Femmes et enfants se bousculent autour de quelques rares points où ils peuvent encore avoir de l’eau dont la qualité laisse à désirer. Depuis un mois pratiquement, Mme Koffi A. laisse le robinet de sa cuisine ouvert toute la nuit. Dans l’espoir de voir couler de l’eau. En vain. Ce 5 janvier, elle a quitté son domicile de N’Dotré pour se rendre au quartier Dépôt avec ses deux filles, à la recherche du précieux liquide. Après une demi-heure de marche, elles sont au point de vente d’eau tenu par Ephrem Agaud. Celui-ci est assailli par les clients et préfère se mettre de côté pour fuir la pression, mais aussi et surtout, s’abriter du soleil. « Je laisse chacun se servir et je récupère l’argent », dit-il. Avant de préciser que sa recette journalière varie de 9000 F à 12.000 F. Dame Koffi et ses filles doivent patienter environ une heure, le temps que les premières arrivées sur les lieux soient servies. Le débit de l’eau est faible et il fait très chaud. Plusieurs cuvettes et fûts sont alignés, tandis que leurs propriétaires attendent sous un petit hangar. « Mon mari doit aller au travail à 14 heures, il me faut trouver un peu d’eau pour qu’il puisse se laver », laisse entendre Sandrine Mobio. Il est déjà 12h, elle n’est pas sûre d’y parvenir. Sa voisine soutient, pour sa part, qu’il n’y a même pas une seule goutte d’eau potable chez elle. « Si je reçois un visiteur, je ne sais pas ce que je vais lui proposer à boire », déplore-t-elle.
A trois kilomètres environ du quartier Dépôt, précisément au carrefour Diallo, enfants et femmes se bousculent pour recueillir de l’eau rougeâtre d’un tuyau cassé de la Sodeci. A 2 kilomètres de là, à quelque 150 mètres des rails, la même scène est visible. « Nous ne pouvons pas boire cette eau, nous l’utilisons pour la lessive et le bain », fait remarquer Gbéi Odile.
« La dernière fois que de l’eau a coulé dans nos robinets, c’est le 2 janvier 2013. Nous sommes restés sans eau plusieurs mois auparavant. Puis, du 30 décembre 2012 au 2 janvier 2013, nous avons été servis. Pour nous, c’était le meilleur cadeau de l’année 2012 », explique dame Adjéi Elisabeth, habitante de Pk 18, précisément au petit marché.
Trouver de l’eau potable n’est pas chose aisée dans certains quartiers de la commune d’Abobo, dans la capitale économique de la Côte d’Ivoire. Les populations de Derrière rails, N’Dotré et Pk 18 luttent, comme elles peuvent au quotidien, pour en obtenir ne serait-ce que quelques gouttes.
« Nous utilisons cette eau pour le bain et la lessive. Elle n’est pas de bonne qualité pour la consommation », précise dame Adjéi. Autour de ce tuyau cassé, la lutte est très serrée entre les femmes qui veulent ramener un peu d’eau à la maison et les enfants qui veulent se baigner tout simplement. Chacun veut remplir son récipient rapidement, avant que « la source ne tarisse ». Les femmes utilisent de petits seaux ou des boîtes pour recueillir l’eau avant de la verser dans des cuvettes. Parmi elles, certaines doivent la transporter sur trois ou quatre kilomètres. « Nous sommes venus de N’Dotré, à environ 3 kilomètres d’ici, pour nous approvisionner », affirme Coulibaly Mariam. Pendant que ses sœurs cadettes ramènent quelques cuvettes pleines d’eau à la maison, elle s’occupe de laver sur place le linge sale qui attend depuis plusieurs semaines.
Comme au campement
Certaines personnes sont obligées de parcourir deux, trois, voire 5 kilomètres par jour en quête d’eau potable. « Chaque matin, il faut aller vers Avocatier, à environ 5 kilomètres de N’Dotré, pour s’approvisionner en eau », relate Akué Akué Vincent, habitant le carrefour Eugnon (route d’Anyama). A l’aide d’une charrette communément appelée «pousse-pousse», il transporte plusieurs bidons de 20 litres, en vue de ravitailler sa famille. « Nous remplissons 40 bidons pour toute la famille. Chaque bidon coûte 25 F », dit-il. Avant de préciser que « lorsqu’il remplit les deux barriques de la maison, les cinq membres de la famille doivent s’arranger pour utiliser l’eau qui s’y trouve pendant trois jours ». Narcisse K., gérant d’hôtel au Pk 18, soutient, pour sa part, qu’il est obligé de louer une bâchée pour transporter une dizaine de barriques chaque jour, pour les besoins des clients. « Nous remplissons dix barriques d’eau par jour. A raison de 250 F la barrique. Le transport coûte 2500 F », soutient-il. Une situation que T. Kablan, menuisier au carrefour Diallo, compare à celle qu’il a vécue pendant son enfance dans un campement de Tiassalé. « Chaque matin, on parcourait plusieurs kilomètres pour aller puiser de l’eau au puits », fait-il savoir. Ballo Rokia estime que « l’approvisionnement en eau est encore plus difficile pour les femmes ». Elle soutient, en effet, qu’elles doivent porter les cuvettes pleines d’eau sur la tête sur des kilomètres. Souvent, à leur arrivée à la maison, la poussière occasionnée par le passage des véhicules pollue l’eau. Alors qu’elle continue de décrire le calvaire des femmes, Ami Diakité charge une bassine d’environ 25 litres. Elle doit la porter jusqu’ à son domicile, à environ 2 kilomètres du point de ravitaillement. Elle est trempée et ses habits qui lui collent à la peau font ressortir ses rondeurs. Ce spectacle, gratuitement offert, occasionne de nombreux regards concupiscents sur ces formes généreuses qu’Ami Diakité affiche du haut de son mètre 80.
Ça grogne …
Les habitants des quartiers d’Abobo non alimentés en eau potable ne sont pas contents. Ils grognent de jour comme de nuit contre la Société de distribution d’eau de Côte d’Ivoire (Sodeci) qui continue de leur délivrer « des factures exorbitantes » chaque trimestre. « La dernière facture que nous avons reçue s’élève à 25.000 F. On se demande comment la Sodeci peut délivrer de telles factures dans une zone où l’on passe parfois trois semaines d’affilée sans eau », se plaint Coulibaly Mariam. Elle est rejointe par Mme Ballo Rokia, vendeuse de beignets, qui a arrêté ses activités, faute d’eau. Cette dernière soutient qu’au cours du dernier trimestre, elle n’a pu bénéficier d’eau que seulement pendant treize jours. Alors qu’elle a reçu une facture dont le montant s’élève à 14.000 F. Contre 7000 F pour la précédente, délivrée dans les mêmes conditions.
Destruction des installations.
Selon Sangaré Abdoulaye, gérant de kiosque au carrefour Diallo, des jeunes détruisent certaines installations de la Sodeci en vue d’obtenir de l’eau. Ils cassent les petits tuyaux qui relient le compteur au tuyau principal. Pour Essoh Gilbert, « il faut saluer l’ingéniosité » de ces jeunes qui permettent aux populations d’avoir souvent le précieux liquide à proximité de leur maison. « L’objectif premier de ces destructeurs qui creusent parfois des dizaines de centimètres avant de voir l’eau coulée n’est pas de faire du tort à la Société de distribution d’eau, mais de chercher à se ravitailler en eau, source de vie », soutient Zamblé Ernest, couturier au Pk 18.
Jules Claver Aka
Fraternité Matin
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