Le Point.fr – Propos recueillis par Marc Leplongeon
Emmanuel Altit, avocat du président déchu, revient sur l’audience de confirmation des charges qui s’est déroulée à la Cour pénale internationale. Interview.
Emmanuel Altit, avocat de Laurent Gbagbo, a exposé sa vision des faits qui se sont déroulés en Côte d’Ivoire. Emmanuel Altit, avocat de Laurent Gbagbo, a exposé sa vision des faits qui se sont déroulés en Côte d’Ivoire.
Laurent Gbagbo, ex-président de Côte d’Ivoire, est soupçonné de crimes contre l’humanité par le procureur de la Cour pénale internationale. Fin février, au moment où l’audience de confirmation des charges se déroule à La Haye, Amnesty International publie un rapport intitulé « Côte d’Ivoire. La loi des vainqueurs ». L’ONG pointe du doigt les exactions commises contre des partisans de Laurent Gbagbo. Elle s’inquiète que le bureau du procureur de la CPI n’ait pas encore annoncé « l’ouverture de l’enquête à des événements antérieurs » aux violences post-électorales de 2010. Jusqu’à aujourd’hui, le clan Ouattara n’a pas été inquiété par la justice internationale. La France est intervenue militairement dans la chute de Laurent Gbagbo, tandis que les Nations unies ont endossé tour à tour le rôle de force de maintien de la paix et de négociateur. Emmanuel Altit, avocat de Laurent Gbagbo, revient pour Le Point.fr sur sa ligne de défense. Et décrit une « autre réalité ». Entretien.
Le Point.fr : Laurent Gbagbo a été arrêté il y a bientôt deux ans, le 11 avril 2011. Depuis cette date et jusqu’à aujourd’hui, quel a été son parcours ?
Emmanuel Altit : Laurent Gbagbo a été arrêté dans des conditions terribles, après un assaut donné par les forces françaises et les rebelles. Il y a eu une intervention extrêmement brutale des rebelles. Les personnes qui se trouvaient dans la résidence ont été battues, poignardées, molestées. Laurent Gbagbo a passé deux jours à l’hôtel du Golf, le QG d’Alassane Ouattara. Puis il a été transféré dans le nord de la Côte d’Ivoire le 13 avril à Korhogo, où il est resté jusqu’au 29 novembre 2011. Il était gardé par un chef de guerre, le commandant Fofié, soupçonné de crimes très graves. Il a été arrêté et détenu sans mandat et sans aucun titre judiciaire. Ses droits ont été violés. Nous avons essayé d’aller le voir dès juin 2011, mais nous n’y sommes parvenus qu’en octobre. Au moment où nous l’avons rencontré, Laurent Gbagbo était dans un grand état de fatigue, aggravé par ses conditions de détention. Le 29 novembre 2011 a eu lieu une audience à Korhogo durant laquelle les avocats n’ont pas pu réellement s’exprimer. Leur demande visant à obtenir quelques jours supplémentaires pour préparer la défense a été rejetée. On leur a même affirmé, à l’issue de l’audience le 29 novembre au soir, que Laurent Gbagbo allait réintégrer sa cellule, alors qu’il était déjà dans l’avion pour La Haye. Cet enlèvement, appelons-le comme ça, puisque cela ne répondait à aucune norme juridique applicable, a été décidé quelques jours auparavant, après une réunion à Paris entre Alassane Ouattara et le procureur de la CPI de l’époque, Luis Moreno Ocampo. À partir de son arrivée à La Haye, il a été traité avec décence, mais a mis du temps à récupérer.
L’audience de confirmation des charges contre Laurent Gbagbo, soupçonné de crimes contre l’humanité, a eu lieu à la Cour pénale internationale du 19 au 28 février. Le procureur lui reproche quatre événements qui ont tous eu lieu lors de la période post-électorale, du 16 décembre 2010 au 12 avril 2011. Votre ligne de défense a consisté, dès le début, à revenir sur les événements qui ont eu lieu avant les élections de 2010. Pourquoi ?
Le procureur est particulièrement discret sur tout ce qui s’est passé entre 2002 et 2010. Il a voulu faire porter la responsabilité du conflit sur les seules épaules du président Gbagbo. Avant 2010, il y a eu un certain nombre de coups d’État. À chaque fois, les rebelles venaient du Burkina Faso, parvenaient en Côte d’Ivoire et attaquaient différents endroits, notamment Abidjan. En 2002, après plusieurs échecs, les rebelles mettent la main sur la moitié nord du pays. Ces rebelles ont mis le nord du pays en coupe réglée, pratiquant extorsions à grande échelle, pillages, meurtres, viols, trafics en tout genre (cacao, diamants, or, armes). Les chefs des rebelles sont soupçonnés par de grandes ONG de défense des droits de l’homme de crimes très graves. Voilà la vérité des choses. Il y avait une guerre depuis 2002 et les événements de 2010 en sont la suite logique. Le président Gbagbo n’a cessé de tenter de parvenir à un accord avec les rebelles pour réunifier le pays. En 2003, il les fait entrer au gouvernement et leur confie des ministères importants : Défense, Affaires étrangères, etc. En 2007, il nomme même le chef de la rébellion, Guillaume Soro (désormais président de l’Assemblée nationale, NDLR), Premier ministre. À l’époque, ces tentatives de conciliation lui seront reprochées, certaines personnes craignant que les rebelles jouent un double jeu, qu’ils n’acceptent des postes que pour mieux se saisir du pouvoir.
Vous vous êtes demandé devant la Cour pourquoi des membres du clan Ouattara qui ont commis des exactions ne comparaissent pas, eux aussi, devant la CPI. En faisant cela, ne cherchiez-vous pas à politiser l’affaire ?
Le procureur n’a pas suffisamment précisé le contexte. Il nous appartenait de reconstituer la vérité historique : il y avait une guerre depuis le 19 septembre 2002. Ce qui s’est passé après les élections de 2010, c’est la continuation de cette guerre. Cela change tout. Car, dans cette optique, qui attaque ? Les rebelles. Qui tente de s’emparer du pouvoir ? Les rebelles. Cela donne une clé de compréhension différente. Le procureur, en ne tenant pas compte des faits antérieurs à 2010, donnait à penser que, soudainement, le président Gbagbo avait décidé de refuser le verdict des urnes et de s’attaquer de manière gratuite aux supporteurs de son adversaire. Ce n’est pas la vérité. Il est difficile de reconstituer dans une cour la vérité, mais il est nécessaire de vouloir reconstituer quelque chose qui s’en approche. Si l’on donne à voir une réalité différente, on comprend que le récit du procureur n’est pas forcément le bon.
L’audience de confirmation des charges s’est achevée le 28 février. Quelle est la suite de cette affaire ?
Nous déposons les écritures de la défense le 28 mars. La Cour aura ensuite soixante jours pour se décider. Il y a quatre possibilités. La première est que les juges estiment que les éléments étayant les accusations du procureur ne sont pas convaincants. Deuxièmement, les juges peuvent confirmer seulement certaines charges et en infirmer d’autres. Ils peuvent également confirmer l’intégralité des charges. Enfin, les juges peuvent demander au procureur des précisions ou un complément d’enquête. Il faut bien comprendre que c’est un dossier important, car c’est l’avenir de la Côte d’Ivoire qui est en jeu.
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