Par Dr Serge-Nicolas NZI | Chercheur en communication
I – S’il y a un phénomène mortel qu’il faut combattre avec toute l’énergie dont Dieu nous a doté, c’est bien le tribalisme et son mariage avec l’ethno régionalisme dans l’Etat nation en Afrique. Le cortège d’incompétence qui accompagne cette fusion et le cancer pernicieux qui finit par emporter les systèmes politiques qui croyaient avoir trouvé dans l’ethnie un motif de confiance et d’exercice du pouvoir politique dans la durée, sont des facteurs nuisibles qui ont contribué à perpétuer notre sous développement et surtout ont empêché l’alternance politique pacifique dans des pays comme la Côte d’Ivoire. Parmi ces concepts brumeux et malfaisants qui hantent encore l’histoire récente de la Côte d’ivoire, arrêtons-nous une fois de plus sur l’akanité qui a donné naissance à l’ivoirité et la dioulaïté, qui a donné naissance au rattrapage ethnique et qui semble être la réponse des mandingues aux Akans de Côte d’Ivoire.
Il s’agit ici de deux poisons absolument mortels qui ont déjà pris place dans le corps social et politique de la nation ivoirienne en construction et qui leurs effets néfastes vont conduire à terme au démembrement et à la déconfiture de la Côte d’ivoire dans une libanisation à l’infinie.
De même que l’ivoirité fut la plus grande erreur politique du président Bédié et de ses suiveurs, le rattrapage ethnique ou la dioulatisation de l’appareil d’Etat ivoirien en faveur des groupes ethno religieux du nord de la Côte d’Ivoire, est une dérive qui va empoisonner et affaiblir durablement le RDR et la vie politique ivoirienne.
Que deviendra ce parti si demain devant toutes les exactions quotidiennes, le PDCI se désolidarise de son allié d’aujourd’hui et rejoint l’opposition ? le RDR peut-il gagner une élection ivoirienne tout seul ? sa gouvernance ethnique, ne fait-il pas de lui un gibier cerné par les lycaons ? Ne pas se poser ces questions aujourd’hui, c’est se mettre en posture de désillusion demain.
II – De l’akanité parlons-en !
L’akanité, Certains ivoiriens appartenant au groupe ethnique Akan, les ivoiritaires en tête et précisément de l’ethnie Baoulé d’Henri Konan Bédié, estiment en effet que seuls les Akan sont capables de gouverner la Côte d’Ivoire. Les autres ethnies à les en croire, en seraient indignes et incapables. À écouter certaines personnes, c’est Félix Houphouët-Boigny lui même qui inocula le virus de l’Akanité dans le système politique ivoirien.
Sinon, comment expliquer que les postes les plus sensibles de l’Etat ivoirien et les plus hauts postes de l’administration aient toujours été confiés sous le régime d’Houphouët-Boigny à des Akan et aux Baoulé en particulier ? Direction des impôts, direction des douanes, direction du port, direction du trésor, la majorité des sociétés d’Etat, le maire de la ville d’Abidjan pendant de nombreuses années, les ministères de la défense, des Affaires étrangères, de l’éducation nationale, de la justice, de l’économie et des finances, du budget ainsi que la plupart des préfectures et des ambassades ivoiriennes à l’étranger.
Les autres groupes ethniques sont au gouvernement dans les fauteuils des Sports, du tourisme, de l’environnement, de la culture et des loisirs, bref des ministères moins influents loin des centres de décisions. Si tous ces cadres Akans avaient brillé par leur compétence et la qualité de leur gestion, on en serait pas là hier à privatiser l’EECI, la CITELCOM, la SODECI et à voir disparaître la BNDA, la MOTORAGRI, la BNEC, la BIDI et autres SOPIM.
D’autre part, comment expliquer que c’est M. Bédié qui succéda à Houphouët-Boigny, alors que des hommes comme Maurice Séry Gnoléba ou Laurent Dona Fologo, auraient pu nous éviter le coup d’Etat de Noël 1999 ? En disant cela, nous ne jetons pas la pierre à M. Bédié, nous nous posons des questions résultantes d’une démarche psychanalytique, car nous ne sommes pas encore sortis du traumatisme profond et inutile, provoqué par sa gestion de l’Etat ivoirien.
Nous fumes de ceux qui avaient un profond dégout et qui n’avaient jamais apprécié l’arrogance et cette suffisance affiché de Félix Houphouët-Boigny proclamant urbi orbi sa noblesse et sa royauté de pacotille. C’est désolant et indigne d’un chef d’Etat dans une république qui se fonde sur l’égalité de tous les citoyens devant la loi.
