Côte d’Ivoire – Le 11 avril du journaliste Philippe Kouhon

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Loin de refaire l’histoire de la crise postélectorale, pour ne pas dire l’histoire de la guerre postélectorale, car l’ayant vécu de bout en bout, je me forcerai ici d’en ressortir les temps forts surtout ce que j’ai vécu ce 11 avril 2011.

Journaliste, détaché auprès de M. Gervais Coulibaly, porte parole du président Laurent Gbagbo, je fis plusieurs voyages en France et en Europe pour des besoins de couvertures en temps d’élections et pour le compte de la RTI. Mon dernier voyage se situe en décembre 2010. Après les manifestations des pro-Gbagbo devant le Conseil d’Etat et à la place de la République, puis à Bruxelles le 5 décembre 2010, je retourne à Abidjan le 8 janvier 2011.

Mais déjà sur le terrain la tension est vive. Le commando invisible était déjà en action et plusieurs éléments des FDS étaient déjà victimes des embuscades de ses autres seigneurs de guerre dont on ignorait encore l’identité et la provenance et aussi les revendications. Entre janvier et mars, ce fut le déluge ! Avec la fermeture des banques. Le nouveau gouvernement Aké Ngbo tente vaille que vaille de remettre en scelle les quelques banques nationales existantes.

Je vous passe tous les combats qui ont eu lieu à Anyama, à Abobo et à Yopougon durant ces trois mois. Alors que les FDS prenaient le dessus, contre toute attente, et depuis le Golf Hôtel, le président du RDR, Alassane Ouattara qui s’était autoproclamé président de Côte d’Ivoire depuis le 2 décembre 2010 annonce la naissance des FRCI. C’était le 17 mars 2011.
Le lundi 28 mars, on apprend que plusieurs colonnes des FRCI sont en route pour Abidjan. Mais avant, ils se scindent en trois groupes. Le premier en provenance de l’ouest (Man) se dirige vers le sud ouest en traversant les villes de Bangolo, Duékoué, Issia, Daloa, Soubré pour atteindre San Pedro. Le second groupe en provenance du centre (Bouaké) emprunte l’axe central. Traverse Tiébissou, Yamoussoukro, Toumodi, Sikensi pour atteindre Abidjan. Le troisième groupe en provenance du nord opte pour la route Bondoukou, Abengourou, Azopé, Anyama. Objectif : Abidjan (Abobo). Faits remarquable. Aucune de ces colonnes de bandes armées n’a rencontré de résistance en dehors de quelques combats à Duékoué et Bloléquin. Et si on a pu déplorer peu de morts durant cette invasion, l’entrée dans la capitale économique du pays restera à jamais gravée dans les anales de la guerre postélectorale en Côte d’Ivoire.

Abidjan. Jeudi 31 mars 2011. Corridor de Gesco/ Yopougon. Il est 18h30mn lorsque depuis mon quartier de Niangon, j’entends des tirs nourris du côté du corridor. Déjà l’exode des populations était massif. Et les déplacés de guerre en provenance de Gesco et qui se dirigeaient vers Niangon sud à droite vers l’académie des Mers seule issue qui vous permettrait de fuir vers Dabou, n’hésitent pas à tout raconter. Ce qu’ils viennent de vivre à Anyama, Gesco, Abobo…

Combien sont-ils tombés ce jeudi 31 mars 2011 lors des combats qui opposaient les FDS aux FRCI qui tentaient de pénétrer Abidjan avec pour destination finale, le Golf Hôtel ?
Depuis cette date, la guerre prit pied et de façon généralisée dans tous les quartiers de la capitale. Des groupes d’auto défense côté gouvernemental appuyés par les FDS contre le commando invisible appuyé par les FRCI et autres dozos.

Charles Blé Goudé venait de terminer son dernier grand meeting à la place de la République le 26 mars 2011. L’artiste Paul Madys venait de terminer un concert géant devant la résidence présidentielle d’Abidjan Cocody le samedi 2 avril 2011. Face à cette invasion avec une forte infiltration de mercenaires venus du Burkina, de la France et de la sous région (Ecomog), l’exécutif ivoirien demande à la population de faire front en formant un bouclier humain reparti sur trois sites. Les populations de Yopougon devant converger vers la résidence présidentielle. Les populations de Cocody devant converger vers la RTI et enfin les populations de Treichville, Marcory, Port-Bouet devant converger vers les deux ponts reliant le quartier administratif Plateau.

