OPENING STATEMENT
Déclarations d’ouverture du procureur de la CPI contre Laurent Gbagbo
Statement: 19.02.2013
Madame la Présidente, Honorables juges,
L’affaire que nous vous présentons aujourd’hui concerne M. Laurent Gbagbo, un Président qui a renoncé au processus politique, électoral, démocratique, préférant recourir à la violence et au crime pour se maintenir au pouvoir. En décembre 2010, au travers d’élections pacifiques, le peuple ivoirien avait l’occasion de se rassembler et de choisir la personnalité qu’il voulait voir à la tête du pays. Mais il a été privé de cette possibilité par, entre autres, M. Gbagbo, qui a eu recours à la violence contre des civils pour rester au pouvoir. En l’espace de seulement quelques jours, la Côte d’Ivoire est passé d’un pays où des citoyens ordinaires respectueux des lois se présentaient massivement aux urnes pour élire leur président, à un théâtre de violences extrêmes qui ont plongé une nouvelle fois le pays dans le chaos et divisé ses citoyens. En un rien de temps, des centaines d’Ivoiriens sont passés du statut d’électeur à celui de victime. La République de Côte d’Ivoire a ensuite sombré dans cinq mois de violence. Je sais que de nombreux Ivoiriens ayant subi de plein fouet cette tragédie suivront attentivement cette audience. J’aimerais que tout le monde comprenne que dans cette affaire, il ne s’agit pas de déterminer qui a gagné ou perdu les élections. Il n’est en aucune manière ici question de politique. Si nous sommes présents aujourd’hui, c’est parce que des atrocités ont été commises à grande échelle contre la population ivoirienne après les élections. Nous sommes là pour envoyer un message fort à ceux qui prévoient, essaient d’accéder au pouvoir ou de s’y maintenir en ayant recours à la violence et à la brutalité : ils devront dorénavant répondre de leurs actes.
Madame la Présidente, Honorables juges,
M. Gbagbo fut Président de la Côte d’Ivoire d’octobre 2000 à décembre 2010. Après avoir exercé le pouvoir pendant dix ans, il était déterminé à le conserver, quel que soit le résultat de l’élection de 2010. Il n’a cessé de répéter qu’il ne cèderait pas le pouvoir. Avant le premier tour des élections, M. Gbagbo et des personnes de son entourage immédiat ont adopté une politique visant à se maintenir au pouvoir par tous les moyens possibles, notamment en lançant de violentes attaques meurtrières contre des civils qui, selon eux, étaient acquis à la cause de leurs opposants.
M. Gbagbo a nommé des personnes qui lui étaient fidèles à des postes clés du Gouvernement et au sein des Forces de défense et de sécurité ivoiriennes, les FDS. Il cherchait ainsi à consolider le pouvoir qu’il exerçait sur ces dernières, afin d’être en mesure de les utiliser, si nécessaire, pour se maintenir à la Présidence. Il a également renforcé les FDS en recrutant systématiquement de jeunes miliciens et des mercenaires et en les plaçant au sein de la chaîne de commandement, afin de pouvoir les contrôler. M. Gbagbo s’est également assuré personnellement que les forces qui lui étaient fidèles étaient correctement entraînées, financées et armées. Comme précisé plus tôt par Madame le Procureur, après le second tour des élections, M. Ouattara et M. Gbagbo se sont tous deux déclarés Président de la Côte d’Ivoire.
Aussitôt, des milliers de partisans de M. Ouattara se sont rassemblés pour exiger la démission de M. Gbagbo. La communauté internationale, observateur indépendant, a reconnu M. Ouattara comme le nouveau Président élu et a exhorté M. GBAGBO à renoncer au pouvoir.
Madame la Présidente, Honorables juges,
Malgré ces demandes répétées pour l’exhorter à se retirer, M. Gbagbo a refusé de céder le pouvoir et a continué d’exercer de facto ses fonctions de Président de la Côte d’Ivoire et de commandant en chef des forces armées. Il a mobilisé les forces qui lui étaient subordonnées et leur a ordonné de mettre en œuvre la Politique visant à le maintenir au pouvoir par la force. Concrètement, il a ordonné de faire cesser les manifestations et a fait déployer des militaires lourdement armés, qui ont eu recours à la force létale contre des manifestants non armés dans la rue.
