Explosif – Le journalisme d’investigation épingle des milliers de fraudeurs fiscaux dans le monde

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Le système offshore, cet ennemi patenté de la démocratie

LE MONDE Editorial, par la directrice du Monde

Par Natalie Nougayrède

Editorial, par la directrice du Monde. Que n’avait-on entendu, au lendemain de la convulsion financière mondiale de 2007-2008 ! Les mots d’ordre claquaient : la finance internationale serait mieux régulée, les paradis fiscaux impitoyablement combattus, bref, on en finirait avec les trous noirs d’un système couvrant tous les abus. Les conclusions d’un G20 tenu à Londres se voulaient très vertueuses. Les Etats de ce cénacle promettaient « des mesures contre les paradis fiscaux », brandissaient la menace de sanctions et assuraient à tout-va que « l’époque du secret bancaire était terminée ».

Après la crise qui vient de secouer Chypre, place offshore prisée par les oligarques russes et autres amateurs d’opacité dans la gestion de leurs affaires, nous voici, en France, dans le tourbillon de l’affaire Cahuzac, un scandale d’Etat qui met en cause la probité et la transparence élémentaires réclamées de tout responsable politique, a fortiori de haut rang. L’actualité est parfois faite d’enchaînements vertigineux. Que les choses soient claires : l’enquête que Le Monde commence à publier aujourd’hui, consacrée au maquis des paradis fiscaux à l’échelle mondiale, à leur fonctionnement occulte et à leurs bénéficiaires de tous horizons, ne prend son point de départ ni dans les tumultes de Nicosie ni dans les démêlés de M. Cahuzac.

Cette investigation a été lancée voici des mois. Elle se base sur l’accès sans précédent qu’un consortium international de journalistes d’investigation a pu avoir à une gigantesque base de données, révélant les dessous du monde offshore. 2,5 millions de fichiers ont été épluchés, comparés, recoupés. Le résultat : la mise à nu du maillage tentaculaire de la finance de l’ombre. Dans cette masse de documents, deux banques françaises sont mentionnées. Ainsi que l’ancien trésorier de la campagne de François Hollande en 2012, Jean-Jacques Augier, qui assure ne rien avoir fait d’illégal en recourant, pour un partenaire chinois, à des montages offshore.

L’exposition de cas individuels, aussi saisissants soient-ils, ne doit pas masquer le fond du problème : les paradis fiscaux sont une menace pour la démocratie. Ils minent l’état de droit en jouant sur la dissimulation. Ils sont l’aubaine absolue des fraudeurs de tous bords. Ils favorisent le détournement de richesses publiques dans les Etats où fleurissent concussion et corruption. Dans cet univers de créativité juridique semble-t-il illimitée, ce sont des sommes colossales qui se cachent derrière des sociétés écrans. De riches particuliers y détiendraient au total, l’équivalent des PIB des Etats-Unis et du Japon additionnés.

Nul ne pourra prétendre, à la lumière de cette enquête, que les dirigeants politiques, malgré leurs dires, se soient donné les véritables moyens d’agir. Il est urgent de renforcer les règles, les moyens de contrôle, la coopération transfrontalière. La lutte contre le blanchiment passe par là. Et les banques occidentales amatrices de schémas opaques pourront difficilement faire l’économie de réponses claires. Du moins si elles veulent que, à l’heure de la crise, crédit soit accordé à leurs professions de foi sur l' »éthique ».

