Nord-Sud
En prélude à l’opération de déguerpissement des clandestins installés dans les forêts classées, Nord-Sud Quotidien s’est rendu le 20 février dernier au mont Péko (Duékoué), l’une des réserves les plus controversées. Cette forêt est occupée depuis 2000 par Ourémi Amadé et ses hommes. Notre reportage.
Elle retourne à vélo d’où elle est venue. Son bébé au dos, elle donne un dernier coup de pédale pour disparaître dans la forêt. Le poupon nous fait un signe de la main droite en guise d’au revoir. La jeune femme et son enfant nous laissent au premier check-point installé après deux kilomètres de piste parcourus à mobylette. Ils habitent dans l’un des nombreux campements disséminés à travers la réserve du mont Péko. Cette réserve naturelle classée patrimoine mondiale, s’étend sur une superficie de trente six mille hectares. Elle est située à dix kilomètres de Bagohoua. La sous-préfecture se trouve à vingt cinq kilomètres de Duékoué, dans la région du Guémon, à plus de cinq cents kilomètres d’Abidjan. Nous n’aurons pas l’occasion de poursuivre le chemin ensemble, dans la mesure où, on est contraint de rebrousser chemin. Une dizaine d’hommes armés de kalachnikovs, de pistolets automatiques, de machettes et de flèches, montent la garde à cet endroit. Ils sont tous habillés en tenue civile. Ils agissent à visage découvert. Scindés en deux groupes, pendant que certains tiennent le poste de contrôle, les autres sont camouflés dans la broussaille. Dans un français approximatif appelé ‘’ français de Moussa’’, le chef de poste, un homme de teint noir, visage balafré, de grand gabarit, menace : « si vous avancez… nous pas connait vous. Quittez ici sinon nous trapper vous ». Nous comprenons que nous ne sommes pas le bienvenu dans le camp d’Amadé Ourémi. Nous passons donc notre chemin. A la recherche d’autres interlocuteurs.
Au bout de quinze check-points
Selon nos informations, il existe quinze check-points contrôlés par une dizaine d’hommes en armes. Toujours d’après ces mêmes sources, la garde prétorienne d’Amadé Ourémi se compose de trois cents éléments lourdement armés. Ils seraient munis notamment de mitraillettes 12/7, de kalachnikovs, de roquettes, et autres grenades. Sous le soleil de plomb de ce mercredi 20 février, nous faisons marche-arrière sous la menace des armes. A l’entrée de Bagohouo – c’est dans ce village que Ourémi Amadé et ses parents ont été accueillis en 1986, en venant de Duékoué – on voit un kiosque à café et une boutique. Sous un hangar, trois jeunes gens sont assis et un quatrième est allongé sur un banc. Malgré les regards inquisiteurs, nous engageons la conversation. «Le vieux, allusion faite à Amadé Ourémi, est-il là ? Comment se porte-t-il ? », demandons nous. L’un d’entre eux, visiblement le plus âgé donne une réponse évasive. « Cela fait plus d’une semaine qu’on n’a pas vu le vieux. Il est toujours parti. On ne sait pas où il est », lance-t-il, pendant que ses « frères » observent la scène. Lorsque nous hésitons, ils nous tournent en dérision. A proximité du seul kiosque à café se trouvent deux magasins (de couleur bleue et verte, ndlr) de stockage de cacao d’une capacité de cinquante tonnes chacun. Un camion de transport de marchandises est stationné. «Amadé vient de construire ces deux magasins. Ses plantions de cacao se trouvent dans la forêt du mont Péko. Il possède mille hectares de cacao. Après la cueillette, les camions transportent le cacao au village. Le produit est stocké dans les magasins. Des camions remorques d’une capacité de quarante à trente tonnes arrivent de Duékoué. Ils transportent le cacao vers Abidjan. Mais au plus fort de la guerre (septembre 2002, ndlr) et de la crise postélectorale (décembre 2010 à avril 2011, ndlr), le cacao d’Ourémi était évacué vers le Burkina Faso. Imaginez-vous, ce monsieur possède une plantation de cacao sur une superficie de mille hectares. Ce sont des milliers de tonnes de fèves récoltées. Ce qui fait de lui un homme immensément riche. C’est un milliardaire », conclut B.S., un jeune planteur du village. Pour lui, le départ de la forêt d’Amadé Ourémi n’est pas inscrit dans l’agenda de ce dernier. D’ailleurs, selon nos informations, il vient d’épouser sa sixième femme il y a quelques mois. « Pour rien au monde, le vieux ne va accepter de quitter le mont Péko. En plus du cacao, il exploite le bois. Toutes les essences rares ont été exploitées par ses hommes et lui. Il ne compte pas arrêter de puiser les richesses dans ce puits. Vous comprenez que l’enjeu est de taille.