Pendant toute la période de violence postélectorale, M. Gbagbo a coordonné la mise en œuvre de la Politique. Il a fréquemment tenu des réunions avec les commandants de l’armée et avec ses alliés politiques. Informé des événements sur le terrain, il a avalisé les activités de ses subordonnés. M. Gbagbo était au centre des décisions à l’origine des activités criminelles menées par ses forces contre des civils. Le camp pro‐Gbagbo a fermé les yeux sur les crimes commis par les forces qui lui étaient fidèles et en a même nié l’existence à plusieurs reprises. Personne n’a eu à rendre de comptes. Pendant ce temps, M. Ouattara et des membres de son Gouvernement s’étaient installés l’Hôtel du Golf, dans le quartier de Cocody, à Abidjan. M. Gbagbo a ordonné à ses forces armées de mettre en état de siège l’Hôtel du Golf et ses occupants – dont M. Ouattara et des membres de son Gouvernement. Tout au long de la crise postélectorale, l’armée, des jeunes miliciens et des mercenaires ont maintenu ce siège en lançant de violentes attaques contre les civils soupçonnés de soutenir M. Ouattara et ont attaqué l’hôtel en question à l’arme lourde.
Madame la Présidente, Honorables juges,
Les éléments de preuve de l’Accusation montreront que du 28 novembre 2010, soit le début du deuxième tour de l’élection présidentielle, au 8 mai 2011, la mise en œuvre coordonnée du Plan commun a abouti à des attaques systématiques et généralisées lancées par les forces fidèles à M. Gbagbo contre des civils pris pour des partisans de M. Ouattara. Les attaques perpétrées par les forces pro‐Gbagbo suivaient toujours le même modus operandi : l’usage excessif et brutal de la force contre des civils non armés, notamment à l’arme lourde dans des quartiers densément peuplés, pour disperser les manifestants acquis à la cause de M. Ouattara ou encore pour terroriser la population civile soupçonnée de soutenir ce dernier. Les forces pro‐Gbagbo ont pris pour cible des quartiers résidentiels d’Abidjan et de nombreuses communautés dans l’ouest de la Côte d’Ivoire considérées comme des bastions de M. Ouattara. De plus, ces forces s’en sont prises à certains groupes ethniques, religieux ou nationaux en partant de l’hypothèse que les membres qui les composaient soutenaient la cause de M. Ouattara. En s’attachant à ces théories de loyauté des groupes, les forces pro‐Gbagbo ont procédé à des contrôles d’identité à des barrages routiers installés illicitement et ont attaqué des personnes dont le nom ou d’autres traits distinctifs les rattachaient à ces groupes. Elles ont de surcroît attaqué des quartiers ou des institutions religieuses considérés comme généralement fréquentés par les partisans de M. Ouattara. Dans le contexte de ces attaques, et notamment dans celui des quatre événements sélectionnés par l’Accusation et que je vais résumer, les forces pro‐Gbagbo ont commis les crimes reprochés, en l’espèce à M. Gbagbo.
Premièrement, le 16 décembre 2010 à Abidjan, des partisans de M. Ouattara, des civils, ont marché vers les locaux de la Radiodiffusion‐Télévision Ivoirienne, la RTI, pour introniser le nouveau directeur général de cette institution. Les forces pro‐Gbagbo ont réprimé cette manifestation dans la violence alors qu’il n’y avait pas eu de provocation. Durant les jours suivants, soit jusqu’au 19 décembre 2010, les forces pro‐Gbagbo ont ensuite lancé de violentes attaques contre des civils dans divers quartiers d’Abidjan. Lorsque cette vague d’attaques a pris fin, les forces pro‐Gbagbo avaient tué 54 personnes au moins, en avaient blessé une cinquantaine au bas mot et avaient violé au moins 17 femmes et jeunes filles. Il s’agissait à chaque fois de victimes civiles. Le deuxième événement en cause s’est déroulé le 3 mars 2011. Plus de 3 000 femmes se sont rassemblées dans le cadre d’une marche pacifique à Abobo – quartier densément peuplé d’Abidjan – pour demander la démission de M. Gbagbo et manifester contre les violations des droits de l’homme. Les forces pro‐Gbagbo ont ouvert le feu sans sommation sur les manifestantes, tuant sept femmes et blessant grièvement de nombreuses autres.