Nous disons clairement ici qu’il est faux et prétentieux de penser que les Akan sont les plus intelligents et les plus aptes à diriger la Côte d’Ivoire. Nous rappelons simplement, qu’en démocratie, le pouvoir appartient bel et bien au peuple et il est proprement insensé de croire que celui qui l’exerce momentanément est supérieur aux autres membres de la cité. C’est une grave erreur qui conduit des peuples entier à la catastrophe.
Il n’est pas moins insensé de décréter de façon tout à fait arbitraire, que les uns seraient aptes et les autres inaptes à gouverner. Encore une fois c’est cette vision manichéenne des choses qui a retardé l’alternance politique pacifique en Côte d’Ivoire et qui fait croire à certains Akan que le pouvoir politique est leur chose. Voilà pourquoi nous rejetons et condamnons sans ambiguïté l’Akanité sous toutes ses formes, y compris son dérivé politique qu’est l’ivoirité.
Etant nous même d’origine Akan, nous disons sans gêne que demain un Koulango, un Nzima, un Abron, un Baoulé, un Attié, un Abouré, un Abey ou un Agni pourra être élu président de la Côte d’Ivoire, mais ce sera sur la base de sa compétence, de son sens de l’Etat, de son honnêteté, sur la base du projet de société pacifique et rassembleur qu’il proposera aux ivoiriens et non à cause de son appartenance ethnique, tribale, régionale ou religieuse. L’élection de Barak Obama, comme président des USA est sous nos yeux comme un exemple démocratique à suivre et à méditer.
À méditer aussi le comportement des ivoiriens face à leur pays. Quand la Côte d’Ivoire joue aujourd’hui un match de football de la coupe d’Afrique, il y a des ivoiriens qui souhaitent la défaite de leur propre pays, car la victoire sera à l’honneur d’Allassane Ouattara et de la Dioulaïté ou de Gbagbo en son temps.
Quand l’armée guinéenne envahit le village frontalier de Kpeaba, ils sont nombreux à souhaiter une guerre contre leur propre pays à cause des exactions des Dozos et de leurs frère FRCI. la Côte d’ivoire vit au quotidien dans une atmosphère délétère et irrespirable, qu’il faut assainir de toute urgence.
III – La Dioulaterie ou la dioulaïté
Ces deux termes qui se valent ont été plusieurs fois utilisés par des compatriotes ivoiriens pour relever et dénoncer le rattrapage ethnique ainsi que le caractère ethno religieux et régionaliste du gouvernement du président de la Côte d’Ivoire, le Dr Allassane Dramane Ouattara. Car depuis sa prise de fonction jusqu’à ce jour, les hommes et les femmes originaires du nord de la Côte d’ivoire sont majoritaires au sein de l’exécutif ivoirien.
Dioula est un terme qui originellement désignait les commerçants Malinkés ou soninkés d’Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui on veut en faire un groupe sinon une appellation pour désigner les ressortissants du nord de la Côte d’ivoire ainsi on applique ce terme pour désigner les Sénoufo, Djimini, les Lobi ou les Tagbana qui sont sociologiquement loin des Bambaras et autres malinkés.
C’est sur les contreforts de la dioulaïté qu’un pays comme le Mali, avait soutenu la rébellion en Côte d’ivoire, car une partie des assaillants qui sont venus endeuiller les ivoiriens en septembre 2002, étaient passée par la frontière Nord avec ce pays frère, qui paye aujourd’hui au prix fort sa propre duplicité et sa connivence avec la dioulaïté, par une rébellion d’une plus grande ampleur sur son propre sol. Comme quoi il ne faut jamais se réjouir des malheurs de ton voisin. Car nul ne connaît ce que demain lui réserve.
Dans le cas ivoirien, en faisant des directeurs généraux, des douanes, du directeur du trésor, des postes, de la loterie nationale, de la filière Café cacao, des ports d’Abidjan, de San Pédro, de la Sotra, de la plupart des présidents des fédérations sportives, des directeurs et des présidents des conseils d’administration des entreprises d’Etat des ressortissants du nord.
Le président de la république de Côte d’ivoire est entré sans le savoir dans une logique de pouvoir tribalo ethnique comparable à la primauté du pouvoir des Hutus du Rwanda sur l’appareil d’Etat dans le régime détestable du général d’opérette, Juvénal Habyarimana entre 1973 et 1994.
