.

Dans les négociations de l’opposition ivoirienne avec le pouvoir, l’AIRD, en liaison avec de hauts cadres LMP, tout en travaillant à la cohésion au sein du CNRD, s’est également constamment tenue en relation avec le FPI dont nous remercions les dirigeants pour leur coopération militante. Et c’est ensemble que nous avons décidé de ne pas participer à des élections législatives et maintenant locales qui présentent des risques de division du pays, entendu que les leçons de la présidentielle de 2010 n’ont pas instruit les décideurs. C’est donc par amour pour notre pays et dans l’intérêt de l’unité du peuple ivoirien que nous avons dû surseoir à nos légitimes ambitions politiques. Nous l’avons aussi décidé par solidarité avec ceux de nos cadres et camarades en prison, de nos militants qui meurent à petit feu dans les camps de refugiés, de nos centaines de milliers de frères et sœurs contraints à l’exil en violation des dispositions de la Constitution qui l’interdisent.

Le rêve d’une nation s’est-il pour autant envolé? Bien sûr que non, car ce sont bien les épreuves qui forgent une nation et «le modèle de l’espérance promise à l’humanité» est sans doute en construction. Le sang des victimes innocentes devant lequel nous ne nous inclinerons jamais assez ne peut que devenir le mortier de cette grosse bâtisse qu’est la nation. En deux ans, jamais les armes n’ont autant tonné dans ce pays que tout au long de ses 50 ans d’existence cumulés à la période coloniale.

Comme la nature, les convictions ont horreur du vide. Il est donc difficile à ceux qui marchent sur des valeurs et des convictions de se vider sans recevoir en retour un substitut équivalent et compatible avec l’intérêt général, le bien matériel ne pouvant être une conviction.

La vraie question est de savoir, si dans un pays doté d’une constitution, de lois et d’institutions, dont les forces de police et de gendarmerie, et où le port d’arme est réglementé, des individus peuvent parader avec des armes, au motif d’appartenir à un groupe de chasseurs traditionnels, faisant impunément de leurs semblables leurs gibiers en dehors de leur aire géoculturelle? N’est-on pas alors en présence de milices tribales? La question est de savoir comment le fait de lire, dans la table des matières d’un rapport d’Amnesty International «Les Dozos, une milice soutenue par l’État» » pourrait ne pas donner froid au dos des partisans de la république.

Peut-on admettre demain que les « Zos » des « Glae » de l’ouest montagneux paradent dans les mêmes conditions ? Un « dozo » pouvant inspirer un « zo », peut-on accepter à présent que les guerriers des royaumes Akan ou ceux des générations Atchan se livrent à de telles dérives? Le corollaire à ces questions est aussi de savoir si, dans un pays qui aspire à l’émergence dans moins d’une décennie, dans un pays doté de forces régulières de maintien de l’ordre et de la loi, il est acceptable que des milices tribales ou des militaires non immatriculés et inconnus des fichiers de l’armée, puissent servir au maintien du dés-ordre. Gardons-nous de devenir un pays où on ne comptera plus les morts après n’avoir compté que des morts.

A ceux qui, sans doute par compassion en pleine campagne électorale, nous invitent à ne pas bouder notre pays, nous rappelons d’un ton fraternel que ce n’est pas notre pays que nous boudons mais ses prisons que nous boudons. Des prisons qui, vidées de leurs légitimes pensionnaires, semblent réserver à certains des nôtres un accueil dont la chaleur contraste avec le froid de leur innocence, blanche comme la neige.

Nous n’avons de cesse de tendre à notre pays nos mains; certes desséchées par les épreuves d’une justice partiale et aux ordres. Mais nous continuons de les tendre. Elles sont porteuses de rameaux de paix, des rameaux d’une paix sincère, sans la moindre tache de sang. Des rameaux qui ne sont pas au bout d’un canon. Il ne se trouve pas une seule fine lame dans la botte des rameaux car en dépit des rapports fabriqués dans certaines officines, nous sommes foncièrement des hommes et des femmes de paix et des patriotes soucieux du devenir de leur pays. A l’instar de Laurent Gbagbo, notre culture de la transition pacifique est innée en nous et les valeurs de la gauche démocratique dont nous sommes porteurs excluent de notre démarche toute autre solution aux conséquences incalculables…

Au moment où en Europe, l’on ne fait plus mystère du risque du retour des guerres comme conséquence directe d’une crise structurelle, nous ne devons pas perdre de vue que les guerres et les rébellions qui se répandent en Afrique ne sont même pas au profit de leurs animateurs directs, encore moins des peuples africains. En effet, le système politique, économique et financier de gouvernance mondiale actuel est hérité de la seconde guerre mondiale. L’effondrement du communisme le confortant dans son sentiment de suprématie sans partage, ce système a cru en sa viabilité et a cédé à l’arrogance. Aujourd’hui à bout de souffle, il ne se maintient que sous perfusion comme l’atteste la mobilisation régulière de milliards pour sauver des banques. Le continent africain pourrait être un apporteur de solutions en lieu et place de l’éternel rapporteur de problèmes qu’il n’a cessé d’être. Cela suppose que nous ne soyons, ni une pâle copie d’un système occidental agonisant, ni les instruments locaux de sa domination.

Bien sûr, la problématique du développement et de la paix, ne saurait se résumer à un conflit entre continents ou peuples. Il s’agit d’une problématique de consensus autour du meilleur système qui garantit un développement durable dans la solidarité, la justice sociale, l’équité, l’égalité des chances, la liberté, face à d’autres, notamment le système ultralibéral auquel s’attaquent déjà des voix en occident même.

Maintenant que nous sommes tous convaincus qu’il ne suffit pas de dire «c’est notre tour» pour que surgissent les solutions miracles. Maintenant que nous savons que la présence de Laurent Gbagbo à la Haye ne suffit pas à une « degbagboïsation » mais freine notre développement à cause de la tension politique permanente. Maintenant que la réalité nous impose de reconnaître que les fruits n’ont pas tenu les promesses des fleurs et que la pluie des milliards se transforme progressivement en une pluie de désillusions au point que l’argent travaille dans l’opacité de la passation des marchés sans circuler, l’AIRD voudrait en appeler à un sursaut national, à l’amour de la patrie et des valeurs qui fondent la république afin que dans un dialogue sincère et salvateur nous puissions parvenir à une loi de réconciliation nationale, déclinée en trois volets:

1. une amnistie respectueuse des exigences de justice équitable et pour tous,
2. la reconstruction,
3. la réparation des préjudices.

Une telle loi, négociée entre les différentes parties avec le soutien d’une représentation équilibrée de la communauté internationale et des organisations de défense des droits de l’homme, créera un cadre de transparence et d’équité et favorisera à coup sûr l’indispensable réconciliation nationale dont l’évocation ne doit pas être un cache-sexe démagogique de l’image gravement ternie du pays. L’AIRD offre sa disponibilité à détailler techniquement sa proposition à toutes les bonnes volontés.

Fait le 11 avril 2013
Pour l’AIRD
Le CODIR (Comité de Direction)

Alliance Ivoirienne pour la République et la Démocratie

Cellule Communication
et Relations Publiques

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