Une réputation de milliardaire
On se connaît très bien ici. On connaît les méthodes d’Ourémi. Vous regardez et vous la fermez ou bien on vous tue. Il ne va pas partir », répète B.S., qui nous quitte précipitamment car dit-il, à Bagohouo, les murs ont des oreilles. Pendant que le jeune déscolarisé devenu agriculteur s’éloigne, on aperçoit de l’autre côté de la route (c’est la seule voie qui traverse le village, ndlr) un groupe de jeunes gens. Ils s’activent autour de jeunes plants emballés dans des sachets de couleur noire. Quand l’on s’en approche, il est aisé de découvrir qu’il s’agit de pépinière d’hévéa. Rompus dans la langue de bois, nos interlocuteurs feignent de ne pas comprendre ce que nous leur demandons sur la destination de ces jeunes plants d’hévéa.
Notre interlocuteur, qui garde l’anonymat, nous renseigne. « Tous ces jeunes que vous voyez sont les éléments d’Ourémi. Ce sont ces soldats. Ils ont infiltré la population. Ils sont partout. Les jeunes plants d’hévéa seront transplantés dans la forêt du mont Péko», précise-t-il. Outre l’exploitation du bois et la culture de rente, selon les confidences obtenues auprès de certains ‘’lieutenants’’ du jeune réparateur de vélo devenu un richissime planteur à la tête d’une milice de quinze mille hommes, des travaux de construction d’un pont ont commencé depuis le 1er février dernier. Au milieu de la réserve du mont Péko, coule, en effet, un affluent du fleuve Sassandra. Le pont en construction relie la plantation de cacao et le lieu où sont stationnés les véhicules qui doivent transporter la production cacaoyère. D’après les bras droits d’Ourémi, les ingénieurs et les ouvriers sont venus d’Abidjan. Pour brouiller les pistes, les camions transportant le gravier et autres matériaux ont été loués auprès de particulier à Duékoué. « On voit les camions passer tôt le matin. Ils transportent le gravier en direction du mont Péko. Au milieu de la nuit, on entend la musique de la brousse.
« Une puissance de feu est intacte »
Les gens travaillent toute la nuit », nous confie Doué Evariste, résidant à Yrozon, village natal de l’ancien chef d’état-major de l’armée, le général Mathias Doué. « Le vieux ne s’est pas arrêté-là. Il a également entrepris la construction de deux routes reliant le mont Péko à Bangolo d’une part et d’autre part le mont Péko à Guézon-Tanké. Tout cela pour faciliter l’écoulement du cacao et du bois », renchérit l’ami d’Evariste. Ils affirment en chœur que « celui qui occupe le mont Péko» ne cédera pas un millimètre carré de la réserve. Pour eux, c’est une zone qui échappe au contrôle des agents des eaux et forêts, de la police, de la gendarmerie et même des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci). Le trésor amassé par Amadé Ouméri et sa tribu, grâce aux dividendes tirés des cultures de rente (cacao, hévéas), de l’exploitation du bois et des cultures prohibées, sont pourtant autant de facteurs qui militent en défaveur de l’opération de déguerpissement de cette forêt classée, annoncée conjointement par les ministres Paul Koffi Koffi et Mathieu Badaud-Darret, respectivement en charge de la Défense et des Eaux et forêts. La capacité de nuisance d’Amadé Ourémi est grande. En septembre 2011, sur le terrain de football, en face de l’école primaire du village de Bagohouo, s’est tenue la cérémonie de démobilisation et de désarmement de ses troupes. Il a remis une centaine de kalachnikovs, de fusils… D’après les témoignages, ce jour-là, devant le colonel Gaoussou Touré et le commandant Losséni Fofana dit Loss, il a brûlé tous les treillis de ses éléments. «C’était du bluff. Il détient dans la forêt des armes de guerre. Il faut une intervention armée de très grande envergure pour le déloger. La puissance de feu d’Ourémi est impressionnante. Il continue de terroriser les populations. Il est l’auteur des tueries et des pillages des villages (Blody, Guingla-Zia, Yrozon). La seule évocation de son nom est source de terreur et de peur. Les gens ont peur de prononcer son nom. Car il paraît qu’il possède un pouvoir mystique capable de démasquer tous ceux qui le dénigrent », relève D.J., un fonctionnaire à la retraite et fils du village qui aurait été dépossédé de sa plantation de cacao par les hommes de Ourémi. Selon lui, le 3 décembre 2010 alors que le lieutenant de gendarmerie Esmel et cinq autres gendarmes en mission pour le règlement d’un conflit foncier quittaient le village pour Duékoué, ceux-ci ont été tués par les éléments d’Ourémi embusqués dans la broussaille.