En faisant de la dioulaïté le point central de sa gouvernance, le président ivoirien, vient de trahir sous nos yeux les belles promesses de campagne, d’une Côte d’Ivoire juste et vivable pour tous les ivoiriens. Promesses qui avaient poussé des baoulés et certain bétés à voter pour lui.
La dioulatisation de l’appareil d’Etat en Côte d’ivoire est une erreur politique majeure, car elle conduira à terme à construire la méfiance entre ivoirien, à renforcer des ressentiments inutiles et nocifs pour la cohabitation harmonieuse entre ivoiriens et finalement à déconstruire un Etat qui est aujourd’hui exsangue.
Si dans un pays qui compte soixante groupes ethniques, 90% des postes de responsabilités reviennent de droit aux membres du groupe ethnique, religieux et régional du président de la république, que reste-il aux autres ? En exprimant cela nous ne faisons qu’un simple constat, imposé par le bon sens et la raison qui nous poussent à souhaiter et à vouloir le meilleur pour notre pays.
Une démocratie qui se veut utile et solidaire doit avoir des anticorps et surtout des signaux d’alertes. Nous participons de ce fait aux mouvements des idées par la libre expression, en dénonçant toutes les nocivités qui nous tirent par le bas et qui dans la réalité affaiblissent durablement le pays ainsi que le progrès social et démocratique de notre peuple.
IV – sortir de cette logique mortelle
L’attitude la plus condamnable qui a favorisé durablement cette mentalité ethnique et clanique dans la gestion du pouvoir politique un peu partout en Afrique, est le silence même des membres du groupe ethnique des présidents africains.
Pourquoi au Rwanda aucun Hutu n’avait élevé la voix pour dénoncer le harcèlement, le mépris, les injustices et les maltraitances que subissaient les Tutsis, sous leurs yeux pendant des décennies ? Pourquoi les Ngbandis qui étaient autour de Mobutu, avaient-ils gardé le silence devant la répression brutale et criminelle contre les autres groupes ethniques ?
Pourquoi la primauté des baoulés sur l’appareille d’Etat à l’époque du président Houphouët-Boigny et la répression contre les bétés du Guébié n’avait pas émut un seul Akan ? Pourquoi des hommes comme Daniel Kablan Duncan, premier ministre hier de Mr Bédié, ne se sont-ils pas émus et affirmé frontalement leur opposition à l’ivoirité ?
Pourquoi la dioulaïté, la Dioulaterie et la dioulatisation de la Côte d’ivoire ne rencontrent que satisfaction et abondance de jouissance auprès des ressortissants du nord aujourd’hui ? Observez comment les ressortissants du nord qui ont soutenu Laurent Gbagbo ont été traités par leurs propres parents.
Pourquoi toutes ces expéditions punitives dans l’Ouest contre des populations qui ont soutenu Laurent Gbagbo ? Pourquoi le pillage des domiciles des pros-Gbagbo fait-il le bonheur des Dozos et autres Zozos originaires du nord ? Oublient-ils que ce genre d’attitude laisse des traces qui peuvent se retourner contre eux demain ? La dioulaïté n’est-elle pas une des formes vénéneuses de l’exclusion et de la xénophobie que dénonçait hier le RDR, de l’actuel président Allassane Dramane Ouattara ?
Les ivoiriens constatent éberlués que les maisons occupées, les plantations occupées, les contrôles au faciès, les emprisonnements arbitraires, la confiscation, le pillage des biens, les perquisitions nocturnes tout cela ne concernent que les autres groupes ethniques pendant que les ressortissants du nord sont tranquilles chez eux, dans une sécurité et une paix que leur envies les autres ivoiriens exclus de la paix civile pour cause d’appartenance ethnique. Nous faisons même le pari que ceux qui ne sont pas dioula ne retrouverons plus jamais leur maison, aucune justice ne la leur rendra.
L’exclusion des pros-Gbagbo de toutes responsabilités politiques ou administratives est-elle une solution qui renforce le pays ou affaiblit la nation ivoirienne en construction ? La Côte d’ivoire ne pourra pas faire l’économie de tous ces questionnements car ils conditionnent notre orientation commune dans la jungle de ce monde et surtout dans une sous région, infectée par des loups affamés qui recherchent l’animal le plus faible du troupeau pour un déjeuner sanglant.
V – Postulat de conclusion générale
Tous les témoignages concordent pour nous dire qu’avant qu’il ne décède à Rabat au Maroc, la plus cruelle déception du Maréchal d’opérette Joseph Désiré Mobutu, ancien président d’un Zaïre qui n’existe plus, était de faire le constat dramatique de la trahison et de la défection de son propre neveu le fils de sa sœur. Le général Etienne Nzimbi Ngbale.