Je me souviens comme si c’était hier. Le lundi 4 avril 2011, on nous annonce le départ de Choi et qui serait remplacé par une représentation des opérations des Nations unies contrôlée par une ou un Russe. Les 5 et 6 avril, alors que les combats s’intensifient avec la progression des FDS, à Yopougon alors que des amis et moi sommes regroupés à un carrefour car ne pouvant pas rester dans les maisons de peur de prendre une roquette ou être surpris dans le sommeil par des hommes en armes, plusieurs MI 24 survolent à une très basse altitude de nos têtes. Honnêtement, tous avions applaudi car pensant que les Russes avaient enfin le contrôle de la situation marquant la fin de notre calvaire. Rien n’y fit. Les rebelles venaient de prendre possession de tous les appareils de guerre de l’état ivoirien. Le vendredi 8 avril 2011, des camarades en provenance de la résidence présidentielle, nous racontent que le président venait de leur donner ordre de rentrer chez eux. Sauf que beaucoup de jeunes patriotes ont décidé de camper devant la résidence. Ces jeunes seront tués pour la plupart dans la nuit du 10 au 11 avril 2011 au cours des bombardements.

Dimanche 10 avril 2011. Il est 17h, lorsque nous entendions des tirs nourris sur la résidence présidentielle. Les tirs ont duré toute la nuit pour prendre fin autour de 8h du matin. C’est en ce moment que certains occupants de la résidence tentent de sortir. Mais par manque de route et moyen de transport, ceux-ci resteront au sein de la résidence jusqu’à 10h. Et ce n’est que vers 11h qu’une masse d’hommes armés jusqu’aux dents, français, américains, FRCI, Dozos envahit la cour. Combien étaient-t-ils ? Mille, ou plus racontera plus tard l’artiste Paul Madys qui lui était resté dans la résidence et que j’ai pu rencontrer le 12 avril au quartier à Yopougon.
A 11h30, ce lundi 11 avril 2011, les chaînes de télévisions françaises, France 24 en tête passent en boucle le film de l’arrestation du président Laurent Gbagbo. Mais au quartier, nous refusions de croire. Pour beaucoup d’entre nous, c’était un autre montage pour décourager les jeunes combattants qui progressaient sur le terrain de l’ennemi. Les quelques combattants qui revenaient au quartier après leurs rondes soutenaient aussi que c’était un montage. « Vous pensez que si ils ont pris le Chef, vous allez nous voir encore entrain de combattre ? »

Il est 13h .Je suis toujours au carrefour du quartier avec mes amis. On essai de trouver de quoi à manger. Tous les magasins et boutiques du quartier ont été cassés et pillés. On devait désormais vivre du troc. Des échanges qui vont d’une boite de sardine à un savon BF. Point de bouteille de Gaz, ni de charbons vendus. Il fallait détruire les appâtâmes du marché pour faire le feu de bois comme au village. Ce 11 avril fut le plus long jour de ma vie. Car à ce moment précis, il était 18h lorsque je regagne ma villa. Quand j’ai vu de mes propres yeux les images du président Gbagbo au golf, je me suis dit : c’est fini. Ils l’ont eu ! Ils ont eu la Côte d’Ivoire !
Vint la nuit. Le couvre feu est immédiatement instauré par les nouvelles autorités. Mais ne sera pas respecté à Yopougon toujours contrôlé par les éléments fidèles au président Laurent Gbagbo. A 20 h, on devait sortir à tous les petits carrefours du quartier pour prier, réciter des psaumes selon Malachie mais aussi barricader les entrées et sorties du quartier. La nuit fut malgré cette ambiance entretenue entre peur au ventre et espoir qu’un dieu vienne nous dire le contraire (Gbagbo n’a pas été pris !) fut longue. Et nous restions là jusqu’au petit matin. Voilà mon 11 avril 2011. Une histoire courte car couvrant 24h chrono. Pour ce qui est des détails de la guerre postélectorale que j’ai vécu, souffrez que je vous les livre dans mon prochain livre. Car beaucoup écrivent sur cette guerre appelée à tort ou à raison « crise » sans en démontrer les vraies coulisses : La naissance du commando invisible, qui composait les FRCI, comment ceux-ci méconnaissaient la ville d’Abidjan pour être pris par les FDS surtout facilement à Yopougon, comment les jeunes patriotes s’entretuaient pour avoir manqué le signe du jour pris tous les jours à la base maritime de Locodro entre deux patrouilles côté FDS, comment plusieurs jeunes ont eu la mort faute de formation militaire ou par peur ou à cause des nids de poules… Qui gérait quel groupe de milice à Ypougon et où étaient-elles localisées, quel était le deal de IB proposé à Gbagbo et qui l’a déchiré, comment les ivoiriens de Yopougon ont vécu la période du 11 avril au 4 mai 2011(prise totale de Yop), comment je suis sorti de Yopougon pour me retrouver aujourd’hui en France en mai-juin 2011. Comment tous les leaders de la galaxie patriotiques sont sortis du pays, les cadres du FPI et avec quelles fortune ect….

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