Gbagbo est-il le père de la démocratie ivoirienne ? Est-il l’un des premiers démocrates africains dont l’incarcération à la CPI constitue à ce titre un scandale absolu comme se plaisent à le soutenir ses supporteurs qui en font même une icône du panafricanisme et de l’anticolonialisme. Le chef d’accusation sous lequel Gbagbo est inculpé ne bat-il pas en brèche sa prétention à incarner le combat pour la démocratie en Afrique et ne permet-il pas d’en douter ?
Gbagbo est-il par conséquent le démocrate sincère et l’acteur politique incontournable dont la jeune démocratie ivoirienne a besoin pour se constituer et se consolider comme semble le suggérer son parti le FPI qui fait de sa libération la condition absolue de sa participation au jeu démocratique ivoirien ? Peut-on créditer « le socialiste » Gbagbo d’avoir voulu mener une politique de classe démocratisante que la rébellion de 2002 aurait empêchée ? Est-il l’initiateur d’une démocratie sociale centrée sur la promotion des intérêts des catégories populaires en Afrique qu’un complot du « néocolonialisme » français et international aurait tué dans l’œuf ? Pour que la réponse à ces questions fût affirmative, il aurait fallu qu’il se posât en démocrate soucieux de la représentation politique des intérêts de la diversité sociale dans toute ses composantes et en homme politique agissant dans le sens de la défense de l’intérêt national d’une République citoyenne. Il aurait fallu qu’il acceptât le principe de l’alternance du pouvoir et qu’il récusa dès sa prise du pouvoir en 2000, la politique ségrégationniste, clivante et désintégrante de l’ivoirité pour mener une politique d’intégration de la diversité sociale et culturelle fondée sur la représentativité des intérêts sociaux, la citoyenneté et la limitation du Pouvoir ! En effet comme l’écrit
Alain Touraine « une politique de classe n’est démocratisante que si elle est associée à la reconnaissance des droits fondamentaux limitant le pouvoir d’Etat et à la défense de la citoyenneté, c’est-à-dire du droit d’appartenance à une collectivité politique qui s’est donné le pouvoir de faire des lois et de les changer ». Or, le premier acte politique de la mandature de Gbagbo fut de substituer le principe ethnique de la nationalité au principe citoyen de la nationalité, d’exclure une large frange de la population du droit d’appartenance à la collectivité politique ivoirienne, de profiter de la rébellion qu’avait suscitée cette exclusion pour violer les droits fondamentaux et installer un Pouvoir sans limitation et sans contrôle. Faisant alors fi de la représentation des intérêts populaires, la politique du Front populaire ivoirien sous la direction de Gbagbo fit de la référence au peuple un instrument de manipulation au service d’un régime despotique qui se transforma en régime proprement totalitaire comme l’attestèrent les milices ethniques et les escadrons de la mort qui soumirent la société ivoirienne à un contrôle total et livrèrent la chasse aux ennemis intérieurs et extérieurs. Le gouvernement du peuple par le peuple que Gbagbo mit en œuvre fut un gouvernement de la négation des droits du peuple par un Etat qui avait transformé la société civile naissante en communautés ethniques divisées ou coalisées les unes contre les autres et en ressource politique au service d’un Pouvoir sans borne. Si la démocratie se définit par l’interdépendance des trois principes : la limitation du pouvoir, la représentativité et la citoyenneté, force est de reconnaître que Gbagbo, qui fonda son pouvoir sur la négation de ces trois principes, ne fut pas démocrate.
Gbagbo n’a pas combattu pour ouvrir la Côte d’Ivoire au multipartisme afin d’instaurer pour de bon la démocratie en faisant des trois principes cardinaux de ce régime les règles d’exercice du pouvoir d’Etat et les lois de la politique en Afrique. Affilié idéologiquement au socialisme révolutionnaire qui cherche à prendre le pouvoir pour libérer les ouvriers et les peuples opprimés, il a prétendument lutté contre le régime oligarchique du parti unique pour libérer le peuple ivoirien de l’exploitation et de l’aliénation générée par le capitalisme international dont ce régime était selon lui le complice. Fidèle à ce type de socialisme qui finit toujours par à instaurer un régime autoritaire comme l’histoire le prouve, Gbagbo a installé un gouvernement nationaliste autoritaire chargé prétendument de libérer la Côte d’Ivoire du néocolonialisme français et de l’épurer de l’emprise prétendue des étrangers. Gbagbo n’a pas lutté pour accéder au pouvoir suprême dans le but d’asseoir la gouvernance sur la représentation politique des intérêts de la société civile sur la défense des intérêts nationaux d’un Etat démocratique fondé sur le principe citoyen de la nationalité.
