Interview parue dans l’Intelligent d’Abidjan du 4 mars 2013, réalisée par Joël T. et Olivier Dion
Le patron du site d’informations générales «connectionivoirienne.net» est en Côte d’Ivoire pour une dizaine de jours. Gbansé Douadé Alexis qui vit en Hollande depuis plusieurs années, suit, malgré la distance, l’actualité de la Côte d’Ivoire, son pays d’origine. Dans cette interview inédite, il se prononce sur l’audience de confirmation des charges contre l’ex-Président ivoirien, Laurent Gbagbo, ses relations avec les autorités ivoiriennes. Il jette aussi un regard sur l’avenir du journalisme en Côte-d’Ivoire et met en garde les hommes politiques ivoiriens: «Celui qui divise les Ivoiriens perd le pouvoir».
Vous débarquez à Abidjan au moment où tous les regards sont braqués vers les Pays-Bas où se déroule l’audience de confirmation des charges contre Laurent Gbagbo. Comment expliquez-vous ce paradoxe, puisque vous êtes au fait de ce qui se passe à La Haye ?
Il s’agit d’un séjour en Côte-d’Ivoire pour raisons familiales et professionnelles prévu de longue date, que je pouvais effectivement repousser dans l’intention de suivre les audiences qui ont lieu a un peu plus de 100km de mon lieu d’habitation aux Pays-Bas. Néanmoins, ayant l’expérience de la CPI depuis le 5 décembre 2011, je savais qu’une couverture était toujours possible sans être pour autant physiquement présent dans la salle d’audience ou dans la salle de presse de la CPI. Le service communication de la CPI fournit suffisamment d’éléments aux journalistes accrédités, même absents aux audiences. J’ai tout de même assisté à l’ouverture des audiences le 19 février dernier avant de partir pour l’Afrique. Enfin, ça n’est pas aussi une mauvaise chose de suivre le procès depuis la Côte-d’Ivoire, toute chose qui me permet de juger de l’état d’esprit réel de l’opinion publique ivoirienne.
Quel commentaire faites-vous des différentes interventions de l’accusation, de la défense et du prévenu Laurent Gbagbo ?
Je pense que les débats ont eu lieu dans la pure tradition des cours internationales de justice, que je suis depuis les premiers procès impliquant les présumés criminels de guerre de l’ex Yougoslavie, Bosnie, Kosovo, Serbie et Croatie. L’intervention de Laurent Gbagbo arrivée en dernier a su remettre les choses dans leur cadre réel, à savoir un procès plus politique que juridique. La seule présences de Laurent Gbagbo dans le box des accusés enlève selon moi, toute crédibilité aux débats. Quels qu’ils soient. Je dois donc avouer que j’ai suivi le procès sans grands intérêts, les dés étant pipés comme toujours dans ce type de procès où l’on nous parle de « co-auteur indirect » présumé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, sans qu’un seul des auteurs ou des autres co-auteurs directs ou indirects ne se retrouve à ses côtés dans le box des accusés.
Quels sont les dessous de votre présence à Abidjan, en Côte d’Ivoire ?
Je suis à Abidjan principalement pour voir ma famille, mes collègues et mes amis. J’en profite aussi pour travailler au lancement de mon bi-hebdomadaire à paraitre prochainement , Le Journal de Connectionivoirienne. A côté de ces deux raisons, il est aussi bon en tant que journaliste Ivoiro-Hollandais exerçant depuis l’étranger, de rester en contact avec le pays sur lequel plus de 95% de notre temps de travail porte. J’en profite aussi pour faire des reportages ou des interviews.
Il se raconte que vous êtes là pour signer un pacte de non-agression avec des personnalités influentes du régime Ouattara puisque votre site «connectionivoirienne.net» est très actif ces derniers temps et n’est surtout pas tendre avec le pouvoir. Qu’en pensez-vous ?