Natalie Nougayrède

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Le trésorier de campagne de François Hollande a investi aux Caïmans
Le Monde.fr

Par Anne Michel et Raphaëlle Bacqué

En plein scandale Cahuzac, la révélation tombe au plus mal. Jean-Jacques Augier, 59 ans, homme d’affaires et figure discrète du monde de l’édition, qui fut le trésorier de François Hollande pendant la campagne présidentielle de 2012, voit son nom apparaître dans les documents auxquels Le Monde a eu accès. Ceux-ci montrent qu’il est actionnaire de deux sociétés offshore dans les îles Caïmans, par le biais de son holding financier Eurane.
L’enquête conduite par Le Monde, sur la base des fichiers du consortium d’investigation américain ICIJ, a permis d’établir qu’une société dénommée International Bookstores Limited a été constituée en 2005 par plusieurs actionnaires, dont M. Augier, dans ce paradis fiscal des Caraïbes sous souveraineté britannique.

Non sans un certain embarras, M. Augier confirme les faits, mais affirme n’avoir « ni compte bancaire personnel ouvert aux Caïmans ni investissement personnel direct dans ce territoire ». « J’ai investi dans cette société par l’intermédiaire de la filiale d’Eurane en Chine, Capital Concorde Limited, un holding qui gère toutes mes affaires chinoises, précise ce proche du chef de l’Etat. L’investissement dans International Bookstores apparaît au bilan de cette filiale. Rien n’est illégal. »

CAP SUR LA CHINE

Polytechnicien, énarque de l’emblématique promotion Voltaire et ancien (et brillant) inspecteur des finances, M. Augier doit l’origine de sa fortune à son mentor dans le monde des affaires, André Rousselet, l’ami intime de François Mitterrand, qui le recrute en 1987 pour diriger la compagnie de taxis G7, alors mal en point. Il en repart treize ans plus tard, la société redressée et fortune faite, avec un parachute doré de 11 millions d’euros.

En 2004, poussé par l’appel du large, M. Augier met le cap sur la Chine où il a l’ambition d’implanter un nouveau modèle de librairies à l’occidentale. Il y investit une partie de sa fortune. C’est dans ce cadre qu’il crée, en 2005, International Bookstores avec deux associés, un Français installé en Chine comme lui, Jacques Rougeaux, un ingénieur centralien, et un homme d’affaires chinois.

Trois ans plus tard, en 2008-2009, M. Augier, toujours installé en Chine, où il conduit ses affaires, participe à la création d’une deuxième entité offshore, également localisée aux Caïmans, cette fois avec plusieurs actionnaires internationaux, des tour-opérateurs parmi lesquels des Européens.

Sur ces deux opérations, M. Augier accepte de s’expliquer. Selon l’éditeur français (propriétaire du magazine Books et, depuis janvier 2013, de Têtu, le premier magazine de la communauté homosexuelle), International Bookstores a été créé aux Caïmans à la demande d’un de ses partenaires chinois de l’époque, un certain Xi Shu, très en vue dans le pays, propriétaire d’un réseau de librairies.

POUSSÉ PAR UN PARTENAIRE ASIATIQUE

Intéressé par l’expérience européenne de M. Augier, Xi Shu souhaitait s’associer à lui, en lui cédant une partie du capital de ses librairies. Mais à la condition sine qua non de créer une structure de portage des actifs aux Caïmans, un montage alors très à la mode auprès des entrepreneurs chinois.

S’agissait-il, pour ce haut dignitaire chinois, de ne pas payer d’impôt sur sa plus-value de cession ? Toujours est-il que l’homme d’affaires français accepte et acquiert, avec M. Rougeaux, environ 30 % du capital d’International Bookstores, dont il prend la direction. L’ingénieur français s’occupe de monter la structure. Et puis très vite, dès 2006, survient le clash avec Xi Shu. M. Augier estime avoir été trompé. Les librairies, dit-il s’être rendu compte, sont endettées. Il démissionnera sans pouvoir revendre ses parts. M. Augier affirme aujourd’hui ne pas savoir ce que fait la société.

Quant à la deuxième entité offshore, constituée en 2008-2009 avec des voyagistes de plusieurs pays, et qui porterait un investissement que M. Augier se refuse à dévoiler, l’éditeur affirme une fois encore qu’elle a été créée à la demande de ses partenaires en affaires, aux Caïmans. Elle aurait été depuis rapatriée à Hongkong.