Le commandant de la DSP, la division spéciale présidentielle. La garde prétorienne de Mobutu, il fut le premier officier supérieur à quitter Kinshasa, pour se réfugier de l’autre côté du fleuve à Brazzaville avec sa famille. Et pourtant Mobutu lui avait tout donné.
Tous ceux qui pensent que l’ethnie ou les liens de familles, de religions, de régions ou de tribus ne peuvent pas conduire à la trahison se trompent. L’être humain par essence est l’incertitude personnifiée.
Le président Allassane Ouattara, sait lui-même qu’hier encore des gens qui mangeaient avec Gbagbo Laurent, étaient en contact avec lui. Que pendant la crise post électorale, des officiers proches de Laurent Gbagbo, négociaient avec lui leur défection et leur survie dans la nouvelle armée ivoirienne.
La trahison coule dans le sang de beaucoup d’êtres humains. Trahir c’est briser la loyauté, ou le fait de tromper la confiance de l’autre. Jésus Christ, fut trahi et livré aux soldats romains, par Judas Iscariote, qui jouissait de sa confiance, et cela au nom de quelques pièces d’or. L’almamy Samory Touré fut trahi par des proches qui avaient informé le capitaine Gourod de sa présence dans son camp près de Guélémou. Information qui favorisa sa capture au petit matin du 29 septembre 1898.
Rappelez vous la douleur, la stupéfaction et la formule de César, en voyant Brutus fondre sur lui poignard au poing. << Brutus, toi aussi, mon fils>> comme quoi c’est de la confiance que nait la trahison.
Le président Félix Houphouët-Boigny, n’avait pas engagé de poursuites contre les auteurs de la mauvaise gestion des sociétés d’Etat, parce qu’ils étaient pour la plupart des gens de son propre groupe ethnique. Voilà pourquoi nous ne seront pas dans le rang, parmi les flagorneurs du président Ouattara. Tous ceux qui l’encouragent et pensent qu’il faut rendre toutes les institutions aux Dioulas dans une sorte de revanche du Nord contre les autres groupes ethniques du pays se trompent d’époque.
La vie des peuples allant de zéro à l’infini, la voie qui conduira la Côte d’ivoire à la paix et à la modernité, passe inéluctablement par le refus du clanisme, du tribalisme et de l’Etat partial, qui conduisent toujours à la haine de l’autre et aux meurtres. Il est préférable dans cette phase de l’histoire que les ivoiriens soient des personnes qui se parlent.
Qui échangent, qui analysent réciproquement leurs difficultés, leurs problèmes et cherchent ensemble des solutions, plutôt que séparément à récoler les morceaux de la nation brisée. En d’autres termes au lieu d’être des individus isolés, enfermés dans leur cocon, ils doivent se donner la main dans une paix des braves. Ils peuvent le faire dignement chez eux sans se ridiculiser en se transportant comme des gamins à Lomé, à Dakar, à Paris, à Ouagadougou, à Nouadhibou ou à Tombouctou.
Car c’est avec les autres et à travers eux et par eux que tous les ivoiriens pourront affermir la souveraineté nationale et élever la voix de la Côte d’Ivoire dans cette jungle qu’est le monde d’aujourd’hui et dans cette sous région en recomposition qu’est l’Afrique de l’Ouest.
C’est dans une telle démarche pensons nous, que la vie des dioulas pourra contribuer au progrès des autres composantes de la société ivoirienne renvoyant l’ivoirité, l’akanité, la dioulaterie et la dioulaïté dans le rebut des oripeaux de l’armoire poussiéreux de l’histoire malheureuse de la Côte d’Ivoire.
Le grand poète Catalan, Salvador Espriù, exprimait mieux notre pensée dans la finale de son labyrinthe :
<< M’arriba de sobte la claror d’aquest nou dia Que esdevindrà plenitud del meu sommi feliç >>
La clarté de ce jour nouveau m’enveloppe soudain de mon rêve heureux, il deviendra plénitude.
Nos regards se tournent vers le président Allassane Dramane Ouattara, pour que naisse ce jour nouveau qui nous conduira vers la plénitude. Jour qui portera l’espérance et la force de vie de chaque ivoirien en éloignant définitivement la Côte d’ivoire de la violence, du sang et de cette guerre interminable qui symbolise aussi un aveuglement collectif.
Merci de votre aimable attention.
Dr Serge-Nicolas NZI
Chercheur en communication
Lugano (Suisse)
Tel. 0041792465353
Mail : nicolasnzi@bluewin.ch
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