[Rire] Ooh écoutez, on ne devient pas journalistes pour signer des pactes de non-agression avec des acteurs politiques. Enfin, c’est pas ça moi ma culture journalistique. Le journaliste doit emmerder tous les pouvoirs politiques, et ainsi être le véritable 4e pouvoir aux cotés de l’Exécutif, du Législatif et du Judiciaire. Nous n’avons jamais été tendre avec le pouvoir Gbagbo, pourquoi allons-nous l’être avec le pouvoir Ouattara ? Je n’exclue tout de même pas si le besoin se faisait sentir ou si l’occasion se présentait de rencontrer certaines personnalités politiques de premier plan dans ce pays, tout comme je rencontre de nombreux collègues journalistes, pour échanger sur mes choix éditoriaux et sur l’avenir de la presse dans ce pays. Certains acteurs comme Soro Kigbafori, Blé Guirao, Konaté Sidiki et bien d’autres sont des connaissances de longues dates, je n’exclue donc pas de les rencontrer pour évoquer des questions liées à l’exercice de la profession de journaliste en Côte-d’Ivoire. S’agissant de mes choix éditoriaux vous pouvez être rassurés, nos lecteurs aussi peuvent se tranquilliser, ces choix relèvent et relèveront exclusivement de nos espérances pour une Côte-d’Ivoire où l’Etat de droit est la première des règles en vigueur. La liberté de la presse est une question qui ne se négocie pas, selon nous.
Originaire de l’Ouest, quel est votre avis sur les différents rapports d’ONG des droits de l’homme relatifs aux violations qui ont cours dans cette partie de la Côte-d’Ivoire ?
Je suis certes DAN, originaire de Man de par mon père et de Biankouma de par ma mère, mais j’ai passé plus de temps à Sassandra, à Bonoua , à Bondoukou et à Abidjan durant les 21 années vécues en Cote-d ivoire, avant de partir pour l’aventure en RFA et ensuite aux Pays-Bas. Nous étions nous-mêmes présents dans l’ouest ivoirien du 22 au 27 avril 2011 avec des équipes de la télévision publique hollandaise KRO et du quotidien TROUW, venues faire un reportage sur les graves crimes commis au quartier carrefour de Duékoué. Ces rapports auxquels vous faites allusion, venant d’ONG principalement occidentales, n’apportent rien de nouveau à ce qui est déjà connu. Que faisons-nous en tant que Nation en devenir face à ces nombreux crimes ? Voici ce qui nous, nous intéresse. Malheureusement nous faisons le constat que la politique par les crimes de sang et économiques, si nous n’y prenons garde, a encore de beaux jours devant elle. L’Ouest, l’impunité et la justice partisane des pouvoirs politiques successifs, sont les preuves de la faillite du corps socio-politique ivoirien. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, nous pouvons affirmer que la Côte-d’Ivoire court de graves risques d’explosions politico-tribales sur le chemin vers les prochaines élections présidentielles.
Affaire Blé Goudé : deal ou pas deal ?
Nous avons évoqué à notre rédaction, dès les tous premiers jours une auto-extradition ou « auto-capturation» pour ironiser [lire Les origines de l’auto-capturation de Blé Goudé]. Dans une récente interview à un collègue de la place, le ministre Lazare Koffi Koffi [FPI] a confirmé nos conclusions: « le Ghana selon les autorités de ce pays voisin, ne saurait s’opposer au retour volontaire des réfugiés ivoiriens sur son sol » Le deal est donc à 100% selon nous. Toutes nos sources à Accra où nous étions récemment, confirment le deal entre Blé Goudé et les actuelles autorités ivoiriennes.
Quel bilan faites-vous de la gestion du Président Ouattara, deux ans après son investiture ?
Ouattara et le RHDP ont hérité d’une situation née de la crise de 2002. Politiquement, je pense qu’ils n’ont pas apporté les bonnes réponses allant dans le sens de l’apaisement. Les gèles des avoirs, les emprisonnements massifs des cadres du pouvoir antérieur [FPI], ne contribuent pas au vivre ensemble harmonieux des différentes composantes du corps social ivoirien. La justice qualifiée de justice des vainqueurs par de nombreux observateurs dont nous-mêmes, n’arrange pas les choses. La Côte-d’Ivoire est sortie affaiblie de la longue crise née depuis 1999. Les remèdes politiques appliqués permettent peut-être de sécuriser [perpétuer] un régime politique, mais une donnée est claire dans ce pays : celui qui divise les ivoiriens, perd le pouvoir. Bédié, Guéi et Gbagbo en ont fait l’amer expérience. Economiquement, je ne vois rien de nouveau sous les tropiques. La corruption, le népotisme, le clientélisme sont-ils suffisamment combattus ? J’ai des doutes ne serait-ce qu’en prenant le seul dossier Bictogo et les déchets toxiques comme exemple. Le procès café-cacao traine en longueur comme sous Gbagbo. Les libertés syndicales sont bafouées, les salaires de grévistes réduits…Devons-nous en être fiers ? Les journalistes ivoiriens sont-ils libres de s’exprimer ? Je vous pose la question. Pour répondre à votre question, Ouattara et le RHDP n’apportent pas encore les bons remèdes au grand malade qu’est la Côte-d’Ivoire.
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