UN « CARACTÈRE AVENTURIER »

« Vous me trouvez léger ?, répond-il au Monde, qui l’interroge sur le calendrier de ce second montage, en pleine crise financière mondiale, au moment de la déclaration de guerre des pays du G20 contre les paradis fiscaux. C’est à mettre sur mon caractère aventurier. Peut-être ai-je manqué de prudence. » Peut-être, en effet. Car deux questions se posent à la suite des investissements offshore de l’éditeur français. La première concerne bien sûr la légalité de ces opérations et le fait de savoir si M. Augier – un Français ayant des activités internationales, et ayant créé pour les abriter une société, Eurane, dont le patrimoine est effectivement distinct de son patrimoine personnel – s’est mis en infraction vis-à-vis de la loi française.

La loi est claire : selon l’article 209-B du code général des impôts, si une société française détient une entité juridique dans un pays doté d’un régime fiscal privilégié, directement ou par une filiale, et que cette entité n’a pas d’activité économique réelle mais porte des actifs dits « passifs » (des dividendes, des prêts, etc.), alors elle est imposable en France. Et ce, au prorata de son investissement offshore. M. Augier ne semble pas se placer dans ce cas de figure. Il affirme d’ailleurs que ses opérations sont légales et déclarées.

Mais comment le vérifier s’agissant d’entités qui ne publient pas leurs comptes ? De plus, M. Augier ne s’est-il pas mis en risque dans une société dont il ne peut se retirer ? La seconde question est évidemment d’ordre éthique. Même si ces opérations sont légales, fallait-il qu’un inspecteur des finances, membre de l’un des grands corps de l’Etat, et porteur des valeurs de la République, participe à de tels montages, cautionnant ainsi l’opacité financière des territoires offshore ? Sous couvert d’anonymat, un haut fonctionnaire livre cet élément de réflexion : « Nous vivons dans un monde où le contrôle des changes a été supprimé, mais où les pays ne sont pas à égalité de droits en terme de fiscalité. Il y a un maquis de règles, et la vie des affaires autorise beaucoup de choses. Beaucoup de gens confondent la loi et la morale. L’impôt, c’est une affaire de loi. Si on veut traiter le sujet de l’opacité financière, on est dans tout autre chose. Une autre dimension où chacun est juge. »

Prête-nom : un job peu rémunérateur

LE MONDE

Par Gerard Ryle, Stefan Candea et Arta Gige

De prime abord, rien de commun entre toutes ces affaires : un ex-banquier kazakh accusé de détournement de fonds ; un navire transportant des armes, en 2008, de l’Ukraine vers le Soudan du Sud, alors sous le coup d’un embargo des Nations unies ; une prison secrète de la CIA en Lituanie où des terroristes présumés d’Al-Qaida auraient été détenus…

Sauf que dans ces dossiers, comme dans des centaines d’autres, on retrouve les noms de Stan Gorin et d’Erik Vanagels. Des hommes de l’ombre ? Non, des hommes de paille. Ces deux personnes, bien réelles, ont prêté leur patronyme, contre rémunération, à des sociétés offshore. Certaines sont mêlées à du trafic d’armes ou à du blanchiment d’argent, d’autres agissent pour le compte de gouvernements.

Dans la « vraie vie », Stan Gorin est courtier en assurances à Riga, la capitale de la Lettonie ; c’est ce qu’a révélé une enquête de la télévision balte TVi. Erik Vanagels, lui, serait, selon un témoignage local… un sans-domicile-fixe à moitié aveugle errant dans les rues de Riga. Comme eux, des hommes et des femmes lambda, sans aucun lien avec le monde des affaires, deviennent les directeurs d’entreprises installées dans des paradis fiscaux. Moyennant des rémunérations n’excédant parfois pas les 90 dollars (70 euros).

Une société de…

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