Pas de larmes pour Bozizé, rien à l’applaudimètre pour la Seleka (éditorial)

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Francois Bozize et Michel Djotodia

Éditorial

« Il ne peut plus y avoir de coup d’Etat en Afrique, encore moins de rébellion ». Depuis des années et cela de plus en plus, cette assertion est dite, faite et écrite. Les exemples du Mali et de la Guinée-Bissau avaient été donnés pour montrer que jamais des putschistes ne pourraient prospérer ni émerger. Beaucoup avaient fini par y croire. Au lieu d’en tirer les leçons pour renforcer la démocratie, l’Etat de droit et la bonne gouvernance sur le continent, certains responsables politiques se servent de cette quête contre la violence, pour mieux tuer la démocratie et pour refuser de prendre en compte les aspirations des populations. La mobilisation générale contre les coups d’Etat et les rébellions en Afrique n’est aucunement une prime donnée à des régimes pour s’entraîner dans un dogmatisme et un radicalisme qui ne sont pas de nature à ne pas empêcher le recours aux armes ni à la violence. Fils de la violence, maître lui-même d’un pouvoir issu de la rébellion, victime de tentatives de coups d’Etat et de déstabilisation, François Bozizé n’a pas su en tirer les meilleures leçons pour créer les conditions d’une gouvernance démocratique et crédible. Tel est pris qui croyait prendre. Le piège s’est refermé sur lui. Et voici François Bozizé qui est devenu un fugitif. Que demandait-on à Bozizé pour éviter ce triste et honteux sort. On lui demandait simplement d’organiser des élections ouvertes, transparentes. On lui demandait de pratiquer le dialogue avec ses oppo- sants, de garantir leur intégrité au lieu de les tuer. On lui demandait d’être le Président de tous les Centrafricains et non le Président d’un seul clan. François Bozizé n’a pas voulu agir, comme il se devait. Triste à dire, mais le Président sorti de la Centrafrique a bien mérité ce qui lui arrive. Au-delà de François Bozizé, cette nouvelle rébellion victorieuse vise à ramener à l’ordre tous les chefs d’Etat et tous les intellectuels africains qui veulent ruser avec la démocratie. En ligne de mire, nous avons Paul Biya, Faure Gnassingbé, Joseph Kabila, Obiang Nguema et même des chefs d’Etat insoupçonnés, comme Alpha Condé, Ali Bongo et bien d’autres….. Les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Quand on est mal élu, ou bien quand on a été élu dans des circonstances de contestation, pour ne pas parler d’élections calamiteuses, il y a lieu de pratiquer un dialogue politique constructif et de refuser l’exclusion et la perpétuation de l’injustice. A côté des succès démocratiques africains que sont le Sénégal, le Ghana, le Kenya et la Côte d’Ivoire (même si c’est dans une dimension critiquable et relative) Bangui et la Seleka sont là pour nous rappeler que personne n’est à l’abri d’une rébellion en dehors de la pratique d’une gouvernance démocratique. Par exemple, à quoi cela sert-il que le Président Idriss Deby joue les défenseurs de la laïcité au Mali et se présente comme le Mollah de la lutte contre l’intégrisme, si dans son propre pays, la démocratie et le respect de la volonté du peuple ex- primée sans tricherie, sans pression, ni chantage, n’existe pas. Autant le monde et la France se mobilisent contre les djihadistes au Mali, autant les chefs d’Etat africains ne doivent pas avoir peur de pratiquer la démocratie intégrale, qui suppose li- berté de la presse, l’Etat juste et impartial, la lutte contre les exclusions de tous ordre (social, reli- gieux, éthique, économique et politique). Car, il est possible de mobiliser des armées pour se dresser contre des rebelles et des putschistes qui s’en prennent à une vraie démocratie. Même si ATT est tombé au Mali, il se trouve bien que les putschistes ne sont pas au pouvoir. En clair, tout est à gagner dans et par la démocratie. Autrement, lorsque ce ne sont pas les armes qui règlent les comptes de ceux qui refusent le dialogue et la démocratie, ce sont les peuples qui prennent en main leur destin. C’est ce qui s’est passé en Tunisie et en Egypte. C’est ce qui finira par arriver dans les monarchies arabes du Golf, dont les systèmes anti-démocratiques ne peuvent prospérer encore trop longtemps. Un jour tout finira bien par s’écrouler. La leçon de la Centrafrique est valable pour François Bozizé, et, certes pour les autres Chefs d’Etat du continent encore en exercice, mais elle l’est davantage pour ceux qui sont en train de le renverser par les armes. Ainsi, s’ils font comme lui, ils subiront le même sort. Sur la toile, des internautes ont écrit avec humour ceci : » Dites-nous, quel est le nom du nouveau dictateur de la Centrafrique ? ». On voit bien que ces Africains ne sont pas dupes et qu’ils sont sans illusion. Ils s’attendent à de futures violences tant ils savent que le goût de la facilité et du clanisme politique va rester. L’avancée de la rébellion à Bangui pose cette question éthique qui revient souvent : comment un intellectuel, un partisan de la démocratie et de la non-violence peut-il soutenir une rébellion et le re- cours aux armes et à la violence pour établir la démocratie et comment un coup d’Etat synonyme de désordre, de violence peut-il être porteur de stabilité et d’ordre, et de paix? En vérité, on a toujours une bonne raison et des raisons de se révolter. Le problème n’est pas forcément celui qui se révolte, mais celui qui crée les conditions de la révolte. La rébellion Seleka en Centrafrique vient pour nous rappeler cette réalité. Le mal n’est pas tant du côté de celui qui va aux armes. Le problème se trouve plutôt au niveau de celui qui crée les conditions pour justifier le recours aux armes. Même si les prétextes peuvent être faux, il faut tout faire pour ne pas en fournir. Ceux qui sont au pouvoir sont détenteurs de la violence légitime et légale. Ils sont dépositaires de la force publique et de la violence autorisée, au nom du peuple. Quand on dispose d’un tel pouvoir, on en use pour le bonheur du plus grand nombre et non d’un seul clan. Il ne s’agit point de soutenir des rebelles. Il n’est pas ici question, d’encourager le recours aux armes. Il s’agit plutôt de rester vigilant et en alerte maximale pour attirer l’attention des gouvernants sur la quête, sur les exigences et sur les attentes démocratiques. Le problème, ce n’est pas vraiment la Seleka et les rebelles; le problème ce sont ceux qui créent les conditions pour que les Seleka existent. C’est pourquoi, si elle parvient à instaurer un ordre nouveau par les armes, la Seleka risque à son tour de devenir un problème et d’engendrer elle aussi, sa propre rébellion si elle ne se souvient pas de son histoire . François Bozizé était le problème, mais François Bozizé n’est plus le problème. La rébellion Seleka est désormais le problème. Elle doit être surveillée de près, observée et critiquée. Et elle doit être avertie que si elle pratique la même posture (pour ne pas dire les mêmes impostures) que François Bozizé, la sentence du peuple et des armes ne lui sera point épargnée. Pas de larmes aujourd’hui pour François Bozizé et tous les chefs d’Etat du continent qui lui ressemblent. Mais en retour, rien à l’applaudimètre ni aucun Etat de grâce pour la rébellion Seleka, qui a choisi la voie des armes. Toute ruse avec la démo- cratie et les exigences de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance, sans la possibilité pour le peuple de recourir aux urnes, pour un changement non-violent et démocratique finit toujours dans les armes et la violence. Aucune compromission n’est donc souhaitable avec la Seleka. A bon entendeur…

L’Intelligent d’Abidjan

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