La zone échappe aux Frci
Est-ce la raison qui a poussé un officier des Frci basées à Duékoué à nous dire que l’armée n’est pas concernée par l’opération de déguerpissement ? « Il y a un adage qui dit qu’il vaut mieux montrer son arsenal pour ne pas avoir à l’utiliser. Au-delà de ça, les gens que nous devons protéger ne sont pas des militaires. La relation population-armée est très importante. Cela donne un très bon résultat sur le terrain. Ça met les gens en confiance. Cela crée une fluidité au niveau de l’information. Et la collaboration entre nous et les populations est parfaite. Nous avons créé cette confiance en allant vers tout le monde. Nous échangeons régulièrement. Ces actions nous ont permis de briser le mur de la méfiance. Nous avons rencontré la jeunesse. On a parlé et on s’est compris. Pareil pour les autres couches sociales. Concernant l’opération de déguerpissement des clandestins dans les forêts classées. Je ne suis pas au courant. C’est vous qui m’informez. Mais je vous assure que l’armée n’est pas concernée par le déguerpissement d’Ourémi. Ce sont les autorités qui ont décidé. Si elles pensent qu’elles doivent mettre cette mesure à votre connaissance alors nous attendons. Je ne saurai vous dire ce qui coince. Je ne sais pas. Ce n’est pas parce que je refuse ou je m’entête à ne pas répondre à vos questions. Mais je ne sais pas. Je ne suis au courant de rien », a-t-il répété. Même son de cloche à l’Office ivoirien des parcs et réserves (Opir). C’est la structure en charge de la gestion de la réserve du mont Péko. Selon le capitaine Ouattara Kpolo, chef secteur Oipr-Mont Péko, la décision du déguerpissement est un processus. « Moi je ne suis qu’un petit technicien. L’exécution de la décision dépend des autorités », s’est-il contenté de dire, tout en refusant de donner d’autres précisions. La mainmise d’Amadé Ourémi sur la conduite des affaires politiques du village de Bagohouo et du mont Péko est réelle. Sa fortune lui aurait permis de mettre certains villageois voire certains chefs dans sa poche. Pour preuve, pour mieux contrôler l’appareil de décision, en 2010, Ourémi nomme Simplice Oulaï comme chef de village. Celui-ci lui rend compte de tout ce qui se trame contre lui. En contrepartie, Simplice Oulaï reçoit les faveurs et des enveloppes. « Le vieux est constamment sollicité par les villageois. Il soutient financièrement les cérémonies de réjouissances et les funérailles. La grande majorité de la population roule pour lui », fait observer l’enseignant à la retraite, en précisant que le chef de village nommé par Ourémi a été battu aux élections en novembre 2012 par Jean Djiehi Sérou. Mais la rupture n’est pas totale avec l’homme fort du mont Péko. Interrogé, M. Djiehi entouré de ses proches et de quelques conseils souligne qu’il entretient des rapports de bon voisinage avec Amadé Ourémi. « Nous avons laissé derrière nous le mont Péko. Il ne nous appartient plus. On se contente de l’aide et du soutien des Ong (organisations non gouvernementales, ndlr). Nous n’avons pas de problème avec Ourémi. Il nous aide quand le besoin se fait sentir », a affirmé le chef de village. En plus de la chefferie qu’il tient en respect et qui lui est redevable, Amadé Ourémi aurait également mis dans sa poche le sous-préfet de Bagohouo. Approché pour en savoir plus sur ces prétendus rapports avec Amadé, Touré Adama nous a plutôt servi une réponse déconcertante. « Vous débarquez comme cela, sans appeler. Ça ne marche pas avec moi. Vous devriez m’appeler avant d’arriver ; je ne suis pas le sous-préfet du mont Péko. Adressez-vous au préfet ; je n’ai plus rien à vous dire et n’insistez pas. Moi, j’ai d’autres choses à faire», a-t-il esquivé. Une réponse qui est loin de nous éclairer sur le mystère Amadé qui continue de hanter les réserves du mont Péko.
Ouattara Moussa, envoyé spécial à Bagohouo (Duékoué)
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