Le troisième événement a eu lieu deux semaines plus tard, le 17 mars 2011. Les forces pro‐ Gbagbo basées au camp Commando, à Abobo, ont tiré au mortier sur une zone civile densément peuplée où se trouvaient un marché local, une mosquée et des résidences. Au cours de cette seule attaque, plus de 25 civils ont été tués et plus d’une quarantaine ont été blessés dans le bombardement du marché et de ses environs. Nous en arrivons maintenant au quatrième incident. L’arrestation de M Gbagbo le 11 avril 2011 ne signifie pas la fin du plan commun. En fait, quelques jours avant son arrestation, M. Gbagbo, depuis son bunker et alors que son appréhension physique n’était qu’une question de temps, comme la suite des évènements le montrera, appelait le peuple à poursuivre la lutte contre M. Ouattara et ses supporters qu’il associait à des terroristes. Son arrestation n’empêchera pas la continuation de l’exécution du plan commun. Le 12 avril de jeunes miliciens pro‐Gbagbo, des éléments de la police et des mercenaires ont attaqué plusieurs secteurs de Yopougon où ils ont exécuté sommairement ou brûlé vives plus de 80 personnes. Les auteurs de ces faits ont également violé 17 femmes au moins et, dans certains cas, exécuté leur mari. Il y a eu plusieurs autres victimes blessées au cours de ces attaques. Toutes étaient des civils originaires du nord de la Côte d’Ivoire et de pays voisins d’Afrique de l’Ouest.
Madame la Présidente, Honorables juges,
En conséquence, M. Gbagbo est accusé, au titre de l’article 25‐3‐a du Statut, en tant que coauteur indirect, des crimes contre l’humanité suivants ou, subsidiairement, au titre de l’article 25‐3 d’avoir contribué à la commission de ces crimes, soit : le meurtre d’au moins 166 personnes, le viol d’au moins 34 femmes et jeunes filles et le fait d’avoir infligé à 94 personnes au moins des atteintes graves à l’intégrité physique et de grandes souffrances ou, à titre subsidiaire, d’avoir attenté à leur vie. En outre, M. Gbagbo doit répondre du crime contre l’humanité de persécution pour des motifs d’ordre politique, national, ethnique et religieux à l’encontre d’au moins 294 victimes.
Madame la Présidente, Honorables juges,
Voici, pour l’essentiel, les accusations et les fondements de la thèse de l’Accusation. Dans lesjours à venir, l’Accusation fournira des preuves à l’appui de ce qu’elle avance en identifiant et en citant des déclarations de témoin, en renvoyant à des passages qui établissent que les crimes en cause ont bel et bien été commis et que la responsabilité pénale de M. Gbagbo est à ce titre engagée. L’Accusation s’appuiera également sur des extraits d’enregistrements vidéo, ainsi que sur des rapports de l’ONU et d’ONG. Elle se fondera aussi sur des éléments de preuve documentaires et informatiques qui ont été saisis, y compris des documents retrouvés dans la résidence présidentielle de M. Gbagbo.
À l’issue de l’audience de confirmation des charges, l’Accusation demandera tout d’abord à la Chambre de conclure à l’existence de motifs substantiels de croire que les crimes en question ont été commis. Elle lui demandera ensuite de confirmer que la responsabilité de M. Gbagbo est engagée et qu’il doit pénalement en répondre et enfin, de renvoyer M Gbagbo à procès afin d’être jugé sur la base des charges telles qu’exposées dans le Document de notification des charges.
Madame la Présidente, Honorables juges, ainsi s’achève notre déclaration liminaire. Nous vous remercions de votre attention.
Source: Office of the Prosecutor
OTPNewsDesk@icc‐cpi.int
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