La finalité de la lutte politique de Gbagbo fut d’accaparer le gouvernement afin d’exercer un pouvoir illimité qui devait réparer, dans son esprit, l’injustice faite à sa communauté d’avoir été jusque là exclue du partage traditionnel du pouvoir entre les groupes ethniques composant la Côte d’Ivoire. L’ethno-nationalisme xénophobe et antidémocratique de Gbagbo s’enracine subjectivement dans cette rancune et dans cette volonté de revanche. Le refus de céder le pouvoir, après dix années de gouvernement sans élection présidentielle, fut la conclusion nécessaire d’une logique d’accaparement qui refusait le principe démocratique de l’alternance du pouvoir et les règles du jeu de la démocratie représentative. L’esprit de la démocratie fut pour cela trahi, dès le départ, par l’entorse faite à la lettre de la démocratie dans les modalités de l’élection présidentielle par lesquelles Gbagbo accéda au pouvoir en 2000. Les élections de 2000 « calamiteuses » selon sa propre expression ne le furent pas accidentellement. Les candidats des deux principaux partis d’opposition furent exclus de la compétition électorale, empêchés de se présenter par l’intimidation, la terreur et la manipulation de la constitution ! Le refus du jeu de la démocratie et la mentalité du soupçon enracinés dans une tradition du complot imprègnent et constituent la texture de la culture politique du FPI de Gbagbo comme en témoigne jusqu’aujourd’hui son refus obstiné de participer aux différentes élections lorsqu’il n’est pas assuré de les remporter.
Hier au temps de sa splendeur le fameux slogan électoral « on gagne ou on gagne » était l’expression cynique de cette morgue du tricheur politique patenté qui est prêt à tout pour conserver le pouvoir. Aujourd’hui dans la défaite son refus de jouer son rôle démocratique en tant que parti d’opposition trahit sa conception spécifiquement nihiliste du pouvoir : le pouvoir d’Etat est la propriété personnelle de son détenteur qu’une opposition politique ne fait que légitimer. Son refus de s’engager dans une opposition constructive pour tenter de reprendre le gouvernement en obtenant la majorité des suffrages aux élections, grâce à la pertinence de son projet de société et de son programme de gouvernement, traduit ce fait que le peuple a toujours été pour le FPI de Gbagbo une ressource politique destinée à être manipulée et instrumentalisée. Son refus de regagner une crédibilité politique par le débat et les propositions rationnelles, afin de reconquérir électoralement le pouvoir d’Etat sous l’arbitrage du peuple souverain, démontre que le FPI demeure dans la logique antidémocratique de la force qui fait peu de cas de la souveraineté de la vox populi ! Se situant dans la ligne d’un intérêt exclusivement factionnel, centré sur la restauration du pouvoir personnel de l’oligarchie du parti, il s’ingénie à bloquer le processus de démocratisation du pays en refusant sa participation politique partisane pour faire du tort à ses adversaires. Il se soucie ici précisément de l’intérêt général du peuple ivoirien comme d’une guigne !
Le gouvernement du FPI ne fut pas le gouvernement démocratique d’une société où l’autonomie de la société civile et de la société politique avait été restaurée après la chute du parti unique. Ce fut à nouveau le gouvernement d’un parti dominant qui avait envahi la société civile naissante en clientélisant la majeure partie des ONG et en incorporant les organisations populaires dans l’appareil du parti et bientôt dans celui du parti-Etat FPI lorsque le parti s’accapara du pouvoir. Gbagbo ne fut pas le démocrate qui avait libéré la Côte d’ivoire de l’oppression interne et étrangère, restitué à la Côte d’Ivoire la souveraineté de son peuple et rétabli le gouvernement de ce peuple par ses représentants dans un Etat démocratique qui était le produit de sa propre volonté. Gbagbo fut le chef totalitaire d’un Etat criminalisé qui ne reculait pas devant le meurtre de masse pour soumettre le peuple ivoirien à l’oppression endogène de sa dictature personnelle.
Alexis Dieth
[Facebook_Comments_Widget title= » » appId= »144902495576630″ href= » » numPosts= »5″ width= »470″ color= »light » code= »html5″]
Commentaires Facebook