Philippe Brou – Le Nouveau Courrier
Soucieux de complaire à Alassane Ouattara, dont il a contrarié les rêves d’éligibilité en octobre 2000, l’ancien président de la Cour suprême Tia Koné vient de se livrer à un exercice insensé mêlant regrets, auto-justification, flagornerie et insultes au droit et au bon sens. Choquant !
Réécriture à marche forcée de l’Histoire récente de la Côte d’Ivoire. Assurément, la dernière sortie publique de l’ancien président de la Cour suprême, le magistrat Tia Koné, fera couler de l’encre et de la salive. Profitant de l’installation du sous-préfet de Gbagbégouiné, dans le département de Biankouma, samedi dernier, l’homme qui a invalidé la candidature d’Alassane Ouattara en 2000, est allé à Canossa – ou est tombé sur son chemin de Damas. Evoquant l’arrêt N° E0001-2000 de la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême, qu’il présidait à l’époque, il a affirmé : «(…) J’ai décidé de revenir, en effet, sur cet arrêt, dans le souci de lever tous les malentendus que ladite décision n’a pas manqué, en son temps et même encore aujourd’hui, de susciter dans le pays. Et pour cela, il importe de se placer dans le contexte de la crise économique rampante de l’époque dont les solutions idoines tardaient à venir de l’intérieur au point que tous les espoirs étaient tendus vers l’extérieur d’où, pouvait nous parvenir, un fils prodigue plein de science et de connaissance pour abréger nos souffrances. Il n’était point question dans cette pathétique entente de rejeter ipso facto de nos rangs un fils du pays, un ancien Directeur général adjoint du Fmi, pouvant de toute évidence, être cet artisan du regain de notre dignité et de notre grandeur nationale en perdition. (…) J’affirme qu’il n’a jamais été dit dans l’arrêt du 6 octobre 2000 que M. Alassane Ouattara n’est pas Ivoirien. Cet arrêt à notre grand regret, a causé un tort au concerné, à sa famille et à bien des Ivoiriens. Je m’excuse devant la nation entière. Aujourd’hui, la preuve est faite que le Président de la République est un Ivoirien qui a un profond amour pour sa patrie et qui engage en ce moment même notre pays sur de nombreux chantiers de développement en vue de faire de la Côte d’Ivoire, une nation de Paix et de prospérité (…) A l’époque, de l’arrêt précité, nous avons été sans surprise confronté à une véritable incongruité textuelle dans l’application de l’article 35 de la constitution en y découvrant des éléments d’une malheureuse stratification sociale fondée sur une illusion aux allures démagogiques. En effet, lit-on dans ce texte au demeurant fondamental : ‘‘… le candidat à l’élection présidentielle doit être Ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine… On relève très rapidement que ce concept est tout à la fois absurde et inique».
Un incroyable mélange des genres
Les propos de Tia Koné sont scandaleux et indignes de son rang et des fonctions qu’il a occupées en Côte d’Ivoire. Par ailleurs, ils témoignent d’une incroyable confusion des genres entre ce qui relève de l’émotionnel, du point de vue politique et du droit positif. Quand il dit que la crise économique des années 1990 exigeait que la Côte d’Ivoire ait un président venu du FMI donc de l’extérieur pour «la sauver», il achève de se ridiculiser, dans sa recherche forcenée d’offrir à l’actuel chef de l’Etat un bel atalaku censé lui faire oublier les coups de canif du passé. S’il suffisait qu’un pays aille chercher un fonctionnaire international pour sortir de la crise économique, plus aucun pays du monde ne serait en crise, puisqu’au FMI il y a des représentants de toutes les nationalités. Les pays africains qui s’en sortent bien au point de vue économique sont-ils dirigés par des «diaspos» issus des institutions de Bretton Woods ? Absurdité ! Honte !
Tia Koné mélange à dessein amour de la Côte d’Ivoire, un concept subjectif, et nationalité ivoirienne. Même s’il est établi qu’Alassane Ouattara, dont les ambitions politiques extra-constitutionnelles ont valu à la Côte d’Ivoire coups d’Etat, tentatives de coups d’Etat, rébellions, guerres et massacres… aime ce pays et le conduit vers la félicité éternelle, cela ne signifie pas qu’il est par voie de conséquence de nationalité ivoirienne. Le Code de la nationalité n’établit pas de lien automatique et sans démarche juridique préalable entre l’amour d’un pays et la nationalité !
Quand Ouattara «suicide» les juristes ivoiriens les plus éminents
Tia Koné, sans doute mandaté pour préparer les esprits à une modification constitutionnelle, s’en prend vivement à l’article 35 de la Loi fondamentale, qui contient en son sein un concept «absurde et inique». Parce qu’il instaure une «stratification» des Ivoiriens. Juriste cultivé, il sait qu’il existe dans tous les pays des critères d’éligibilité qui excluent une partie plus ou moins large de la population. Cela équivaut-il à une «stratification» ? Au Burkina Faso, par exemple, «tout candidat aux fonctions de Président du Faso doit être Burkinabè de naissance et né de parents eux-mêmes Burkinabè». Cela correspond-il à une odieuse stratification qui met dans l’embarras tout juge constitutionnel qui se respecte ?
Plus sérieusement, quel crédit peut-on accorder au juge Tia Koné qui, faisant le constat de l’inapplicabilité d’un texte constitutionnel approuvé par référendum à 86% de «oui», ne tire pas les conséquences de son analyse en démissionnant, mais choisit de lire avec gourmandise un arrêt resté célèbre, dont on se souvient qu’il allait jusqu’à noter avec perfidie l’endroit où le père d’Alassane Ouattara a été enterré ? Comment peut-on comprendre qu’à l’âge où les personnalités d’un certain rang, en Occident, écrivent leurs mémoires pour défendre leur place dans l’Histoire, les nôtres, sous nos tropiques, continuent dans la complaisance et la révérence envers les puissants dans l’attente désespérée de sordides rentes de situation ? Les juristes les plus éminents de Côte d’Ivoire n’en finissent pas d’avaler leur langue et leur dignité depuis ce fameux 11 avril 2011.
Philippe Brou
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